Real politics

Curieux voyage que celui de Binyamin Netanyahou aux Etats-Unis. Il se rend auprès d’un grand chef d’entreprise, Elon Musk, qui lui fait visiter son usine mais ne s’engage pas à grand-chose auprès de son illustre interlocuteur. Mais pour ce dernier, il s’agissait de montrer au public israélien qu’il veut que la Start-up Nation ne rate pas le tournant de l’intelligence artificielle. Ou de façon plus politicienne, que, lui, se soucie de défendre le pays à l’étranger alors que d’autres manifestent contre son gouvernement…

C’est surtout son entretien avec le président Joe Biden que l’on attendait. Tenu en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, il traduisait le courroux du président américain vis-à-vis d’un allié empêtré dans un processus de réforme judiciaire qui l’aurait éloigné des démocraties occidentales. Finalement, l’entretien s’est bien passé. Joe Biden a réitéré son engagement en faveur de la sécurité d’Israël face à l’Iran et a fait savoir à Binyamin Netanyahou qu’il le recevrait à la Maison blanche d’ici à la fin de l’année. La raison d’une telle bienveillance ? Le président américain, candidat à un second mandat l’an prochain, veut obtenir un grand succès diplomatique : une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite.

Avec les Etats-Unis, le Royaume obtiendrait pour son armée un équipement ultra-moderne et l’autorisation de développer un programme nucléaire civil. L’Etat juif accepterait que l’Arabie saoudite puisse enrichir l’uranium sur son sol. Il s’agit d’un changement radical par rapport à la position historique d’Israël sur la question. Mais pour le Premier ministre israélien, un accord avec l’Arabie saoudite permettrait de reléguer au second plan ses difficultés intérieures, d’envisager une relance de l’économie, et de reprendre pied sur une scène internationale où il est malmené.

Ryad voudrait que les Palestiniens ne soient pas oubliés. Ici aussi, Binyamin Netanyahou est prêt à faire des efforts, mais dans l’étroite limite imposée par ses alliés extrémistes et l’aile dure du Likoud qui s’opposent à toute concession politique et encore plus à un compromis territorial.

L’accord pourrait se faire sur « une amélioration de la vie quotidienne des Palestiniens », cette « paix économique » à laquelle Binyamin Netanyahou s’est toujours montré favorable. D‘ores et déjà, Mohammed Ben Salmane (MBS), le prince héritier a déclaré : « Nous nous rapprochons d’un accord avec Israël ». En termes diplomatiques, cela signifie que les principaux obstacles sont levés.

Gageons que sa mention du sort des Palestiniens relève de la rhétorique habituelle des régimes autoritaires dans le monde arabe qui ont souvent utilisé ce dérivatif pour faire oublier la gabegie, la corruption et les atteintes aux libertés. A Ryad, les Palestiniens seront sacrifiés sur l’autel de la real politics. Depuis soixante-quinze ans, ils en ont l’habitude.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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