Quoi de neuf côté propagande antijuive?

Illustration. Un magasin Fnac à l'aéroport de Lisbonne. (Crédit : CC BY-SA 2.0)
Illustration. Un magasin Fnac à l'aéroport de Lisbonne. (Crédit : CC BY-SA 2.0)

En faisant mes recherches sur les ouvrages consacrés au mouvement du Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la Fnac qui promeut le « roman » « profondément touchant » du chef du Hamas, Yahya Sinwar. Le tweet à l’appui :

 

Ce dernier offre « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La Fnac incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché d’Al-Sinwar à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Le livre paraît en avril 2024 dans la traduction française version ebook sous le titre : L’Épine et l’œillet, traduit de l’anglais « The Thorn and the Carnation » (la traduction anglaise est faite de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful). Cette « œuvre » est écrite en 2004, éditeur non précisé, pendant les années d’emprisonnement de Sinwar en Israël qui commence en 1988.

En 2018, Sinwar, dans une interview accordée à la journaliste de Reppublica, Francesca Borri[1] explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang :

We make the headlines only with blood. And not only here. No blood, no news.

Cette déclaration du romancier de la mort a été vérifiée par le nom donné au massacre du 7 octobre « Déluge d’Al Aqsa ». Il s’agit du déluge qui doit emporter les impies, comme le précisent certains versets coraniques qui parlent du déluge comme châtiment pour le peuple « injuste ». Devinez lequel ?

Le narrateur de Sinwar met en scène un personnage qui incarne le mouvement islamiste fondé par le Sheikh Yassin, le mouvement du Hamas, avec le programme d’extermination des Juifs qu’on lui connait. Grâce aux exégèses du très docte site chroniquepalestine, on apprend que la philosophie de Sinwar est :

le lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme qui atteint ce sérieux à travers l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et enracine ainsi dans l’individu le sérieux nécessaire pour l’atteindre, comme l’affirme le narrateur.[2]

Effectivement, toute cette biographie romancée est un appel au jihad, à la guerre sainte contre les Juifs et accessoirement contre ceux qui les soutiennent. Que dire ? L’attendrissement des éditeurs n’est pas nouveau dans le paysage européen littéraire, qui s’émeut depuis Sartre devant toutes sortes de massacres commis au nom de causes « justes ».

Le fait de publier cet appel au meurtre romancé traduit en français en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004, interpelle. Pourquoi maintenant, alors que les otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?

Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-t-elles devant les écrits de celui qui est responsable de la mort de tant de Juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar ? Identification morbide ? Énorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kampf islamique ? Présence des Frères musulmans au sein de ces enseignes ? J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise que j’ai consultée, commence par une dédicace :

Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au Golf, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan[3].

Har Habait. (Crédit : Yana Grinshpun)

Force est de constater que, par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : La Fnac et Décitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de chroniquepalestine cité ci-dessus.

Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux (sic) Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistance à Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes…

Sinwar appelé « sulfureux » et les syntagmes « la résistance » et « l’occupation israélienne » sont utilisés sans guillemets, l’auteur de l’article semblant adhérer à l’idée que l’organisation d’assassinats de Juifs et de Palestiniens qui collaborent avec Israël était de la résistance. Et laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger… » si oui ou non Sinwar est antisémite.  Je dirais plutôt « antijuif », car « antisémitisme » est un terme plus pertinent pour la modernité, alors que l’islam est traversé par les sentiments antijuifs depuis sa canonisation, et Sinwar est un Musulman fervent. On s’émeut de tant d’impartialité.

Par ailleurs, notre Gibert-Jeune national a décidé d’épauler la Fnac en affichant un stand de la rentrée avec les ouvrages d’Ilan Pappé qui a l’habitude de falsifier les citations[5], sévèrement critiqué par Benny Morris[6]

et Ephraim Karsh (https://www.meforum.org/middle-east-quarterly/the-unbearable-lightness-of-my-critics), par le très gauchiste journal Haarez[7]  et même, tenez-vous bien, par Journal of Palestinian Studies, qui a dû reconnaitre que les citations données par Pappé sont inventées.  On y trouve également l’ineffable Shlomo Sand, dont les écrits sont bourrés de fautes historiques et linguistiques démontrées par M. Hadas-Lebel, I. Bart, G.-E. Sarfati,  Sh. Trigano et l’auteure de ce texte. Voir la synthèse ici. Quoi de mieux que les juifs révisionnistes, manipulateurs et falsificateurs !?

La rentrée littéraire est bien partie. Désormais on attend impatiemment les œuvres complètes de l’ayatollah Khamenei. Le concours est ouvert entre la Fnac, Décitre et Gibert Jeune.

[1] https://ynetnews.com/articles/0,7340,L-5364286,00.html

[2] https://www.chroniquepalestine.com/la-philosophie-de-la-resistance-par-yahya-sinwar/

[3] I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.

[4] https://actualitte.com/article/118817/librairie/la-fnac-vend-l-autobiographie-du-chef-du-hamas-avant-de-la-retirer

[5] https://www.camera.org/article/university-of-exeter-gives-pappe-a-pass-on-invented-ben-gurion-quote/

[6] Benny Morris a écrit plusieurs textes critiques à l’égard de I. Pappé, notamment « The Lier as a Hero » https://militero.wordpress.com/wp-content/uploads/2011/06/the-liar-as-a-hero.pdf  et s’est expliqué ici https://www.youtube.com/watch?v=7jGhC5vMY6s&t=147s

[7] https://www.haaretz.co.il/literature/study/2021-08-05/ty-article-review/.premium/0000017f-e176-d9aa-afff-f97e11400000

à propos de l'auteur
Yana Grinshpun est linguiste et analyste du discours franco-israélienne. Elle enseigne actuellement à l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. Ses recherches portent surtout sur les stratégies argumentatives à l’œuvre dans les discours militants et les discours de victimisation fondés sur la mise en œuvre de la doxa, de la mauvaise foi. Elle est également membre du réseau français de recherche sur l'antisémitisme et sur le racisme (RRA). Elle est l'une des auteurs du blog "perditions-ideologiques.com".
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