Président Trump II : la messe est dite

La messe est dite
La victoire écrasante, l’invraisemblable comeback de l’ex et futur-président Donald J. Trump annonce le règne des superlatives… Creuses. La voiture sans chauffeur du multimilliardaire Elon Musk, les cryptomonnaies qui flottent dans le vide, l’intelligence artificielle irresponsable, un cabinet rempli de ministres McDo, la Constitution réduite à une feuille de papier qu’on roule en boule et jette à la poubelle, le Congrès et les institutions publiques traités et maltraités comme des domestiques, l’Histoire rétrécie à un tweet, les médias écrasés comme des cafards par X, les juges et les procureurs terrorisés qui courent aux abris, les barons de la high-tech, hier encore woke, se pressant de jurer allégeance au roi en papier mâché dans son palais clinquant de Mar-a-Lago. On prépare une investiture/sacre de pacotille. Et vogue la galère.
Une chape de résignation descend sur les vaincus. À droite, on balaye ces losers de démocrates – Biden endormi depuis janvier 2020, Kamala Harris disparue dans un nuage de fumée – tout juste bons pour s’essuyer les pieds.
La gauche, sonnée, lèche ses plaies et espère se tromper sur le sort que nous réserve le maître du jeu. Une fatigue éthique et politique. Qu’il vienne enfin, que ce soit enfin le 20 janvier, qu’il fasse les miracles promis. Ou pas.
Le peu qui restait du parti républicain jusqu’au 5 novembre 2024 est avalé par le mouvement MAGA. On nourrit le mythe du Trump the Great aux pouvoirs magiques. On crache sur les modestes tentatives de discernement : « des gargarismes de never-Trumpers ».
Le roi est nul
Qu’est-ce qui se passe, au juste ? Un génie de la métapolitique, déjouant les pronostics, a mis le doigt dans l’œil des minables non-croyants. Il monte en triomphe sur le trône de la super-puissance américaine, tenant de la main droite le sceptre de l’exécutif, de la gauche le marteau du législatif, écrasant du pied droit l’indépendance judiciaire et, du pied gauche la presse libre.
Elon Musk, installé sur le côté droit du dieu de Mar-a-Lago, doté d’une liberté excessive, s’occupe de tout. Il a bien le droit. C’est l’homme le plus riche du monde. L’artiste (IA ?) du Time Magazine nous donne un Trump-Man-of-the-Year tout en dignité présidentielle.
Moi, je vois la prise de pouvoir par les urnes d’un homme médiocre aux ambitions démesurées. Le prince Don Jr exulte : Nous avons tous les pouvoirs politiques et par-dessus le marché, le pouvoir médiatique ! Un joyeux coup de pied contre les fondements de la démocratie américaine.
Les pères fondateurs, rescapés des monarchies européennes, ont façonné un système de vérifications et équilibres entre les trois branches du gouvernement. Dépassé. Il ne faut pas brider la révolution MAGA. Ainsi, l’omniprésent Musk et le discret Vivek Ramaswamy, sans mandat ni bride institutionnelle, vont attaquer à la machette les dépenses de l’État.
Cet Elon Musk qui se promène dans les couloirs du Congrès, portant autour du cou un enfant trophée – il en a douze dont plusieurs issus de FIV, de PMA ou de mère porteuse – apporte un poids extraconstitutionnel au président hors-la-loi. Musk dirige, décide, dérape, dépasse les limites au gré de ses caprices. Il pèse sur la politique intérieure et se mêle scandaleusement des affaires étrangères, flattant les ennemis, insultant et complotant contre les alliés.
Un cynisme contagieux
Le cynisme du presque-président est contagieux. Des conservateurs convertis trouvent parade à chaque pronunciamento, se lèvent pour défendre n’importe quelle absurdité, s’échinent pour découvrir, sous des déclarations insensées du Chef, les traces d’une finesse admirable et redressent, par des explications de texte, ses stratégies brinquebalantes. On est prié de reconnaître que les promesses extravagantes du candidat sont légères comme des réclames publicitaires. Ce n’est pas grave.
Il y a un sens profond caché au fond du discours creux et, derrière les outrances, des astuces du maître du deal. Le Groenland, par exemple. Il n’a pas l’intention de l’acheter, certainement pas de le prendre de force. Son intention est simplement de démarrer en position de force des négociations futures.
Quoique, le très sérieux M. G. Dougherty de National Review trouve séduisant la reprise loufoque de la politique du Manifest Destiny. Et Joe Rogan, l’ultra-suivi méga-populaire homme des médias opine : « Ce que je pense, je pense qu’on doit prendre le Canada et filer droit sur le Mexique ». Rogan a réalisé un très long entretien avec Trump quelques semaines avant les élections.
Le Wall Street Journal donne l’amen, avec ce notable quotable : « Je ne mordrai pas l’hameçon. J’ai suivi la conférence de presse. Je prendrai Trump au sérieux mais pas littéralement. Il négocie ».
Si Trump a juré que, aussitôt réélu, il résoudrait le conflit entre la Russie et l’Ukraine en 24 heures, c’était pour fixer dans l’esprit des deux belligérants l’urgence de faire des compromis. Il ne fallait pas le croire sur parole.
Lors de l’importante conférence de presse à Mar-a-Lago, à moins de deux semaines de la prise de fonctions, le président impatient a estimé que ça pourrait prendre six mois. Tout en fournissant, enfin, quelques précisions : Cette guerre meurtrière n’aurait pas eu lieu si l’Ukraine n’avait pas brisé l’interdiction, « gravée dans la pierre », de la présence de l’OTAN sur la frontière russe.
C’est dire, s’il faut le dire mais on dirait que oui, qu’il reprend à son compte la justification poutinienne de l’invasion de l’Ukraine.
Ce qui n’empêche Vladislav Davidzon et Mark Galcotti de s’imaginer un prix Nobel de la paix Poutine-Trump si le président américain réussit à mettre fin à la guerre en (contre ?) Ukraine.
Quand ce cynisme touche le drame des captifs du Hamas, c’est indécent. Au gala de la Saint Sylvestre, un Trump « sapé » pour l’occasion a répondu avec son éloquence habituelle à la question d’un journaliste de CNN sur les négociations pour la libération des otages, apparemment au point mort :
Eh ben on verra. Tu vois c’que j’veux dire, ils ont intérêt à les relâcher bientôt.
Pour étoffer sa tagline : si les otages ne sont pas libérés avant l’investiture ça va « barder grave ». Trump a présenté, lors de la conférence de presse de Mar-a-Lago, son délégué Steve Witkoff, l’homme qui débloquera enfin les négociations. On avait besoin de lui depuis longtemps.

Witkoff, à son tour, a loué les qualités du président Trump, sa démarche, sa stature, tout ce qui manquait pour boucler le deal. Le délégué, promoteur immobilier, qui entretient des liens avec les fonds souverains du Qatar et des EAU, se dit en partance pour Doha, où le Qatar se dévoue à merveille pour les otages.
Encore une petite précision, fournie dernièrement par J.D. Vance : on va permettre aux FDI d’éliminer les derniers bataillons du Hamas (ce n’est pas déjà fait ?) et on va sanctionner ceux qui financent le terrorisme (le Qatar, par exemple ?).
Enfin, deux responsables au courant des négociations de la dernière heure ont parlé au Times of Israel d’une rencontre « tendue » où Witkoff a mis la pression maximale sur le Premier ministre israélien d’accepter les compromis et d’entériner le deal avant l’investiture du 20 janvier.
Des ministres nommés « mépris »
On regardera de plus près les nominations quand elles arriveront devant les commissions du Sénat pour confirmation. Grosso modo, le choix des ministres, surtout les régaliens, est une insulte à la nation. Ils brillent par leur incompétence, manquent d’envergure, d’expérience et d’intégrité, affichant pour certains des mentalités bizarres et des prises de position douteuses sur les questions brûlantes qui les concernent.
Aimables, serviables et proches de leur patron – plusieurs sont des animateurs de Fox News – ils sont fidèles au Chef, pas à la nation ni à la Constitution. C’est une travestie de la démocratie. Ce qui n’empêche mes confrères autrefois conservateurs de trouver des excuses pour ces énergumènes.
Qui va gérer la politique étrangère de l’administration Trump ? Des ambassadeurs-riches-donateurs sans expérience ni connaissances dans le domaine ? Des hauts fonctionnaires détestés et malmenés ? Le président lui-même ? Elon Musk peut-être ?
Imprévisible comme un égaré
Trump II n’a pas vraiment besoin d’une politique ni d’une équipe de relations étrangères : il fait peur. Parce qu’il menace. Et il est imprévisible.
En fait, on lui attribue une gamme de possibilités sans queue ni tête :
- il autorisera Israël à affamer Gaza, à frapper l’Iran ;
- il frappera l’Iran ;
- il cherchera un nouvel accord nucléaire avec l’Iran ;
- il mettra fin à toutes ces guerres inutiles en dictant les conditions : pour Zelensky un cessez-le-feu/reddition, comme la cession de l’Afghanistan aux Talibans ;
- ou bien il lui donnera des armes et des munitions invincibles, Poutine sera KO au bout d’une semaine.
Pour Bibi, qui croit l’avoir dans sa poche, Trump prépare un « deal du siècle » revu et corrigé, avec un retrait de Gaza – remis aux mains de l’Autorité palestinienne – et la promesse d’un État palestinien en échange de l’intégration de l’Arabie saoudite dans les Accords d’Abraham.
En attendant d’avoir peur, le Hamas campe sur ses positions crève-cœur, Poutine bombarde l’Ukraine sans merci, avance en Géorgie, en Afrique, dans les interstices du monde libre.
C’est sur le plan intérieur que Trump fait peur. Il crache du feu et les high-tech et les multinationales wokies se plient, baissent le drapeau arc en ciel, suppriment les toilettes transgenres, cancel la diversité et remballe la censure gauchiste.
Les positions maximalistes de Trump ne sont pas des stratégies d’un négociateur astucieux. Il trafique en pensée magique. Ce sont des non-lieux.
Les petites déceptions
- Des médias réputés avaient relayé de bonne foi le portrait reluisant de Massad Boulos, le beau-père de Tiffany, la fille cadette Trump : milliardaire libanais, chargé pendant la campagne des relations avec la communauté arabo-musulmane, et aujourd’hui conseiller sur le Moyen-Orient de la même persuasion. Est-ce ce transfert de responsabilités de l’intérieur vers l’extérieur qui a imposé la mise au point ? En fait, Massad Boulos n’est ni avocat ni milliardaire et n’a aucun lien avec le richissime Boulos dont on a piqué le CV pour dorer le blason du parent par alliance du président Trump. Son Boulos a quelques maigres intérêts commerciaux au Nigéria et une fortune acquise, de son propre aveu, par son mariage à la richissime Sarah Fadoui.
- Il est difficile de vérifier la liste des invités étrangers à l’investiture de Trump II, mais il semblerait que Bibi n’y figure pas.
- Yaakov Selavan, directeur adjoint du conseil régional, se vante de Trump Heights, l’un des sites touristiques les plus populaires de la région. Ramat Trump, établi en 2019 en reconnaissance de tout ce que le Président Trump le Premier avait fait pour Israël, n’a que 50 à 100 résidents aujourd’hui, mais il y a une liste d’attente de 2000.
Des bolcheviks populistes
Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va me convaincre que la fin justifie les moyens. Je ne salue pas la remise au-devant de la scène du scandale des grooming gangs de l’Angleterre ni l’abandon de la censure (gauchiste) par Meta.
Je ne me contenterai pas du passage des « médias parti-pris » aux « médias marionnettes ». Je ne veux pas d’un esprit public envahi par Musk et ses 200 millions de followers et malléables à merci.
Nous sommes d’accord, le Général Yakovleff et moi, sur l’état des murs de cette administration américaine qui vient : Trump n’a pas de principes. Le général ne se laisse pas impressionner. Trump n’a pas plus de principes que Poutine[1]. Il est devant un défi historique : sauver l’Ukraine. Ou pas.
C’est une opportunité pour l’Europe de s’assumer et devenir autonome face à l’Amérique sous Trump. Oui, c’est vrai, c’est la ruée vers l’ « or Trump ». Même Zelensky le flatte. Oui, il est fort. Mais il n’a pas de principes.
[1] Le 6 janvier, 20:40, face à Darius Rochebin sur LCI.
Publié le 15/01/25 sur Tribune Juive. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.