Pour une réorientation de la politique française au Moyen-Orient
« Quand on ne sait pas où l’on va, tous les chemins mènent nulle part ».
Voilà ce que se plaisait à affirmer Henri Kissinger, ancien secrétaire d’Etat américain et incarnation même de la realpolitik en matière de relations internationales.
Lors de sa carrière, en particulier à la tête du département d’Etat sous l’administration Nixon, le célèbre diplomate fit toujours preuve d’une vision claire et pragmatique : défendre les intérêts de son pays au-delà des divergences politiques. En témoigne sa décision d’opérer un rapprochement des Etats-Unis avec la Chine maoïste afin de limiter l’expansion soviétique, en dépit du fossé idéologique entre les deux pays.
Ce qu’il apparaît possible de tirer de cette leçon de diplomatie demeure la nécessité de conserver un cap, un objectif plus large en termes de politique étrangère que le court-termisme ambiant constitué, pour ainsi dire, par des enjeux économiques et électoraux.
La France, sous Nicolas Sarkozy puis François Hollande semble ne pas avoir saisi cette idée, si chère à l’illustre Talleyrand, d’agir continuellement, uniquement en faveur de ses intérêts. En atteste, la politique menée au Moyen-Orient qui peine à porter ses fruits à l’image de ce qu’ont pu souligner de manière éclatante, les attentats du 13 novembre dernier.
Aussi, je me propose humblement, de suggérer trois pistes de réflexions pour réorienter de manière concluante la politique menée par le Quai d’Orsay au cœur de cet « Orient compliqué ».
Tout d’abord, abordons le dossier syrien où une constatation s’impose : la France n’a pas su « miser sur le bon cheval de course».
En s’alignant sur les pas de Washington, c’est-à-dire en refusant de choisir entre Bachar El-Assad et l’Etat Islamique, François Hollande a fait preuve d’un manque de clairvoyance qui constitue l’une des raisons de l’essor du groupe terroriste.
Il est vrai que seule, la France n’aurait pas eu les moyens de mener des opérations efficaces et constantes contre l’organisation dirigée depuis 2006 par Al-Baghdadi. Mais encore fallait-il qu’il existe une véritable volonté de le faire.
Or, le président Hollande et son prédécesseur ont dès l’amorce de la crise syrienne début 2012 pris la décision d’écarter Assad, non seulement du pouvoir, mais aussi de toutes négociations avec l’opposition.
A ce titre, l’ambassade de France à Damas fût fermée le 8 mars 2012. Pour Paris, le président syrien allait tomber. Cela n’était qu’une question de temps. Il ne fallait surtout pas rééditer l’erreur de vouloir marginaliser les acteurs des Printemps arabes, ceux qui descendaient dans les rues pour réclamer plus de justice sociale ou plus d’ouverture, comme cela avait été le cas en Tunisie.
C’est ainsi que les experts français et américains, ne donnant pas cher de la peau du « boucher de Damas », incitèrent leurs gouvernements respectifs à exclure Assad de toute transition politique.
Ici se trouve le péché originel de la diplomatie française dans la région qu’il faut désormais absoudre. En acceptant de collaborer étroitement avec les forces russes et une large coalition internationale dont feraient partie les Etats arabes pour en finir une fois pour toute avec le problème Daesh (sur le terrain du moins).
Cela pourrait passer non seulement par une coordination en termes de collecte et de partage de renseignements, mais aussi par l’envoi de troupes des forces spéciales sur le terrain voire plus, éventuellement sur le modèle de l’opération Tempête du désert intervenue lors de la première guerre du Golfe.
Bien entendu, il faudra renforcer le soutien aux peshmergas kurdes qui luttent déjà de manière efficace face aux éléments issus de l’islam radical.
Une fois, Daesh et ses soutiens vaincus, il sera question d’entamer un dialogue entre les forces les moins radicales de l’opposition syrienne, qui devra d’ailleurs en finir avec les querelles internes, et le pouvoir d’Assad qui ne s’écroulera pas de sitôt.
Quoi qu’il en soit, cela passe nécessairement par un dialogue accru avec la Russie qui n’est pourtant pas un exemple de démocratie ou de tolérance, mais qui a ici les mêmes intérêts que la France.
De même, une action plus efficace en Syrie passe par le retour à un langage de vérités auprès des pays arabes, notamment avec les monarchies du Golfe.
Il est de notoriété publique que des Etats comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar constituent les quelques-uns des grands argentiers de l’Etat islamique et des groupes islamistes radicaux qui pullulent dans la région.
Paris souhaite garder de bonnes relations avec ces alliés historiques du fait de la manne nécessaire représentée par leurs ressources naturelles et leurs investissements nombreux et variés.
Toutefois, il est l’heure pour la diplomatie française de faire un choix : soit continuer de soutenir sans condition des pays qui financent non seulement de nombreux groupes terroristes, mais aussi la radicalisation de la shebab musulmane au sein de plusieurs mosquées en territoire français ; soit, discuter de manière franche et ferme avec ces Etats du Golfe pour qu’ils cessent définitivement leur incitation à la haine, quitte à perdre de juteux contrats d’armements et d’éventuels investissements prometteurs, en particulier dans les banlieues.
Le double-jeu de l’Arabie Saoudite, du Qatar ou des Emirats, n’est plus acceptable.
La France ne doit pas craindre de taper du poing sur la table, quitte à perdre l’illusion de partenariats financiers a priori intéressants.
Elle ne peut transiger sur sa sécurité et doit s’atteler à trouver d’autres partenaires en ce qui concerne les investissements sur le territoire national et les matières premières (pétrole, phosphate) qui constituent un domaine prépondérant des échanges économiques avec les pays du Golfe.
Ainsi se pose la question de la poursuite de la politique pro-arabe appliquée par le Quai d’Orsay depuis la fin de la décolonisation. Au nom de quoi faudrait-il approfondir une coopération avec des Etats qui ne partagent ni les valeurs de la République, ni ses intérêts géopolitiques et sécuritaires ? N’y a-t-il pas une incohérence de facto dans cette relation tant préservée avec le Golfe, dans la mesure où celle-ci apparaît à double tranchant ?
Voilà donc une question sur laquelle les décideurs politiques pourraient se pencher. En lien avec celle-ci, se trouve la position de la France dans le conflit israélo-arabe.
Depuis 1967, tous les présidents français n’ont eu de cesse d’adopter une partialité manifeste, contre-productive et surtout opposée aux intérêts du pays, en faveur des palestiniens et plus globalement du monde arabe, quasiment entièrement hostile à Israël. Ce qui demeure pourtant frappant, c’est que le terrorisme qui a frappé la semaine dernière à Paris, frappe aussi, de façon malheureusement plus fréquente, à Tel-Aviv.
Il est l’œuvre d’un islam radical alimenté par une éducation et une incitation violente et permanente. On se souvient notamment du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui déclarait que les « Juifs profanent Al-Aqsa » et qu’à ce titre « chaque shahid sera dans le ciel et chaque personne blessée sera récompensée, par la volonté d’Allah ».
La similitude entre une telle rhétorique et celle d’un Al Bagdadi ou d’un Al Souri est flagrante.
Dès lors, à quoi bon continuer de soutenir des dirigeants qui érigent l’islam radical en modèle ?
A quoi bon poursuivre un soutien à une Autorité palestinienne qui refusa à plusieurs reprises (2001, 2007) les offres de paix israéliennes, correspondant alors en partie à ses revendications ?
Il est désormais temps de comprendre que l’Etat hébreu est l’avant-garde de l’Europe et de l’Occident en général face à la pieuvre mouvante de l’islamisme radical.
Son combat n’est pas celui des Juifs, mais bien celui de tous ceux qui s’opposent à l’extrémisme islamiste.
Ce n’est pas en soutenant coûte que coûte la création d’un Etat palestinien que la France sera sauvée de la menace islamiste. Egalement, ce n’est pas parce que la France critique machinalement Israël qu’elle sera épargnée par la folie djihadiste.
Bien au contraire.
C’est justement en redoutant la fermeté, en montrant sa peur de dénoncer avec vigueur la violence palestinienne que la France perd de sa crédibilité, de sa résolution à lutter avec force contre les terroristes de Daesh.
Ainsi, il serait souhaitable d’envisager une coopération accrue avec l’Etat juif tant sur le plan politique que militaire.
Non pas pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il en va bien de intérêts français, par exemple en matière de lutte contre le terrorisme.
Effectivement, comme le révélait Jean-Michel Fauvergue, directeur du RAID, son équipe s’est « servi de l’expérience et de techniques utilisées en Israël » pour stopper la folie meurtrière des assaillants de Paris et de Saint-Denis.
La France a donc tout à gagner à renforcer sa relation avec Israël, un pays qui pourrait être une source d’inspiration dans sa lutte quotidienne contre la barbarie islamiste.
Voilà donc les trois aspects principaux de la politique française au Moyen-Orient qui seraient susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre de l’éradication de Daesh et d’autres groupes issus de l’islam radical.
Cette vision de la France à l’international correspond, à mon goût, au meilleur moyen d’éviter certaines erreurs du passé et d’adopter une attitude pragmatique fondée sur la compréhension d’enjeux de long terme.
Toutefois, il reste évident que ces actions ne suffiront pas à elles seules pour affronter et vaincre la menace extrémiste.
Elles devront pour cela être accompagnées de mesures sur le plan intérieur, par exemple au niveau de l’éducation et du contrôle de certains propos sur la Toile.