Quand BHL « danse »

Souvenirs du lycée, c’était il y a trente ans. J’étais en Terminale, au moment où l’on découvre la Philosophie, en tout cas pour moi. A l’unanimité, le Corps Professoral Philosophique Provisoire (le CPPP), pourtant de gauche, se moquait de Bernard-Henri Lévy. Sa réputation était détestable, sa lecture déconseillée. Il était honni, banni des cours, mais ils en parlaient souvent en ricanant sous cape. André Glucksmann faisait partie de la même liste noire.
Moi qui découvrais Démocrite, Socrate, Aristote et tant d’autres, j’entendais dire du mal d’un philosophe contemporain que je n’avais jamais lu, jamais vu, pas même à la télévision. Bien évidemment, cela a aiguisé ma curiosité. Qui était cet homme que l’on souhaitait presque fusiller ?
Il se trouve qu’à l’époque, BHL s’est rendu à Lyon pour donner une conférence à la Maison de la Danse ; je souhaitais le voir. Je n’ai retrouvé aucune trace de son passage sur internet, mais ça devait être en 1992, au moment où il était engagé sur la Bosnie. Je me revois très bien être tombé nez à nez avec lui à l’entrée du Hall. C’était donc lui, l’épouvantail des cours de philo ! Pendant sa conférence, J’ai trouvé l’homme très sympathique, décontracté dans sa parole assis sur l’estrade, beau comme un dieu grec. Mes années d’apprentissage en littérature et en philosophie (aucun diplôme à signaler chez moi sur ces sujets, dilettantisme de fond, plaisir pur), ont approfondi ma connaissance de ce « Nouveau philosophe ».
Ce qui a renforcé mon admiration pour BHL, c’est que Pierre Bourdieu le détestait. Quel scandale ! Damned, un héritier ! Et qui pense ! Juif en plus ! Bernard-Henri Lévy dénonce dans son livre La barbarie à visage humain (1977) la tentation totalitaire dont il s’inquiétait à juste titre en France à l’époque. Nul doute que si elle s’était installée, Javert/Bourdieu l’aurait personnellement arrêté et conduit illico, sans procès, à la guillotine, mais il se serait échappé.
Sur bien des sujets, je suis en désaccord avec Bernard-Henri Lévy, mais les lumières qu’il m’apporte, notamment sur le judaïsme, sont bien plus importantes que nos différences. J’admire l’homme révolté, le virtuose de la langue française, son courage inouï face aux guerres planétaires, aujourd’hui en Ukraine.
François Mitterrand a dit de lui : « J’ai connu Bernard-Henri Lévy alors qu’il venait d’entrer à Normale supérieure. Je me flatte d’avoir pressenti en ce jeune homme grave le grand écrivain qu’il sera. Le voudrait-il qu’il n’échapperait pas au feu qui le brûle. Il a déjà dans le regard, ce dandy, de la cendre. […] Bernard-Henri Lévy, caressé, adulé, propulsé, trituré par les médias… Adieu sourire de connivence, geste ailé d’une main amie, adieu langage à demi-mot ? Non, au revoir ». (L’abeille et l’architecte, Flammarion.)
Quelques preuves de sa virtuosité rythmique, just listen :
« Il y a de puissantes raisons, pour un Juif de ma sorte, de traiter par le mépris cette lèpre de l’esprit qu’est l’antisémitisme. L’une d’elles est qu’on rencontre, dans ces parages, trop d’esprits médiocres qui souillent jusqu’aux mots dont on se sert pour les railler. Une autre est qu’il y a tant de beautés dans le Judaïsme vivant, tant de pensées propres à élever l’âme et à lui donner des raisons d’espérer, que l’on brûle d’y arriver et de les partager. » (L’Esprit du Judaïsme, Grasset 2015).
Et tout récemment, dans un hommage à Alexandre Adler décédé le 18 juillet dernier : « J’ai connu Alexandre Adler, en 1969, rue d’Ulm. Il était érudit et génial. Étudiant communiste et libéral. Ami du jeune Israël et fasciné par l’Union Soviétique et la Chine. Il était à l’heure dans l’amitié et en retard à tous ses rendez-vous. Fou de Blandine et ami de la vérité. Intraitable avec les cons et indulgent avec les ignorants. Il était tendre et loyal. Subtil avec ses adversaires et généreux avec ses copains. »
J’ai lu quelque part que Bernard-Henri Lévy joue du piano, dommage qu’il n’y ait pas d’enregistrement, mais qui sait…