Politisation de l’administration israélienne
Il est normal que les dirigeants d’un pays fassent des choix politiques pour gérer les affaires publiques ; ce qui est illégitime, c’est l’intervention des politiciens pour nommer des fonctionnaires ou influencer leurs décisions.
En Israël, la politisation croissante de l’administration est une autre facette de l’affaiblissement de la démocratie qui accompagne la réforme en cours du système judiciaire.
Après les lois « personnelles » qui visent à favoriser une personne en particulier (comme les projets de « loi Déry » et de « loi sur la destitution d’un Premier ministre »), le gouvernement Netanyahou n’hésite plus à intervenir dans la nomination des fonctionnaires, voire à influencer leurs décisions, remettant en cause l’indépendance politique de l’administration.
Les exemples de ces dernières semaines ne manquent pas, depuis les conseillers juridiques jusqu’aux fonctionnaires de police. Si les tentatives de politisation de l’administration israélienne étaient couronnées de succès, la démocratie israélienne basculerait indéniablement vers un modèle illibéral représenté par la Hongrie d’Orban, la Pologne de Kaczynski, la Turquie d’Erdogan, voire le Vénézuéla de Chavez, qui ont mis en œuvre des mesures semblables.
Conseillers juridiques
Le gouvernement israélien voudrait modifier la fonction de conseiller juridique qui existe dans chaque ministère, et notamment les modalités de recrutement des conseillers juridiques ministériels ; ils seraient choisis par le pouvoir exécutif et leurs postes seraient marqués par un lien de confiance, à la discrétion du ministre concerné et révocables à tout moment.
La Hongrie a connu une réforme semblable visant à affaiblir toute opposition judiciaire au pouvoir exécutif. Le gouvernement hongrois a nommé des membres du parti au pouvoir à la tête des institutions juridiques ; dorénavant, juges et conseillers juridiques sont à la solde du gouvernement qui échappe à tout contrôle ou critique.
Banque d’Israël
Il y a quelques semaines, le ministre israélien des Affaires étrangères Elie Cohen n’a pas hésité à critiquer publiquement la décision de la Banque centrale de relever les taux d’intérêt ; il a même suggéré que cette dernière arrête les hausses qui, selon lui, nuisent surtout aux consommateurs.
Des atteintes à l’indépendance de la Banque centrale sont monnaie courante en Hongrie et en Turquie. Le gouvernement hongrois n’a pas hésité à couper dans le salaire du gouverneur de la banque centrale pour le contraindre à démissionner, conduisant à l’envolée de l’inflation et à la fuite des capitaux. En Turquie, le président Erdogan a récemment fait pression sur le gouverneur de la Banque centrale pour abaisser le taux d’intérêt directeur malgré une inflation galopante (90%) ; à contre-courant des théories économiques, le président turc estime que des taux d’intérêt élevés favorisent l’inflation au lieu de la combattre.
Institut de la Statistique
Récemment, Benyamin Netanyahou envisageait de nommer le directeur général de son cabinet Yossi Shelli (qui est aussi son homme de confiance) à la tête de l’Institut israélien de la Statistique (CBS). Bien que cette proposition n’ait pas abouti, la seule pensée de vouloir nommer un proche de Netanyahou, dépourvu de formation statistique, à un poste qui exige du professionnalisme et de l’indépendance, confirme l’ingérence du politique dans l’administration israélienne.
Des nominations politiques semblables ont eu lieu en Hongrie, Pologne et Vénézuéla, dans le but de fournir au pouvoir exécutif des données statistiques qui permettraient de confirmer des décisions politiques qui vont parfois à l’encontre de la réalité économique.
Bibliothèque nationale
La proposition du ministre de l’Education Yoav Kisch de mettre sous sa tutelle la nomination des membres du directoire de la Bibliothèque nationale est une autre forme de politisation d’institutions nationales qui devraient bénéficier d’une indépendance du pouvoir. En fait, il s’agit d’une tentative de déloger l’actuel recteur de la Bibliothèque, Shay Nitsan, ex-procureur de l’Etat au moment de la mise en accusation de Netanyahou pour corruption.
La politisation des institutions scientifiques est courante dans les pays dirigés par des gouvernements populistes et autoritaires qui essaient d’affaiblir la liberté d’expression et de pensée en mettant sous leur coupe les universités, leurs étudiants et enseignants-chercheurs.
Au total, la tentative de politisation des institutions nationales qui doivent leur force à leur indépendance du pouvoir central (comme l’Institut de la Statistique, la Bibliothèque nationale, les universités et la Banque d’Israël), illustre la mainmise croissante du gouvernement sur la vie scientifique et l’administration publique.