Que veulent en fait les Palestiniens ? Deux États pour deux peuples, la solution qui a échoué

Le président américain de l'époque, Bill Clinton, (au centre), le Premier ministre Ehud Barak (à gauche) et le leader palestinien Yasser Arafat marchent sur le site de Camp David, dans le Maryland, au début du sommet sur le Moyen-Orient, le 11 juillet 2000. (AP Photo/ Ron Edmonds, File)
Le président américain de l'époque, Bill Clinton, (au centre), le Premier ministre Ehud Barak (à gauche) et le leader palestinien Yasser Arafat marchent sur le site de Camp David, dans le Maryland, au début du sommet sur le Moyen-Orient, le 11 juillet 2000. (AP Photo/ Ron Edmonds, File)

La devise « deux États pour deux peuples » symbolise une politique considérée comme équitable, partagée par les deux factions en conflit qui tiennent à s’y attacher. Selon les sondages, la majorité des Israéliens soutiennent la solution des deux États, une solution également acceptée par l’Autorité palestinienne, la Ligue arabe et presque tous les pays du monde. Seuls le Hamas et le Hezbollah s’y opposent.

Trois Premiers ministres ont tenté de promouvoir cet accord diplomatique : Ehud Barak en 2000, Ehud Olmert en 2008 et Benjamin Netanyahu en 2009, mais sans succès. Aucun accord n’a été conclu en raison des conditions préalables posées par les deux parties : du côté palestinien, le gel des colonies, le droit au retour et le démantèlement des colonies ; du côté israélien, la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens en tant qu’État juif.

Les deux parties se concertent souvent lors de pourparlers diplomatiques en présence de médiateurs, sans réellement croire en leur utilité. En fait, Israéliens et Palestiniens ne sont pas du tout intéressés par la solution des deux États.

Israël continuera de construire des colonies, pense que le temps joue encore en sa faveur, et estime qu’il n’est pas nécessaire de parvenir à un accord. En outre, les Israéliens vivent dans la crainte que les Arabes veulent les détruire.

Ils sont prêts à se retrancher derrière des murs en béton et des clôtures électrifiés et à s’enfermer dans un ghetto juif, préservant ainsi la nation des influences étrangères. Certains expriment leur avis de manière plus odieuse : « Donnez-leur un État et qu’ils crèvent, l’essentiel est de ne plus les voir ».

De son côté, la gauche libérale affiche des signes d’inquiétude et de désespoir. Beaucoup sollicitent des citoyennetés étrangères « pour l’avenir de nos enfants ». Certains sont plongés dans un pessimisme presque psychotique qui entrave leur capacité à affronter la réalité et les pousse à fuir avant la catastrophe.

Ils affirment ouvertement que l’existence même d’Israël est en doute et qu’en fait son existence n’était qu’une aventure éphémère. Ces constats accablants sont caractéristiques d’une bourgeoisie intellectuelle ayant la possibilité de s’intégrer dans des pays développés. Ils justifient leurs décisions par le déclin politique et moral de la classe dirigeante, sa corruption et sa volonté de dominer un autre peuple.

C’est en réalité cette atmosphère qui, à mon avis, a engendré une sorte de « révolte des plébéiens ». Les classes défavorisées, pour lesquelles l’option de quitter Israël vers de nouveaux pays n’est pas envisageable, ont senti que les élites les trahissaient.

Des jeunes de droite protestant contre l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas, devant la Knesset, à Jérusalem, le 16 janvier 2025. (Crédit : Charlie Summers/Times of Israel)

Parallèlement, des politiciens opportunistes ont exploité cyniquement ce phénomène et l’ont mobilisé pour renforcer leur pouvoir. Ils ont renforcé la dangereuse dichotomie entre Orientaux et Ashkénazes et l’ont imposée comme déterminante dans le discours politique et social. Aujourd’hui, les médias sont tellement saturés de politique identitaire qu’il est impossible d’y échapper. Tout est perçu à travers le prisme communautaire. Nous sommes tous définis par notre origine ethnique et non par nos positions, nos idées ou nos actions.

La plèbe a réagi à sa manière. Sa marginalisation sociale a engendré un nationalisme haineux envers les élites. Ces plébéiens ont développé une agressivité envers la culture et le savoir. Ils tombent souvent dans le mysticisme, les croyances irrationnelles et les théories du complot.

Découragée, l’élite intellectuelle se sent coupée du peuple qui « nous a volé le pays ». Le phénomène de ceux qui sont toujours prêts à faire leurs valises pour partir apparaît après chaque déception politique : « Si c’est ce que veut le peuple, je n’ai rien à faire dans ce pays ». Le terme « hamutzim » (les aigris) est souvent utilisé par la droite pour décrire cette catégorie.

Le populisme au pouvoir a fait naître chez certaines élites l’idée que : « Nous n’aurions pas dû les faire venir ici », faisant bien sûr référence aux « Orientaux ». C’est ainsi que l’élite intellectuelle a perdu sa crédibilité.

Au-delà des contacts diplomatiques en politique, il devient crucial de se demander : que veulent réellement les Palestiniens ?

Pour cela, nous pouvons nous référer aux déclarations du Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Abu Ala (Ahmad Qurei), lors d’un entretien informel avec Ehud Dekel, directeur de l’Institut de sécurité nationale, qui a participé à de nombreuses médiations aux pourparlers de paix avec les Palestiniens. Dekel, interrogé par son interviewer, le youtubeur Alex Tseitlin (Allons chez les professeurs), sur les souhaits des Palestiniens au-delà de leurs positions officielles, a rapporté les paroles d’Abu Ala avec grande précision, pendant qu’ils prenaient un café dans une atmosphère détendue :

Tout va bien. Nous sommes là. Nous n’allons nulle part. Nous sommes tous en faveur d’un seul État. La démographie est un fait accompli. Dans un seul État, nous avons une centrale nucléaire à Dimona. Nous avons un État spécialisé dans les technologies de pointe. Nous avons désalinisé l’eau de mer. Nous avons l’armée la plus puissante du Moyen-Orient. Pourquoi devrions-nous tout reconstruire ? Vous voulez un seul État ? Soyez les bienvenus. Nous préférons un seul État.

Dekel, choqué par la sincérité palestinienne qui considère Israël comme son propre État, resta bouche bée. Il comprit que c’était le souhait des Palestiniens et regretta même que certains Israéliens le partagent.

Face à cette approche intégrationniste, le diplomate israélien se retrancha dans le récit conventionnel : Israël doit rester un État juif et démocratique, basé uniquement sur l’identité ethnique juive. Toute autre solution est dangereuse et porte atteinte à l’idéologie sioniste.

Le point de vue d’Abu Ala n’est pas inhabituel. Lors de mes discussions avec des intellectuels palestiniens, j’ai été surpris par leur volonté résolue de s’intégrer de manière naturelle dans la société israélienne.

Avec Alex Tseitlin, nous avons abordé des questions délicates : que pensent les Arabes israéliens de leur éventuel recrutement dans l’armée et de l’ouverture d’écoles hébraïques dans leurs communautés ? La plupart de nos interlocuteurs étaient partagés entre le désir de s’identifier en tant qu’Israéliens et leur engagement envers l’hypothétique consensus arabe auquel ils sont tenus de se conformer.

Dès sa création, Israël s’est abstenu de recruter des Arabes à l’armée, affirmant ne pas vouloir les contraindre à combattre leurs frères dans les pays arabes voisins. Cependant, en septembre 1954, le ministre de la Défense Pinhas Lavon a décidé, contrairement au Premier ministre David Ben Gourion, de publier un décret visant à recruter des minorités dans l’armée afin de les libérer du sentiment d’apartheid et de leur accorder les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens. Cet ordre a été accueilli très favorablement par de jeunes Arabes qui se sont précipités pour s’inscrire dans leurs localités afin d’être incorporés par les bureaux de recrutement. Les autorités, alarmées par le nombre considérable d’adhésions, ont rapidement fermé ces bureaux.

Aujourd’hui, la question du service militaire généralisé et le recrutement des Juifs orthodoxes et des Arabes dans l’armée a perdu de son importance. La sécurité d’Israël dépend à mon avis de moins en moins de soldats en uniforme, mais plutôt de professionnels hautement qualifiés dans des domaines de connaissances avancées.

Après le 7 octobre 2023, les camps enfermés de fils barbelés, les tanks et les avions ne renforcent pas notre sécurité. Le niveau scientifique, éducatif et moral des jeunes Israéliens est la garantie de notre sécurité.

La nature de l’éducation que l’État prodigue à tous ses citoyens à l’ère de la démocratisation du savoir déterminera notre avenir face au terrorisme sophistiqué qui menace le monde.

Est-il souhaitable que l’État empêche une partie de ses citoyens de se former à des métiers qui leur permettraient de réaliser leurs ambitions ?

Est-il souhaitable que l’État empêche une partie de ses citoyens de faire des études dans la langue dominante qui leur permettrait d’accéder à des postes de haut niveau ?

Il ne s’agit nullement d’imposer l’hébreu aux Arabes d’Israël, mais plutôt de ne pas les priver d’un système d’éducation en hébreu qui leur permettrait une mobilité sociale. Beaucoup préféreraient l’hébreu à une langue qui limiterait leurs possibilités d’évoluer dans leurs professions.

Activités d’éducation et de formation soutenues par le JDC pour les femmes arabes israéliennes à la recherche d’un emploi. (Crédit: Gary Aidekman)

En fait, les Palestiniens éprouvent une admiration envers Israël, une réalité que les Israéliens n’ont pas encore pleinement assimilée. Les agents des services de renseignements israéliens témoignent souvent du fait que les femmes de la bourgeoisie de Ramallah demandent à leurs maris de n’acheter que des produits portant des inscriptions en hébreu.

Les événements sanglants survenus en Syrie, au Liban, en Irak, en Algérie et en Tunisie, ont ébranlé le nationalisme arabe. Lorsque l’on mettait en garde un Palestinien qu’il risquait de vivre dans un « État d’apartheid » dans un État citoyen, il répondait :

Je préfère être un citoyen israélien de deuxième catégorie plutôt que de vivre dans un état corrompu et sous-développé.

L’admiration pour Israël est ressentie depuis longtemps dans des pays comme le Maroc et se manifeste de plus en plus dans d’autres pays arabes. Dans cette perspective, les dirigeants israéliens auraient pu parvenir à un accord avec l’Irak, le pays le plus développé et le plus laïque de la région, avant qu’il ne soit dévasté par les Américains.

Les Arabes d’Israël ont considérablement évolué. Si le cinéma reflète une certaine réalité, on peut remarquer un changement de tendance dans la jeune génération arabe, comme en témoignent les œuvres de réalisateurs arabes israéliens.

Leurs films traduisent avant tout l’aspiration à une vie meilleure. Ils abordent des sujets tels que l’identité sexuelle ou la création de groupes de musique, et on y trouve moins les symboles nostalgiques du passé tels que l’olivier du village, la clé de la maison abandonnée ou l’image du soldat israélien oppresseur.

Cependant, ces mêmes réalisateurs arabes, dont les films sont financés par le gouvernement israélien, sont contraints de se présenter comme Palestiniens dans des festivals internationaux, car c’est précisément ce qu’on attend d’eux et ce qui est politiquement correct. Le poète Mohammed Hamza Ghanayem de Baqa al Gharbiya m’a un jour confié qu’à Tel Aviv il se sentait « comme un objet suspect ». Pourtant, il préfère vivre dans cette ville plutôt que dans sa ville natale.

Il est nécessaire d’envisager notre avenir dans ce monde et en Israël en particulier à travers une perspective historique à long terme.

Dans l’Antiquité, les grands empires tels que l’Assyrie, la Babylonie, la Perse, la Grèce, Rome, Byzance et les empires arabes étaient composés de citoyens sans distinction d’origine. Aujourd’hui, les frontières nationales s’estompent progressivement grâce à la mondialisation économique, écologique et surtout cybernétique.

Grâce à la démocratisation du savoir et à la révolution de la communication, nous vivons aujourd’hui dans le meilleur des mondes en comparaison avec le passé. La population mondiale vit dans des États qui se consolident de plus en plus sur la base de la citoyenneté, sans distinction d’origine ethnique ou religieuse.

Les cinq grandes puissances de notre monde sont en réalité des entités supra-nationales telles que GAFAMI (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et Intel ; Twitter X et Instagrame) ou NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui opèrent au-delà des frontières territoriales et franchissent facilement les barrières nationales et religieuses.

Aucun pays au monde n’est constitué exclusivement d’une seule origine ethnique. Aujourd’hui, tous les pays développés sont en fait des pays d’immigration. La meilleure aventure que l’Europe ait connue au XXe siècle est le résultat du brassage ethnique des populations et de la contribution des immigrants arabes, chinois, indiens et afghans au développement de ces pays.

La politique ethnocentriste d’Israël découle principalement de la crainte d’être envahi par « la culture orientale », c’est-à-dire la peur qu’une minorité arabe nous impose une sous-culture et les lois de la charia musulmane.

Ces appréhensions ne sont pas rationnelles. Les Palestiniens, comme le décrit Abu Ala, préfèrent devenir Israéliens non pas pour nous imposer l’islam, mais pour adopter les acquis de la culture et du progrès israéliens. Existe-t-il dans le monde un cas où la masse populaire a réussi à imposer une culture inférieure à l’élite culturelle d’un pays ?

Les élites sont le moteur principal de l’évolution dans le monde. Israël survivra-t-il en tant qu’État ethniquement homogène basé sur une seule religion ? Les barrières qui nous séparent sont vouées à tomber. Les Arabes contribueront-ils à démentir les fausses idées qui prévalent dans la société israélienne ? Vont-ils libérer la société israélienne de l’apartheid ethnico-religieux ?

à propos de l'auteur
Yigal Bin-Nun. Historien. Chercheur à l'Université de Tel-Aviv à l'Institut Cohen pour l'histoire et la philosophie des sciences et des idées. Il est titulaire de deux doctorats obtenus avec mention à Paris VIII et à EPHE. L'un portant sur l'historiographie des textes de la Bible et l’aure sur l’histoire contemporaine. Il se spécialise en art contemporain, à la performance art, à l'inter-art et à la danse postmoderne. Il a publié deux livres, dont le best-seller Une brève histoire de Yahweh. Son nouvel ouvrage, Quand nous sommes devenus juifs, remet en question certains faits fondamentaux sur la naissance des religions.
Comments