Rahel et Bat Sheva, reines d’Israël

Crédit : Pierre Orsey
Crédit : Pierre Orsey

וְהִנֵּה רָחֵל בִּתּוֹ, בָּאָה עִם-הַצֹּאן.

« et voici Rahel, sa fille, qui vient avec le troupeau » Genèse 29,6

וַיִּשַּׁק יַעֲקֹב, לְרָחֵל וַיִּשָּׂא אֶת-קֹלוֹ וַיֵּבְךְּ.

« Yaakov embrassa Rahel sans pouvoir retenir ses larmes » Genèse 29,11

וַיֶּאֱהַב יַעֲקֹב, אֶת-רָחֵל

« Yaakov était amoureux de Rahel » Genèse 29,18

« Et voici qu’il vit un puits dans la campagne, près duquel étaient couchés trois troupeaux. Quand tous les troupeaux étaient rassemblés là, on abreuvait le bétail ». « Yaakov dit : « abreuvez les bêtes et retournez aux pâturages ». Mais ils répondirent : « nous ne pouvons le faire avant que soient rassemblés tous les troupeaux ». » Genèse 29,2-8

Quand elle arrive en terre d’Israël, Rahel meurt en donnant naissance à Benyamin, le dernier fils de Yaakov. Benyamin est le seul des enfants de Yaakov qui naît en Eretz (terre) Israël. Rahel est enterrée à Bethlehem, dans le territoire de Yehouda, alors qu’elle est mère de Yossef et de Benyamin. C’est elle qui a demandé à Yaakov de l’enterrer à cet endroit.

En effet, avant de mourir, Rahel (qui était prophétesse comme toutes les Matriarches) a vu la destruction du premier Temple ; elle a vu l’exil de Babylonie. Elle savait que les survivants qui sortiraient pour arriver en Babylonie (Irak actuel) passeraient par Bethlehem. Elle voulait que les exilés puissent invoquer son mérite en lui demandant de revenir sur leur terre. Rahel est la Mère qui, par la force de sa prière, ramène ses enfants exilés sur leur terre, « rassemble les troupeaux ».

Jérémie 31,15 : « Dans Rama on entend une plainte, une amère lamentation : c’est Rahel qui pleure ses fils. Elle ne veut pas être consolée pour ses fils car ils ne sont plus. »

HaChem répond à sa prière et lui dit de sécher ses larmes : « Tes fils arrivent de loin et tes filles sont portées sur les bras. A cette vue tu seras radieuse. » (Isaïe 60,4). Ces fils, ce ne sont pas seulement les fils d’Israël, mais aussi tous ceux qui se seront attachés à Israël, qui « résident » dans la spiritualité d’Israël, ceux qu’on appelle les guer tochav (résidents étrangers) : « J’en rassemblerai encore d’autres avec ceux qui sont déjà rassemblés ». (Isaïe 56,8)

« Que le fils de l’étranger qui s’est attaché à HaChem n’aille pas dire : « Certainement HaChem va m’exclure de Son peuple ». (…) Et les fils d’étrangers qui se sont attachés à HaChem pour le servir et pour aimer le Nom d’HaChem et devenir ses serviteurs, qui observent tous le Shabbat sans profanation et se tiennent fermement à mon Alliance, je les conduirai à ma montagne sainte, Je les réjouirai dans ma Maison de prière, car ma Maison s’appellera Maison de prière pour tous les peuples ». (Isaïe 56,3-7)

Les deux fils choisis pour être les Messies d’Israël sont Yossef (il a reçu le droit d’aînesse) et Yehouda (il a reçu la royauté). Ils sont issus chacun d’une mère différente (d’une lignée messianique différente), Rahel et Léa. Le Messie fils de Yossef représente l’aspect matériel du peuple juif et aussi le peuple juif en exil : c’est le nom « Yaakov ».

Le Messie fils de David (ou fils de Yehouda) représente l’aspect spirituel du peuple juif et aussi le peuple juif sur sa terre : c’est le nom « Israël ». Benyamin est issu de la même mère que Yossef (Rahel) mais il habite auprès de Yehouda, dans le sud. Le territoire de Benyamin, c’est Jérusalem et donc le lieu du Temple. C’est pour cela que Yehouda et Yossef se disputent la présence de Benyamin, ils savent que ce dernier fils est la jonction ou l’union des deux lignées messianiques, Ben Yossef et Ben David.

Aussi, lorsque ce Messie ultime naît, sa mère disparaît, la religion (Rahel) disparaît pour que ne subsiste plus que la spiritualité (Léa). Une fois qu’Israël est arrivé sur sa terre, le judaïsme se transforme ; on peut dire qu’il meurt pour qu’apparaisse quelque chose de nouveau : la spiritualité de Léa et le culte représenté par Benyamin. Rahel représente aussi la dimension masculine de la religion : l’institution, les dogmes, les concepts… et toute forme de religion détachée de la terre, détachée du corps humain (désincarnée).

Benyamin a pour matrice les religions de l’exil, le christianisme et le judaïsme. Chacune de ces deux religions a évolué depuis deux mille ans en fonction de l’autre, parallèlement, en opposition, mais avec un fond commun. Lorsque ces deux religions provisoires (temporaires) retrouvent leur terre d’origine, la prêtrise chrétienne commence à disparaître et celle du judaïsme, représentée par les rabbins, disparaît aussi (très progressivement).

En Israël les Juifs pratiquants sont plus ou moins tous comme des rabbins ; on peut se rassembler autour d’une personne qui connaît bien le rituel et la Torah sans avoir besoin d’un rabbin officiellement ordonné. En Israël la fonction de rabbin n’est plus la même qu’en galout (en exil). La naissance de Benyamin en Israël correspond au début de la construction de la Maison, le Temple d’Israël pour l’humanité. C’est cela que représente Benyamin.

Rahel est la matrice spirituelle fondatrice de la royauté d’Israël qui peut ainsi réaliser sa vocation qui est d’être un « Royaume de prêtres » (Exode 19,6). Nous entrons aujourd’hui dans ce temps où Yaakov-Israël reconnaît sa véritable épouse parce qu’il voit qu’elle peut lui redonner sa dignité en l’aidant à devenir ce qu’il est et qu’il avait perdu en étant écrasé et humilié pendant des siècles. Et quand Rahel cessera de pleurer, ses larmes seront remplacées par l’explosion de joie de la Guéoula (Délivrance). Ainsi, l’avènement messianique a été confié à Rahel.

Bat Sheva (Betsabée) mère du roi Salomon

הָרָה אָנֹכִי

« Je suis enceinte. » 2 Samuel 11,5

Bat Sheva est fidèle à son mari qui lutte pour Israël, mais quand David l’invite chez lui elle ne se refuse pas. Elle est innocente car elle n’a pas cherché à le séduire ; elle a simplement pris son bain sous la fenêtre du roi qui est tombé amoureux d’elle. Elle s’est montrée nue, telle qu’elle est, sous le regard d’Israël.

En plus, comme la loi le prescrivait, son mari lui avait remis un guet (acte de divorce) avant de partir à la guerre afin qu’elle puisse se remarier au cas où il serait porté disparu. Et s’il revenait de la guerre, ils pourraient se (re)marier. Bat Sheva était donc libre, et n’a pas commis de faute en allant vers David.

Quant à David, s’il a commis une « faute », c’est uniquement parce qu’il n’a pas respecté les délais d’HaChem. David savait que Bat Sheva lui était destinée et qu’elle était sa vraie épouse selon le dessein de Dieu mais il aurait dû attendre l’Heure d’HaChem, le moment que Dieu choisirait pour réaliser Son Projet. Il n’aurait pas dû manigancer tout un plan pour provoquer la mort d’Ouri le mari de Bat Sheva. Il aurait dû laisser HaChem conduire les événements, et Ouri serait mort « naturellement » au combat. La faute de David est donc une faute d’impatience, comme celle d’Adam qui n’a pas attendu le jour du Shabbat pour s’unir à Hava (Eve).

Les Nations, comme Bat Sheva, sont appelées à devenir l’Epouse d’Israël-David. Le mariage est un processus lent avec des étapes à respecter. Il y a d’abord « l’entrevue » où les futurs époux se voient de loin et en présence d’autres personnes, sans pouvoir se parler. Adam et Hava ne se parlaient pas… Puis il y a « la rencontre » où ils se retrouvent à deux pour échanger, comme Avraham et Sarah qui se parlaient pour se dire des choses importantes, pour se dire l’essentiel : le mari dit de sa femme qu’elle est sa sœur, et la femme reconnaît que son mari est son frère.

C’est le temps du dialogue, de la découverte et de l’estime réciproque, où la parole joue un rôle fondamental. Avec Yitzhak et Rivka une nouvelle étape est franchie : dès qu’elle voit Yitzhak de loin, Rivka tombe de son chameau ; elle reconnaît en lui son époux alors qu’elle ne le connaît pas encore. Et pour la première fois dans la Torah il est dit qu’Yitzhak aime son épouse. Puis, viennent « les fiançailles » qui sont déjà un engagement très important, un engagement « moral » sans qu’il y ait encore union, c’est le temps du baiser (Yaakov et Rahel). Et seulement après vient le mariage qui est l’union de deux âmes et de deux corps qui ne font plus qu’un.

Il y a donc au départ un espace nécessaire qui ne doit plus être un espace de séparation, mais un espace de rencontre que l’on pourrait appeler « feu », ou « ahava » (amour = אהבה). Ce feu produit de l’eau, ou un écoulement, comme un saignement dans chacune des deux parties séparées. Cet écoulement qui est désir (à la fois plaisir et souffrance) ne peut pas être supprimé rapidement car cela aboutirait à un assemblage raté, une précipitation mortifère.

Le secret de la téchouva (retour vers Israël) est son rythme lent qui doit respecter le processus prévu par HaChem. La rapidité est masculine, la lenteur est féminine. L’union est possible si le masculin accepte d’être patient et si le féminin devient rapide. C’est cela, le gage d’une union réussie. C’est finalement un jeu subtil entre l’action de Dieu et l’action de l’homme, qui doit tenir compte à la fois des contingences matérielles et historiques et des « urgences » spirituelles. C’est une alliance délicate entre le Ciel et la terre, entre le feu et l’eau, un équilibre savant à trouver selon la Sagesse de la Torah. Le rapprochement se déroule dans le désert :

« Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » Osée 2,16

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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