Rue du Sentier (1)
La Bible a été le grand livre de mon enfance, plus forte que Oui-Oui, le Club des cinq, Spirou et Tintin réunis. Mon éducation religieuse m’a ouvert à un trésor précieux pour l’adulte que je suis devenu.
Dès la première classe de l’école élémentaire (la 11ème, le Cours Préparatoire) jusqu’en 7ème, l’abbé qui catéchisait, beau parleur, était passionnant à écouter en passant ses diapositives de scènes bibliques.
Je me rappelle vaguement de ces couleurs ocres jaunes, de ces silhouettes, première expérience audio-visuelle déterminante pour la suite de ma vie.
Par ailleurs, il ne supportait pas qu’on mâche du chewing-gum en l’écoutant, ni que l’on défasse les bandes « velcros » de ses chaussures pendant qu’il parlait. Ce dont certains cancres abusaient. Les personnages bibliques étaient les héros d’une fabuleuse histoire grâce à laquelle je m’évadais, une récré avant la récré.
L’histoire de Joseph m’a le plus marqué. « Si tout enfant angoissé (et lequel ne l’est pas ?) se reconnait dans le jeune Joseph croupissant au fond de sa citerne, le meilleur moyen de s’extraire du puits gluant qu’est la peur consiste à s’identifier au Joseph toujours jeune, mais devenu un homme puissant, numéro deux du Royaume d’Egypte, que ses onze frères, voyageant sur les bords du Nil, rencontrent sans le reconnaître » (Didier Decoin, Dictionnaire amoureux de la Bible).
Relire la Bible aujourd’hui signifie pour moi, entre autre, plonger dans mon enfance et il n’est pas rare que je tombe sur tel ou tel passage que j’avais oublié depuis longtemps. Mon engouement pour le Livre des Livres est allé si loin que je suis tombé amoureux d’une fille de ma classe parce qu’elle s’appelait Rebecca, premier amour au seuil de l’adolescence. Cela dit, elle était aussi très jolie.
J’ai habité rue du Sentier de 1999 à 2011. Ces 12 années passées au contact proche de mes voisins a profondément transformé ma vision du monde juif. Jusqu’alors, à part l’amitié de camarades juifs du Lycée Saint-Just de Lyon, (ils habitaient pour la plupart à Villeurbanne ou Vénissieux), je n’avais jamais été si intimement lié à cette autre réalité si proche de moi.
Les Juifs restaient toujours dans mon imaginaire les « Hébreux » du catéchisme, des femmes et des hommes du Livre, sans savoir vraiment qu’ils étaient là, au présent, singulièrement.
Sans y vivre, ce quartier m’avait toujours plu pour son calme, sa proximité des Grands Boulevards, de la rue Montorgueil, du Louvre, pour son ambiance « textile ». J’étais profondément heureux de m’y installer, même s’il ne s’agissait que d’une mansarde de 35m2, avec deux fenêtres sur cour, ouvrant sur les toits de zinc si beaux à « l’heure bleue ». Au loin j’apercevais le soir les scintillements de la Tour Eiffel et son gyrophare. Et j’aimais l’idée qu’au n°8, Mozart et sa mère Anne-Marie vécurent dans cette même rue en 1778.
J’emménage donc rue du Sentier en septembre 1999, après 8 mois passés dans une chambrée du Val de Grâce pendant mon service militaire. Finis les pets du MDR (militaire du rang) en haut du lit jumeau au réveil. Finie l’odeur de cuir ciré des « Rangers » qui trainaient un peu partout dans la piaule.
Fini le bruit métallique de mon placard où ne pendaient que deux treillis vert kaki et quelques paires de chaussettes. Je retrouvais enfin ma solitude, ma bibliothèque, ma discothèque, mes objets personnels laissés en dépôt chez mes parents.
A peine installé avec ma copine Capucine*, je croise ma voisine Rebecca* dans l’escalier. Pétillante, toute souriante, elle me souhaite la bienvenue, la conversation s’engage. Elle vit au quatrième étage avec son mari Claude* et leurs deux enfants Esther* et Simon*.
*J’ai changé les prénoms des personnes citées.