Résurrection
Magique. Epoque épique.
Il existe, comme ça, des instants de lumière. Jonathan en était mystérieusement persuadé. Des heures de grandes choses. Ressenties confusément. Et qu’on laisse échapper le plus souvent en heures ordinaires. Par manque d’ambition, attention, imagination.
Epidémie d’élections nationales, pic de guerres et conflits, crises de modèles, démocratie, Occident, résurgences religieuses et, cerise sur le gâteau, tsunami d’incertitudes israéliennes, visiblement, un « ancien » du groupe, l’ami libraire, mèches blanches rebelles et lunettes de bout de nez, voulait prendre acte d’un tel moment, d’un tel moment d’exception.
Jonathan, impressionné par sa détermination, curieux de connaître cette contribution exceptionnelle, lui laissa les manettes.
Distribution d’un document, dans un silence respectueux. Puis déclaration liminaire.
« Désolé de vous imposer ce pensum. Mais, vous le comprendrez, il faut bien faire quelque chose. Métier oblige, pour faire passer cette lourde pilule, j’ai éparpillé dans cette réflexion des citations de grands personnages. Outre la respiration qu’ils apportent, ils éclaireront et crédibiliseront mon propos ». Enfin, lecture lente, à forte voix du document, face à tous, silencieux, attentifs, jouant le jeu de l’hors-norme.
03/2024 – cm
Résurrection
Le craquement du monde
Point de départ : partout, ça craque. Dans le monde comme ici, en Israël. Les institutions, le gouvernement, la politique, le militaire et la sécurité, le religieux… Un grand hiatus, qui s’élargit sans cesse.
Les déphasages, dans le monde, s’accumulent. Les moteurs économiques, sociaux, sont bridés par la décrépitude de la politique. Aux Etats-Unis, la vigueur économique, le plein emploi, se confrontent à une bataille de personnalités cacochymes hors temps. Institution phare, l’ONU réussit l’exploit d’être à la fois obèse et transparente, juge et partie. L’emboitement difficile des briques nationales ralentit la solidification de la maison Europe. Les dictatures intérieures, chinoise et russe, alimentent une volonté dominatrice extérieure. Les errements jumeaux de l’Afrique et de l’Amérique du sud ralentissent leur course vers la modernisation. L’Occident et ses expressions, la démocratie, le capitalisme, perdent leur statut d’universalité. La mondialisation médiatique et digitale installe un décervelage mondialisé, où les idéologies remplacent les idées. Les religions nourrissent leur mobilisation nouvelle d’une visée messianique. Les cancers que sont l’univers triomphant de la drogue et le grand banditisme physique et financier rongent la société entière. Enfin, le hiatus entre une jeunesse impatiente d’avenir et un vieillissement démographique inéluctable devient bombe à retardement.
Le grand hiatus israélien
Face à ce phénomène général, comme souvent, Israël est aux premières loges. Devenant depuis le 7 octobre dernier, un prototype idéal de ce craquement sociétal vital. Ouvrant en particulier les vannes à toutes les voix jusque-là retenues, d’un antisionisme plus ou moins cache-sexe de l’antisémitisme éternel. Il faut dire que l’abominable barbarie du 7 octobre et l’effroyable guerre de Gaza qui l’a suivie, sont les révélateurs de la profondeur des hiatus qui fracturent la société israélienne.
Hiatus entre une société civile, bien entendu encore imparfaite, mais en développement économique, technologique exponentiel, et un encadrement politique totalement délétère. Hiatus entre l’élan originel de la nation israélienne, sa vision idéalisée, son courage, son inventivité, son vouloir vivre, et son endormissement, sa déviance nationaliste, son indifférence morale, sous la férule d’un jeu politique dégradé par un leadership partisan, autocentré, corrompu. Hiatus entre une volonté initiale d’équilibre vie publique d’Etat démocratique et respect du judaïsme générique, et l’installation orchestrée de la religion dans la vie politique, ouvrant à une ambition théocratique. Hiatus entre la sacralisation de la sécurité interne, la réputation militaire et sécuritaire du pays, et la faillite intervenue le 7 octobre pour l’une comme pour l’autre. Enfin double hiatus, qu’on se doit de ne plus ignorer et de le reconnaître. Entre la création d’une situation humanitaire désastreuse à Gaza, même si l’obligation d’annihiler l’existence militaire du Hamas en est l’explication, et l’affirmation d’une volonté de protection de la population civile, qui ne suffit pas comme justification. Entre le laisser-faire d’exactions sur les biens et les personnes, l’installation partielle d’une situation d’apartheid en Cisjordanie, et la nécessité du besoin sécuritaire national israélien.
La réinvention d’un modèle israélien
Partout, ça craque. Un constat qui fait obligation de non résignation. Qui fait obligation d’imagination, de mise-à-plat, de création de modèles alternatifs.
A ce stade, il est plus facile d’entreprendre cet exercice au niveau d’un prototype plutôt qu’au plan complexe et divers du monde.
Israël peut peut-être, de nouveau, servir de poisson-pilote à la recherche d’un modèle. Un modèle rétablissant l’équilibre entre les caractéristiques et les besoins du monde actuel, et l’organisation de la vie publique telle que l’intellect et la morale humaine parviendraient à le concevoir.
La clé d’approche d’un nouveau type d’organisation de la société israélienne, tient à la claire et bonne identification du hiatus qui a généré sa déviation depuis son origine.
D’une part, le naufrage du projet sioniste.
Projet visant à créer pour les juifs, sur des terres bibliques, un Etat démocratique, à vocation égalitaire, indépendant, fort, sûr, combinant laïcité et tradition religieuse, engagé à marche forcée dans le développement économique et technologique, l’innovation, l’éducation. Projet qu’un probable excès idéologique a entraîné par réaction vers une subordination de l’idéal originaire aux avantages de la modernisation et de l’américanisation. Que l’engrenage de guerres successives a amené à conférer de plus en plus un rôle central à son armée et une place privilégies dans la vie publique à ses hauts militaires. Qui a vu se modifier la répartition des rôles entre religion et politique, avec l’intrusion de partis religieux dans le jeu du pouvoir législatif et exécutif. Qui n’a pas su mener à son terme le processus égalitaire entre les minorités arabes et la majorité juive et l’a même amené en régression. Projet qui a été mis finalement sous éteignoir par un leadership de longue durée, habile, personnalisé, clanique, électoraliste, se préservant de la menace judiciaire par le recours aux extrêmes religieux et nationalistes.
D’autre part, la dynamique d’une société civile conquérante.
Sur le plan publique, par la conquête d’une nature soit hostile, soit végétative, par une agriculture inventive, en continuelle quête de productivité. Accompagnée par une véritable science urbanistique, par la mise en place d’une structure éducative de haut niveau. Par le développement d’une économie complète de produits et services. Par un investissement majeur scientifique et de recherche, par une rigueur financière déterminée, par un système moderne de santé et de protection social. Par le déploiement d’une richesse multi culturelle.
Sur le plan individuel, par l’énergie, l’esprit d’entreprise, la créativité d’une population décomplexée, libre. Par la richesse du mélange culturel apporté par les vagues successives d’immigration. Par la constance de la vitalité démographique. Par la qualité du système éducatif et par l’opportunité de développement qu’il offre, en particulier, aux femmes issues des minorités arabes. Par la maturité acquise à travers un service militaire à la fois rigoureux et formateur.
Les 7 et 8 octobre ont dramatiquement concrétisé la profondeur d’une fracture jusque-là dissimulée. Le 7, révélation effarante d’un univers politique, institutionnel, militaire et sécuritaire totalement dérouté. Le 8, expression instantanée de l’ engagement, la réactivité, le courage d’une société civile, totalement mobilisée. En particulier d’une jeunesse soupçonnée d’individualisme qui explicite une solidarité spontanée sans faille. Complétée par le comportement positif, au pire passif, souvent actif, des minorités arabes israéliennes.
Une profondeur de fracture qui pousse à la réinvention d’un modèle, d’un modèle de société israélienne conforme à sa réalité actuelle. Redéfinissant les principes, la répartition des pouvoirs et les modes d’action.
Les principes
Premier principe : inverser le rapport des forces et donner dans une nouvelle définition de la démocratie, la primauté à la société civile sur les institutions. Il s’agit simplement de tirer les leçons du constat effectué. Dans le monde, tél qu’il est devenu et tel qu’il se profile dans les temps à venir, la réactivité, la faculté d’adaptation du citoyen de terrain domine et dominera celles des institutions, engoncées dans leur formalisme et leurs artifices. Les conséquences seront immédiates. Dans la mesure où le pouvoir s’exercera au plus près du terrain, des priorités des individus, des besoins de leur vie quotidienne, où les institutions deviendront le relais de ce pouvoir, l’écart entre citoyen et Etat disparaîtra, la légitimité et la crédibilité des institutions seront restaurées. Le sens de l’Etat, devenu miroir aux alouettes dans le mode démocratique éculé actuel, retrouvera toute son acuité, chacun devenant acteur du grand tout national. Juste retour des choses, les citoyens deviendront responsables du projet alternatif au projet sioniste originel. C’est-à-dire qu’ils seront les décideurs de sa finalité, de ses valeurs et de ses modalités, mais aussi les coupables directs des déviations qu’il pourrait subir au cours du temps. En tout état de cause, les citoyens apporteront à sa mise en œuvre, une proximité humaine, une dynamique, une évolutivité toute nouvelle.
Dans la logique de la primauté de la société civile, le second principe sera celui de la primauté de la subsidiarité. L’action publique sera dictée par la recherche du niveau le plus pertinent et le plus proche possible du citoyen. Un principe qui répond à la complexification croissante des activités de toute nature. Qui amène la prise de décision au plus près des besoins et au plus près de ceux qui subissent les conséquences de ces décisions. Qui garantit la plus grande efficacité des actions entreprises et fort probablement leur meilleur rapport qualité/prix. Qui évite l’excès de centralisation et permet la meilleure gestion et mise en œuvre de l’action publique. Qui prend en compte les particularités culturelles, économiques, sociales. Qui favorise une plus grande responsabilité et redevabilité des décideurs. Qui stimule la participation et l’implication démocratique en même temps qu’elle favorise un service mieux adapté à ses bénéficiaires. Pour compléter la volonté d’implication et de flexibilité liée à la subsidiarité, le principe du recours au référendum sera également impliqué dans le nouveau mode opératoire. L’usage plus fréquent, plus libre du référendum amplifiera l’effet de responsabilisation, d’adaptabilité, d’acceptation par les citoyens des décisions proposées. Le choix préalable des sujets, des pratiques, des contrôles du processus de référendum pourra d’ailleurs faire l’objet….d’un premier référendum.
Deux phénomènes convergeront pour déterminer le troisième principe. D’une part, la priorité faite au pouvoir de terrain conduit à un rétrécissement du champ d’intervention de l’échelon institutionnel. D’autre part, l’esprit de la démocratie demande que la religion comme le militaire, aussi légitimes et importants qu’ils soient, restent subordonnés, au plan institutionnel, aux trois piliers fondamentaux que sont le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Ce principe de déclassement de la religion et du militaire au sein de l’institutionnel du nouveau projet prend d’autant plus d’importance que leur rôle est devenu lourd sinon déterminant. La mécanique électorale a introduit le loup religion dans la bergerie politicienne. La situation de guerre larvée ou active dans laquelle se trouve l’Etat d’Israël depuis sa création, a fait du pouvoir militaire une sorte de quatrième pilier institutionnel, omniprésent. La place de la religion dans le projet pourra faire l’objet d’un référendum, mais a priori, la règle devra annuler l’ambiguïté initiée dans le projet sioniste. En établissant à la fois une séparation claire de l’église et de l’Etat, extrayant la religion de la politique, et un encadrement et une protection de sa fonction d’accompagnement individuel. Le militaire restera bien entendu la pièce maîtresse de la sécurité et de la défense du pays, dans un environnement régional toujours chargé de dangers existentiels. Mais, là également, la règle devra fixer les limites d’engagement du personnel et de l’organisation militaire dans l’étage institutionnel du pays, en même temps qu’elle devra permettre de contrôler le pôle militaro-industriel.
Pouvoirs et modes d’action
Au niveau opérationnel, la répartition des pouvoirs et les modes d’action de vie publique de l’Etat d’Israël s’inscriront dans l’application de ces principes fondamentaux.
L’organisation institutionnelle actuelle, Knesset, gouvernement, Cour Suprême, sera reconduite car elle correspond à la norme du modèle démocratique le plus général. L’assemblée des députés verra son rôle limité à l’exécution stricte du programme de la majorité élue. Un contrôle annuel sera effectué par les instances de terrain. La loi électorale sera revue pour permettre une plus grande clarté et une plus grande stabilité de la vie politique. Pour tenir compte de l’énorme défaillance ayant permis le 7 octobre, les principaux responsables, à commencer par le premier, seront écartés définitivement de toute vie politique. La limitation à deux mandatures évitera l’enkystement de la professionnalisation et renforcera la dimension de vocation de la députation. L’exécutif sera, comme l’assemblée, soumit à un contrôle annuel de respect de la mise en œuvre du programme de gouvernement. Il ne devra pas dépasser la limite de nombre de ministères fixé et devra respecter, comme l’assemblée, la parité femmes/hommes. Le chef de gouvernement sera lui aussi soumit à la règle de la limite à deux mandats. Dans le judiciaire, la justice et la police, dont l’étendue de compétence pourra être établie par référendum, mèneront leur activité dans une absolue indépendance, en liaison étroite avec les instances de terrain.
Sur la base du programme politique défini à chaque élection nationale, les structures institutionnelles assureront pleinement les fonctions régaliennes. La Défense, incluant le domaine militaire, la sécurité intérieure, le renseignement et la diplomatie. La Justice et la Police, la Finance, les relations extérieures avec les relations diplomatiques et la participation aux organisations internationales. Le contrôle annuel concernera aussi la bonne exécution des missions ainsi confiées à l’institutionnel par les citoyens. L’ensemble des autres activités, social, économie, industrie, agriculture, technologie, scientifique, éducation, santé, culture, seront conduites en osmose aves les organisations régionales, locales, les associations, en application systématique de la subsidiarité. Les sujets transnationaux, comme le danger climatique, la défense de l’environnement, les risques épidémiques, les grandes crises internationales, feront l’objet d’une concertation permanente entre les institutions et les organisations décentralisées, pour stimuler l’engagement des citoyens et tenter de trouver les meilleurs réponses possibles. Cette concertation portera en particulier sur la connaissance, le développement, la mise en pratique du phénomène de l’intelligence artificielle, appelé visiblement à devenir l’élément majeur de mutation de la société.
La charnière motrice de l’harmonisation d’action entre les citoyens, le terrain et le niveau institutionnel sera assurée par le réseau des maires et de leurs municipalités. Ils bénéficient de la plus forte crédibilité auprès de la population, ils symbolisent les caractères pratiques, réalistes, visibles de l’action publique, et lui ajoutent une dimension de personnalisation déterminante.
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Le préalable de la paix retrouvée
Définir un nouveau type de démocratie à travers la résurrection d’un nouveau projet de société israélienne, implique que la situation de l’Etat d’Israël redevienne normalisée. C’est-à-dire que la guerre de Gaza soit terminée, la paix retrouvée aux frontières du pays. Et que le conflit israélo-palestinien, vieux de plus de soixante-dix ans, non pas soit absolument résolu, mais soit entré dans une phase de règlement pacifique.
Dans le court terme, aucune formule miracle ne permettra de mettre fin aux différentes formes d’affrontements qui opposent l’armée, la police et les ‘’settlers’’ extrémistes israéliens à la population palestinienne de Cisjordanie. D’autant plus que le lien établi entre les trois pôles que sont la Cisjordanie, Gaza et le Hezbollah rendent la situation multidimensionnelle. Trois leviers pourront être activés pour stopper l’engrenage action/réaction. Chez les palestiniens, le remplacement de la direction actuelle par une nouvelle génération de responsables, ouverte, moderne, garante de non corruption, là également la montée en responsabilité de leaders de la société civile, garante d’une mise de la politique au service direct de la population, le remplacement du nationalisme revanchard par un réalisme opérationnel, la révision du programme et du contenu éducatif.
Chez les Israéliens, le gel des implantations et des constructions dans les territoires occupés, l’arrêt des exactions et le strict contrôle des ‘’settlers’’ hors de loi, le contrôle de l’application de la loi militaire dans ‘’les territoires’’. Le troisième levier sera celui de l’activation de toutes les associations israélo-palestiniennes existantes, coordonné entre elles, avec les pouvoirs publics concernés et avec là encore l’ensemble des maires et municipalités. La dynamique provoquée par la mise en œuvre des Accords d’Abraham, le support actif des pays arabes environnants favoriseront l’inclusion de l’embryon d’Etat palestinien ainsi initié dans la consolidation régionale en cours.
Dans le long terme, un processus par étapes devra permettre de sortir de de la trappe du choix entre la peste des ‘’deux Etats’’ et le choléra ‘’d’un Etat unique’’. En parvenant à une solution de type de ‘’Fédération de deux Etats’’. Prenant acte de la réalité de partage d’une même terre par deux entités différentes. Prenant acte de la volonté d’indépendance de chacune. Mais instruisant ce partage et cette volonté dans la dynamique d’une collaboration, d’une mise en commun partielle, beaucoup plus naturelles que la situation d’affrontement actuelle le laisse supposer. La condition sine qua none de parvenir cette solution sera la non-militarisation de la partie palestinienne, incluant Gaza, de cette fédération.
Le processus conduisant à cette Fédération, outre son train de négociations politiques, inclura l’activation de collaborations dans tous les champs d’activité, le transfert de connaissances et de know-how, à la fois au niveau des pouvoirs publics, des acteurs de la vie civile, entreprises, organismes, individus experts, et au niveau de la myriade des associations déjà existantes.
Les maires et municipalités seront encore le maillon moteur de ces échanges, garantissant la meilleure efficacité et la participation des citoyens des deux parties des efforts développés.
Si l’habituel et automatique scepticisme ne parvient pas à arrêter le lancement d’un nouveau projet de démocratie, et de sa concrétisation dans la conception d’un nouveau projet de démocratie israélienne, un nouvel élan pourra être créé.
L’élan d’un Etat d’Israël redevenant pont entre l’Orient et l’Occident. Redevenant un poste avancé d’adaptation au monde moderne et nouveau modèle d’avancées de la société humaine.