Que signifie le retrait de Karim Khan de la CPI – les dessous de l’affaire

Karim Khan, Procureur général de la Cour Pénale Internationale. (Crédit : International Criminal Court)
Karim Khan, Procureur général de la Cour Pénale Internationale. (Crédit : International Criminal Court)

Le 16 mai 2025, la nouvelle tombe : Karim Khan, procureur général de la Cour Pénale Internationale (CPI), se retire temporairement – et pour une durée indéterminée – de ses fonctions, le temps qu’aboutisse l’enquête dont il fait l’objet pour inconduite sexuelle envers l’une de ses collaboratrices.

Selon ses déclarations, cette enquête « l’empêcherait de mener à bien son travail », notamment dans le dossier explosif des mandats d’arrêt visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.

Mais l’affaire est loin d’être aussi simple. Retour sur une séquence politico-judiciaire bien trouble, qui remonte à 2014.

Genèse du conflit 

En 2021, Karim Khan est nommé procureur général de la CPI, succédant à Fatou Bensouda, dont les rapports avec Israël sont très tendus.

En effet, après que l’État de Palestine a déposé une demande d’adhésion au Statut de Rome[1] le 2 janvier 2015, celle-ci entre en vigueur dès le 1er avril de la même année. À peine la décision actée, l’État de Palestine dépose un recours contre Israël concernant des faits survenus à Gaza le 13 juin 2014, pendant l’opération « Bordure protectrice » menée par Israël contre le Hamas.

Le simple fait que ce recours soit accepté est préoccupant : en droit pénal, l’usage veut qu’on ne juge pas des faits antérieurs à sa compétence. Et dans ce cas précis, les événements visés sont antérieurs à l’adhésion de la Palestine au Statut de Rome, ce qui représente un écart de près d’un an entre les faits et leur prise en compte. Cela témoigne d’un biais politique assumé de la part de la procureure Fatou Bensouda et de sa volonté de poursuivre Israël, au mépris des règles de procédure.

Lorsque Karim Khan prend ses fonctions en 2021, il maintient le dossier ICC-01/18 et poursuit l’enquête, malgré le refus d’Israël – signataire, mais qui n’a pas ratifié le Statut de Rome[2], précisément par crainte de dérives politiques de la CPI – de collaborer.

Le 7 octobre 2023, catalyseur malgré lui

Après l’attaque sanglante du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, Israël refuse à Karim Khan l’accès officiel aux kibboutzim et autres lieux du massacre, ainsi que l’entrée dans la bande de Gaza, devenue zone militaire. Il tente alors de passer par l’Égypte, où il se rend fin octobre 2023 et rencontre plusieurs représentants impliqués dans le conflit en cours.

Lors d’un discours prononcé au Caire le 29 octobre 2023, il promet de faire la lumière sur la « situation odieuse et désastreuse dans laquelle se trouvent les civils palestiniens », tout en évoquant la possibilité qu’un crime contre l’humanité ait été commis à l’encontre des Israéliens lors du massacre du 7 octobre 2023.

Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim A.A. Khan KC, s’adresse aux journalistes après avoir visité le poste frontière de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza le 29 octobre 2023. (Crédit : Youtube / Capture d’écran)

Après ce qui semble être une déclaration de bonne foi, 9 familles de victimes déposent plainte auprès de la CPI et réclament l’ouverture d’une enquête pour crime contre l’humanité.

Le 3 décembre 2023, sur invitation de ces familles, Karim Khan se rend en Israël, où il visite les kibboutzim touchés et rencontre les proches des victimes. Il déclare alors :

Je serais totalement incompétent si je ne vérifiais pas les cas d’enfants enlevés dans leur lit et de survivants de la Shoah emmenés en captivité.

[…] Les attaques perpétrées contre des civils israéliens innocents le 7 octobre représentent certains des crimes internationaux les plus graves qui choquent la conscience de l’humanité, des crimes pour lesquels la CPI a été créée.

Une stratégie à double tranchant

Cependant, dans une interview accordée à Qualita le 6 décembre 2023, l’avocate Déborah Abitbol alerte sur les risques liés à la démarche et aux déclarations de Karim Khan.

Explications : si l’État de Palestine est, depuis avril 2015, membre du Statut de Rome, le Hamas quant à lui n’est ni un représentant légal ni le représentant officiel de l’État de Palestine au regard du droit international. Par conséquent, d’éventuels mandats d’arrêt lancés contre des membres du Hamas n’auraient aucun effet juridique et ses membres ne sauraient être véritablement inquiétés.

En revanche, Karim Khan pourrait s’appuyer sur la réciprocité des événements pour intégrer le massacre du 7 octobre 2023 dans un cadre beaucoup plus large, incluant notamment le recours palestinien de 2015, ce qui ouvrirait la voie à des mandats d’arrêt internationaux visant des dirigeants israéliens ainsi que plusieurs officiers de l’armée israélienne.

Printemps 2024, tout s’enchaîne

En avril 2024, une proche collaboratrice de Karim Khan dénonce le procureur général auprès des enquêteurs des Nations Unies, révélant que ce dernier l’aurait contrainte à des relations sexuelles non consenties.

Sous les projecteurs, Karim Khan annule sa visite en Israël, et dépose, en mai 2024, une requête de mandats d’arrêt internationaux contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant.

La requête est amendée le 21 novembre 2024, et des mandats d’arrêt internationaux sont officiellement émis à l’encontre de Benjamin Netanyahu et de Yoav Gallant pour la partie israélienne, ainsi que de Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaïl Haniyeh côté Hamas.

Si l’on comprend que les mandats émis contre les responsables du Hamas sont juridiquement inopérants, c’est la première fois que la CPI émet des mandats d’arrêt contre des dirigeants d’un pays démocratique, doté d’un système judiciaire indépendant.

La fureur des américains

Si l’administration Trump se montre inflexible sur les sanctions américaines à l’encontre de la CPI et en réponse aux mandats d’arrêt émis contre Netanyahu et Gallant, l’administration Biden avait, dès le mois de mai 2024, confirmé haut et fort son désaccord accusant le procureur de mettre sur le même plan les crimes effroyables du Hamas avec ceux présumés de l’armée israélienne.

Biden :

Soyons clairs. Quelles que soient les insinuations de ce procureur, il n’y a aucune équivalence – aucune – entre Israël et le Hamas

[…] Le Hamas est une organisation terroriste brutale qui a perpétré le pire massacre de Juifs depuis l’Holocauste et qui détient toujours des dizaines de personnes innocentes en otage, y compris des Américains.

Le revirement

En réalité, dès la fin de l’année 2023, Karim Khan se trouvait au centre d’une campagne de dénigrement menée par le mouvement BDS et plusieurs ONG pro-palestiniennes, qui réclamaient sa destitution. Ils l’accusaient de refuser de s’en prendre directement à Israël, le qualifiant de « facilitateur de génocide ».

Pris entre le risque d’être officiellement démis de ses fonctions et la plainte déposée contre lui pour abus sexuel, Karim Khan finit par trancher et dépose un dossier à charge contre Israël.

Dans une interview accordée au Jerusalem Post en mai 2025, un diplomate rapporte une conversation qu’il aurait eue un an plus tôt avec Karim Khan

Attendez un peu et vous verrez. Si je demande des mandats d’arrêt contre Netanyahu, cela donnerait à des pays comme l’Allemagne et le Canada le prétexte dont ils ont besoin pour se retourner contre le gouvernement israélien.

Cour Pénale Internationale de la Haye. (Crédit : Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0)

Aujourd’hui, une CPI paralysée

En février 2025, Donald Trump signe un ordre exécutif menaçant de sanctions financières toute personne ou organisation fournissant un « soutien financier, matériel ou technologique » à Karim Khan.

À ce jour :

  • le procureur général n’a plus accès à sa messagerie professionnelle après que Microsoft a supprimé son adresse e-mail ;
  • ses comptes bancaires au Royaume-Uni ont été gelés ;
  • et les membres américains du personnel de la CPI savent qu’ils risquent l’arrestation s’ils mettent les pieds sur le sol américain.

Bref, la CPI subit de plein fouet la colère américaine et Karim Khan se voit dans l’obligation de se retirer de ses fonctions, le temps que la lumière soit faite sur les accusations qui le visent.

Et bien que la Chambre ait initialement approuvé l’exécution des mandats d’arrêt en novembre 2024, le 24 avril 2025, elle renvoyait la question de compétence à une juridiction inférieure pour réévaluation.

[1] Le Statut de Rome entre en vigueur en juillet 2002, donnant naissance à la Cour Pénale Internationale (CPI) qui siège à la Haye. Celle-ci a été créée pour juger des crimes tels que génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

[2] Israël est signataire du Statut de Rome mais ne l’a pas ratifié. En cause : un doute sérieux quant à l’objectivité politique de l’organisation et les risques encourus pour Israël et ses citoyens.

à propos de l'auteur
Après le 7 octobre 2023, Sophie Chemla s'est rendue sur le terrain pour documenter et témoigner du massacre. Elle a rencontré des victimes, visité les lieux des atrocités et s'est rendue à l'institut médico-légal où elle a découvert les corps mutilés. De cette expérience, elle a écrit un livre. Depuis, elle poursuit ses enquêtes sur le financement du terrorisme et son impact en Occident.
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