Quelle est la guerre d’Israël ?

Dans la parasha Chelakh Lekha, sur injonction divine, douze explorateurs représentants des tribus, désignés par Moïse pour leurs qualités, partent inspecter la Terre Promise, observer sa population, ses villes et places fortes. Le rapport ambigu qu’ils font au retour, reconnait la richesse de la contrée mais déclare leurs habitants trop puissants pour être soumis. Dix des envoyés dissuadent les enfants d’Israël d’entreprendre la conquête ordonnée par le ciel, provoquant une rébellion contre Moïse et Aaron de laquelle deux explorateurs se dissocient avec vigueur : Caleb de la tribu de Juda et Josué de la tribu d’Éphraïm mériteront par leur acte de foi d’entrer dans la Terre Promise, à la différence du peuple au-dessus de vingt ans qui finira ses jours dans le désert. Après une suite d’imprécations divines auxquelles répondent les plaidoiries de Moïse, l’ordre revient dans le campement. Au lendemain, une faction d’insurgés repentis décide d’aller combattre les Amalécites et Cananéens postés sur une montagne. Moïse tente de les dissuader : « l’Éternel ne sera pas avec vous ». Ils furent taillés en pièces.

La guerre d’Israël est avant tout métaphysique : c’est celle d’acquérir un cœur entier, une confiance rayonnante dans la parole de l’Éternel, comme Nahshon ben Aminadav entrant dans la mer des Joncs, et Josué quarante ans plus tard devant les murs de Jéricho qui s’effondrent au son des trompettes. L’élan d’absolue obéissance à l’ordre divin suppose le triomphe sur la peur animale, la mentalité d’esclave, la distance quant au règne apparent mais trompeur de la raison objective, la renonciation au confort immédiat. Ces victoires non physiques sont les plus difficiles, car elles engagent une recherche de clarté intime qui déstabilise nos routines faussement rassurantes et les idées reçues de la realpolitik dont la validité est toujours transitoire. Sans ces batailles intérieures où nous débusquons le Hametz dans les recoins de nos actes, de nos paroles et de nos pensées pour l’anéantir, les Bnei Israël ne peuvent remporter de victoire terrestre durable, de celles qui remettraient sur un chemin de pérennité la Création dont nous sommes les gardiens universels.

La vérité est multiple, nul ne la détient. Elle surgit par fulgurances quand les sensibilités en désaccord se délestent de leurs terreurs, obsessions, dogmes pour recevoir la vibration de l’autre, l’interpréter et en assimiler quelques gouttes rendues précieuses par la sincérité qui les inspire. Devant le terrible conflit, (prévu depuis les décennies où l’on balaye les problèmes sous le tapis pour sacrifier à l’idole de la croissance) peu d’Israéliens s’interrogent sur la validité de l’entrée dans Gaza dont le but officiel est le retour des otages et la destruction des tunnels. Aujourd’hui, plus de jeunes soldats ont été fauchés qu’il n’y eut d’otages et le sort des survivants est hypothétique. Un nombre certain de tunnels et d’infrastructures du Hamas sont anéantis, or nous savons qu’ils se reconstruisent vite. Cette campagne, avec ses rebondissements du côté du Hezbollah et les crépitements croissants de l’intifada en Samarie n’affronte pas le sujet, non plus que la territorialité nationaliste palestinienne pourrait le résoudre. La rivalité remonte à l’origine des temps quand Abraham promet à Ismaël une multitude de royaumes puissants et réserve à Isaac une petite terre aride mais surtout la prérogative de transmettre la connaissance de l’Éternel à toutes les familles de l’homme. Bien plus tard, profitant de notre absence de la scène, le dogme du jihad substituera la conquête géographique au projet transcendantal inaccompli des hébreux, pour préconiser un empire divin sous la bannière de l’Islam.

Il me semble que l’unique façon pour Israël de gagner la guerre qui s’étend désormais sans limites de temps ni d’espace, est de réactiver la distribution des rôles abrahamique. Pas par des accords sur papier timbré, mais par une ascèse dans tous les chapitres de la vie intérieure du pays, affecté d’innombrables disfonctionnements, oppressions, injustices, monopoles, ostracismes, corruptions, crises identitaires et amnésies. Notre clarté enseignerait au monde l’unité du divin et son rayonnement abolirait enfin les guerres qui furent toujours la compilation de millions de disharmonies personnelles, galvanisées par un pouvoir superficiel ou pervers.

Cependant, si la guerre physique s’impose (tout en sachant que les légions célestes sont les véritables combattants), rappelons-nous que seuls les soldats renforcés par leur respect intériorisé des commandements étaient appelés à servir, dans l’antiquité. Ce qui pose une autre question : celle de l’exemption des étudiants de yeshiva qui devraient être majoritaires.

à propos de l'auteur
Historien d’art, Ralph est aussi expert spécialiste en peinture italienne du XVIIIème siècle et particulièrement en vues urbaines, auteur de plusieurs monographies (Canaletto, Guardi, Marieschi, Joli). Il est installé à Jérusalem depuis quelques années où il se concentre désormais sur la littérature (son dernier roman paru chez Albin Michel en 2018 : Le Retour du Phénix).
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