Que la Marseillaise se taise aussi pour les 2 minutes de silence de Yom Hashoah

Mardi 18 avril 2023, 10 heures du matin. Moins de 6 mois avant le 7 octobre 2023. Les sirènes de Yom HaShoah invitent Israël à s’immobiliser en silence durant deux minutes. Au mémorial de la déportation des Juifs de France de Roglit, près de Beit Shemesh, le silence parle français. Quelques centaines de personnes y commémorent la déportation de 80 000 Juifs depuis la France vers les camps nazis. Les discours justes et émouvants des survivants et de leurs descendants, les histoires des Justes, saisissantes et simples, relatent « la banalité du bien ».[1]
Et la France officielle est là aussi, engoncée dans le rôle ambivalent dans lequel Jacques Chirac l’avait très justement placée. N’avait-il pas admis, rompant avec la tradition, « qu’elle avait commis l’irréparable (…) livrant ses protégés à leur bourreaux »[2] ?
Il y a aussi là un jeune israélien né en France 18 ans auparavant. Le verbe haut comme un Israélien mais poli comme un Français, il s’étonne. Quelques heures après la cérémonie, dans une lettre non moins juste et émouvante, il écrit : « …la promesse du ‘plus jamais ça’, est formulée avec en arrière-plan le drapeau français, ce même drapeau sous lequel furent livrés les Juifs aux mains des Nazis. N’y a-t-il pas de contradiction profonde ? ».
Alors oui, la France est toujours officiellement invitée à cette cérémonie. Oui, c’est une autre France que celle de 1942. Mais le drapeau qui flotte et la Marseillaise qui y est entendue sont toujours les mêmes. Il est vrai que cette dernière est précédée d’un imperceptible avertissement un peu gêné : « Pour les Justes ! », comme si ceux-ci avaient plus agi par patriotisme que par humanité. Ajoutant à l’embarras, le discours du Consul Général de France à Tel Aviv révèle sa méconnaissance du terme « négationniste ». Il lui substitue à trois reprises le néologisme incompréhensible de « négotianiste ». Me vient alors à l’esprit que « mal nommer les choses, rajoute au malheur du monde ».
Et ce jeune israélien d’origine française de poursuivre : « Il n’y a pas de grande ville en France dans laquelle un Juif puisse circuler en tant que tel sans risque de se faire attaquer. Il n’y a pas une seule synagogue, un seul bâtiment abritant une institution juive qui ne soit protégée par un policier ou par un système de sécurité ». Cet argument montre que, si la France de 2023 est différente de celle de 1942, elle n’a toutefois pas réussi à se débarrasser d’un antisémitisme rampant, parfois sournois, parfois décomplexé. L’impossibilité d’enseigner la Shoah dans de nombreuses écoles en France à cause de l’opposition de certains élèves musulmans, était déjà dénoncée par Georges Bensoussan dans son ouvrage Les territoires perdus de la République en 2002. Non combattu alors, ce phénomène est encore plus largement répandu aujourd’hui.
Puis est arrivé le 7 octobre 2023. Des Juifs de tous âges, de toutes conditions, de toutes tendances, se font massacrer en Israël par des membres du Hamas et par des civils gazaouis. L’évènement aurait dû constituer une révolution dans la vision du problème israélo-arabe. Il aurait dû faire comprendre que c’est la haine des Juifs qui a pollué et qui pollue encore voire qui torpille toute tentative de coexistence pacifique dans la région. Au lieu de cela, l’antisémitisme que l’on croyait déjà décomplexé jusque-là, s’est littéralement déchainé. En France notamment, se tiennent, avec ou sans autorisation administrative, de multiples manifestations pro-palestiniennes et pro-Hamas. Elles révèlent une forme de haine des Juifs généralisée.
Face à ce tsunami, une initiative civile et citoyenne se dresse. Une « Marche pour la République et contre l’antisémitisme » le 12 novembre 2023 est organisée. Malheureusement, pour le fondateur du parti « En marche », devenu entre-temps Président de la République, cette marche-là ne devait pas l’accueillir. Quelques jours après, tentant de justifier son absence, il explique que son rôle « est de préserver dans cette période, l’unité du pays et de ne jamais envoyer dos à dos, les uns et les autres. » Et il croit bon ajouter de l’huile sur un feu qui heureusement, était éteint : « Protéger les Français de confession juive, ce n’est pas mettre au piloris les Français de confession musulmane »[3]. La marche républicaine réunit 182 000 personnes dans toute la France dans des conditions de civilité sans pareil. Et pourtant, la plus haute autorité de l’État, juge nécessaire de la taxer de « mise au piloris des musulmans ». Bien entendu, l’histoire jugera sans aucun doute, que cette position présidentielle incompréhensible, n’aura ni uni ni dressé la République contre la haine des Juifs. Elle l’aura au contraire désunie tout en favorisant cet antisémitisme.
Selon Emmanuel Macron, simplement marcher contre l’antisémitisme, c’est « mettre au piloris les Français de confession musulmane ».
Sur le front diplomatique, Israël se relève difficilement du massacre du 7 octobre 2023. Une guerre dissuasive est déclarée par Israël, destinée à empêcher les intentions non-dissimulées du Hamas de perpétrer des récidives multiples. La France répète le mantra de la communauté internationale : « Israël a le droit de se défendre dans le respect du droit international ». Elle oublie que cet autre mantra, « plus jamais ça » répété dans toutes les commémorations de la Shoah, signifie que ce droit à se défendre, n’est pas qu’un droit. C’est avant tout un devoir. Le « droit à défendre », devrait en fait s’appliquer à l’attitude de la France vis-à-vis d’Israël. Pour donner vie au « plus jamais ça », c’est la France qui devrait défendre Israël face au Hamas et à son utilisation cruelle de boucliers humains. Cette cruauté du Hamas oblige Tsahal à tuer beaucoup plus de civils que nécessaire pour mettre en place sa dissuasion. L’attitude du Hamas est contraire à l’humanité la plus élémentaire. Utilisant non seulement les otages israéliens mais aussi la population civile gazaouie comme bouclier humain, il commet des crimes malheureusement jamais pris en compte dans les injonctions françaises à l’égard du seul État juif de la planète.
Pour donner vie au « plus jamais ça », la France devrait défendre Israël face au Hamas et à son utilisation cruelle de boucliers humains. Au lieu de cela, elle nous concède un simple « droit à nous défendre », alors que ce devrait être un « devoir à nous défendre ».
Mais ce n’est pas tout. A peine 3 semaines après le massacre du 7 octobre 2023, l’Assemblé Générale de l’ONU approuve une résolution exigeant un cessez-le-feu unilatéral d’Israël, gardant sous silence les exactions du Hamas. 121 pays, principalement non-démocratiques, soutiennent cet appel. Et pourtant, il revient à donner raison au Hamas quitte à laisser Israël être rayé de la carte[4]. Parmi ces 121 états, la France, une des rares démocraties à se joindre à cet appel criminel.
Et ce n’est toujours pas tout. A peine deux semaines plus tard, une résolution semblable recueille l’approbation de la France avec 152 autres pays[5]. L’Allemagne, elle, partenaire privilégié de la France, s’est abstenue à chacun de ces deux votes. Elle ne souhaitait pas joindre sa voix, pour des raisons historiques, à une meute internationale contre l’État juif. Ces scrupules ne touchent malheureusement pas la France.
Le mois d’octobre 2023 n’était pas achevé, que la France se joignait déjà aux dictatures du monde pour voter « pour » une résolution de l’ONU demandant un cessez-le-feu à Israël.
Et encore ceci : un député français membre de l’opposition de gauche, entame une démarche judiciaire à l’égard de « 4 185 soldats de nationalité française (…) en mission au sein de l’armée israélienne, intervenant sur le front à Gaza ». Il estime adéquat de saisir la Procureure de la République afin que des poursuites judiciaires pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et génocide, soient entamés. Dans l’indifférence générale, la France se distingue donc nettement des autres démocraties du monde, par le fait qu’un de ses élus, membre d’un groupe parlementaire non extrémiste, s’attaque à des soldats qui défendent un peuple, le peuple juif qu’à peine 80 ans auparavant, elle livrait à ses bourreaux.[6]
A peine 80 ans se seront écoulés entre le moment où la France livrait ses Juifs à leurs bourreaux, et où un de ses députés saisissait la justice pour poursuivre des Juifs qui défendent, entre autres, des survivants de la Shoah.
Mais encore plus significatif et marquant pour l’histoire : « l’Axe de la Résistance », à la tête duquel se place la République Islamique d’Iran, et qui contrôle le Liban (Hezbollah et Hamas), la Syrie, l’Irak et le Yémen (Houthis). Le massacre du 7 octobre s’est produit au pire sous son instigation, au mieux sous celui du seul Hamas qu’elle soutient. Mais les Houthis en particulier, sont entrés en jeu en tirant des missiles sur le sud d’Israël, et sur des navires commerciaux pénétrant en Mer Rouge. Ces attaques se sont répétées, malgré les mises en garde des pays occidentaux. Mais lorsque l’Occident a décidé de passer à l’action, la France a refusé de s’y associer. Même simplement soutenir la coalition ad-hoc des États-Unis et du Royaume-Uni, était trop pour elle. Comme l’analyse le géopoliticien français Pierre Haski le 13.01.2024 : « La France a estimé que l’attitude américaine dans cette affaire est agressive et non pas défensive. Il y a un piège dans cette histoire, dans lequel les Américains sont peut-être en train de tomber. Celui de renforcer leur image de défenseurs d’Israël. »[7] Entre permettre des pouvoirs dictatoriaux islamiques et génocidaires d’imposer leur loi sur le commerce mondial, et laisser entendre qu’on serait un défenseur d’Israël, la France choisit la première solution. Comment une telle erreur qui elle, pour le coup, sera aussi jugée par l’Histoire, peut-elle être commise ? Comment, la France, peut-elle décider de ne pas attaquer les Houthis, une milice islamiste totalitaire et génocidaire, de peur qu’on l’assimile au camp des défenseurs d’Israël, une démocratie juive ? C’est bien sûr incompréhensible et ne sera pas à porter au bénéfice de la position diplomatique internationale recherchée par la France.
La France préfère laisser agir des milices islamiques contre le commerce mondial, que d’apparaitre comme un « défenseur d’Israël ».
Et pour le Yom Hashoah de 2024 ? Est-il convenable d’inviter à nouveau la France en tant que telle, à la commémoration de la déportation des Juifs de France ? Elle n’a pas compris la notion de « plus jamais ça« , nous en avons la preuve depuis le 7 octobre 2023. Elle pourrait toutefois venir s’inspirer de notre histoire pour ne pas répéter ses erreurs du passé (et celles du présent).
Les organisateurs de la cérémonie de Roglit devraient avoir le courage de montrer à la France qu’après le 7 octobre, rien n’est plus pareil. La France officielle n’a pas compris le « plus jamais ça ». Elle n’a donc pas sa place à Roglit.
A ce titre les représentants officiels de la France devraient être invités à titre personnel uniquement. Espérons que les organisateurs trouveront le courage pour montrer qu’eux aussi ont compris que depuis le 7 octobre 2023, rien n’est plus pareil. Espérons qu’ils auront compris qu’il ne sert à rien d’entretenir des relations « cordiales » avec les représentants officiels de la France, si nous sommes maltraités de la sorte comme nous le sommes depuis le 7 octobre. Nous devons pouvoir dire à la France : « votre conception du plus jamais ça, n’est pas adapté à la réalité post-7 octobre. Votre présence officielle lorsque nous commémorons nos morts, n’est plus souhaitée ».
Alors cette année, que la France se fasse discrète à Roglit. Qu’elle participe réellement au silence du recueillement. Que la Marseillaise et que les discours des représentants officiels de la France… se taisent.
[1] On parle très souvent de la « banalité du mal », mais le bien peut aussi être banal, en particulier celui des Justes.
[2] Allocution mémorable de Jacques Chirac, Président de la République, le 16 juillet 1995, à l’occasion de la commémoration de rafle du Vel d’Hiv en 1942. https://www.fondationshoah.org/sites/default/files/2017-04/Allocution-J-Chirac-Vel-dhiv-1995.pdf
[3] https://www.dailymotion.com/video/x8pnttt
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Résolution_ES-10/21_de_l%27Assemblée_générale_des_Nations_unies
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/United_Nations_General_Assembly_Resolution_ES-10/22
[6] https://twitter.com/Portes_Thomas/status/1737480061165482030
[7] https://x.com/cdanslair/status/1746231992692207699?s=46&t=0LUFE8TJv1ueCg5vOqsbBQ