Qui sommes-nous ?
Mon pays attire régulièrement l’attention du monde entier et suscite passions, déchaîne les controverses, alimente les théories les plus folles et les clichés les plus anciens. Et tandis que la société israélienne se déchire sur des enjeux que bien souvent même ceux qui soutiennent le pays, ne comprennent pas, le monde nous regarde incrédule.
Pourtant ce pays dispose d’une richesse incommensurable, une population diverse et variée qui est prête à se battre et à subir tous les défis au nom d’un idéal qui surpasse l’individu. Et c’est cette richesse que le monde ne connaît pas vraiment. C’est aussi au nom de cet idéal que la société se bat, chacun ayant une vision différente du projet qui les unit, une appréhension différente de ce pourquoi nous restons ici contre vents et marées malgré les menaces et les difficultés.
Ce que vit mon pays est une crise existentielle d’identité. L’enjeu si longtemps remis aux calendes grecques, de notre définition, de notre ADN.
J’ai quitté la France et l’Europe plus largement car je ne percevais plus la définition de ce qui faisait ce pays et ce continent, la sensation de vivre dans un endroit qui ne savait pas ce qu’il était et qui ne cherchait plus à se définir intrinsèquement. « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre » demeure depuis des décennies l’une des citations qui résonnent le plus en moi et le baromètre de la santé d’une société dans son ensemble. Sans rester figés dans le passé et la commémoration morbide, le souvenir est un moteur puissant pour tendre vers une meilleure société qui serait lucide de ses erreurs pour ne pas les répéter et viser un meilleur monde.
Affronter ses propres démons et surmonter ses peurs est le signe d’une personne mâture et d’une société adulte. Ce que je n’ai pas trouvé en France.
Et si Israël, à l’instar de nombre de pays, se déchaîne à l’interne, c’est aussi parce qu’à 75 ans il est temps de faire le bilan de cette courte vie nationale tout en tenant compte, à la différence des autres pays, d’un passé plurimillénaire.
Et pourtant les outils pour ce faire sont à notre disposition.
Notre histoire juive, notre patrimoine religieux qui raconte notre épopée, nos erreurs et nos victoires. Et aussi notre société actuelle composée d’une myriade d’identités fortes.
Prenez les Druzes par exemple. Un peuple écartelé sur trois pays mais qui a juré fidélité à Israël et se bat férocement dans ses rangs. Cette société que peu connaissent tant à l’interne qu’en dehors de nos frontières, traverse elle aussi une période de questionnement sur son avenir. Tous les Druzes se retrouvent autour d’une foi issue d’un livre secret auquel seuls les religieux ont accès. Mais le choix de devenir religieux ou laïque est un choix personnel qui se fait à l’âge de 15 ans, confirmé à 18 ans. Ce qui n’empêche pas les changements d’état au cours d’une même vie. Mais pour autant, personne ne doit juger ce choix et le respect de l’autre et de son choix personnel est une valeur cardinale de cette foi. Aujourd’hui en Israël la quantité de laïques est démesurément plus importante que celle de religieux, ce qui suscite un vrai débat assez passionnant pour moi. Sans entrer dans les détails de cette discussion, les parallèles inévitables avec la société israélienne sont riches d’enseignement.
Pour tous ceux pour qui le dialogue demeure capital et qui ne tente pas d’imposer sa vision à son voisin.
Car si beaucoup restent figés sur Le conflit israélo-palestinien, l’autre révolution de 1948 dont on parle moins est celle du chamboulement de l’identité juive.
Redevenus souverains sur notre terre ancestrale, comment faire la fusion de toutes ces identités juives teintées de culture étrangère au gré des pérégrinations et des exils ? Comment intégrer cette identité que nous avions perdue pendant plus de 2000 ans ? Comment intégrer toutes les minorités qui forment la société israélienne dans cette nouvelle-ancienne identité ? Retourner à des instincts d’exil en se repliant sur nos peurs ? Se sentir forts sans tomber dans l’ivresse de l’invincibilité ? Intégrer l’Autre sans s’oublier soi même ? Comment agir en majorité forte consciente de ses responsabilités envers ses minorités ? Comment faire partie de la modernité tout en conservant son patrimoine ancien ? J’ai bien entendu une opinion personnelle de la situation que nous vivons, mais je n’ai pas toutes les réponses aux questions.
Je pense surtout que notre destin se joue sur cette terre à laquelle nous appartenons, à laquelle j’appartiens, et que nous devrons trouver une solution pour s’entendre. Non pas dans une perspective hippie et en faisant preuve d’angélisme, une maladie fatale dans cette région du monde, mais en ayant confiance en notre identité. En étant confiants de notre force parce que nous savons qui nous sommes.
Même si nous sommes tous différents.