République bananière

En serait-on déjà là ? Dans l’opposition, on manifeste pour ne pas y aller tout droit tandis que le gouvernement pousse des cris d’orfraie à la seule évocation de cette perspective.
La polémique n’a plus vraiment de sens en cette année de tous les dangers. Israël est devenue une République bananière sans que l’on s’en rende compte, ou plutôt sans que l’on ait voulu s’en apercevoir.
Dès le début des années quatre-vingt-dix, des associations de défense des Droits de l’Homme étaient désignées à la vindicte de l’opinion par une loi les obligeant à mentionner dans tous leurs documents leurs financements issus majoritairement de gouvernements étrangers (en fait surtout d’entités supranationales comme l’Union européenne).
Une version du projet envisageait même de faire porter à leurs dirigeants un badge distinctif lorsqu’ils venaient à la Knesset. Marqués comme des animaux ! À l’école, depuis bien longtemps, on cherche à donner de l’histoire du sionisme la version revisitée par des docteurs de la loi dotés d’une mémoire sélective.
La culture est également l’objet d’attaques qui vont toutes dans le même sens : priver de financements des projets de pièces de théâtre ou de films jugés « antisionistes » par les mêmes gardiens du Temple.
Mais la République bananière israélienne ne vit pas sur son passé. La radio et la télévision publiques pourraient voir fermer leurs services d’information selon le désir du ministre chargé de ce secteur, Shlomo Karhi.
Ce grand moralisateur devant l’Eternel ne supporte pas l’esprit d’indépendance des journalistes de Kan, en particulier celui des jeunes pousses de la chaîne (Michael Shemesh, Yaara Shapira, Liel Kyser…) qui montrent tous les jours que le talent n’attend pas le nombre des années.
À peine sortis de la fête de Pessah, celle où on est censé avoir réduit son égo aux dimensions des matsot (galettes sans levain), des ministres et des députés de la coalition se sont déchaînés. Pour réclamer – sans rire – l’arrestation d’un ancien Premier ministre qui n’a pas sa langue dans sa poche (Ehoud Barak), et la mise en accusation devant les tribunaux de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayout, trop professionnelle à leur goût.
Certains vont même jusqu’à reprocher à son illustre prédécesseur, le Pr Aharon Barak, de ne pas connaître par cœur les principales bénédictions de la religion juive, oubliant de mentionner qu’il n’a pas eu le temps de les apprendre.
En 1941, alors âgé de cinq ans, enfermé avec sa famille dans le ghetto de Kovno (Kaunas, Lituanie), il ne dut sa survie qu’à la bonne idée de son père de le cacher dans un sac de pommes de terre pour qu’à l’extérieur de l’enfer il retrouve la liberté.
Ce qui lui permit de rejoindre en 1947 le pays des survivants où il fit la carrière que l’on sait. Dans les Républiques bananières, la bêtise et l’ignorance côtoient souvent l’odieux.