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Peut-on encore avoir la foi après le 7 octobre ?

Un homme se détache sur le soleil couchant alors qu'il se tient en équilibre sur un fil sur une plage de la ville côtière israélienne de Tel Aviv, le 19 avril 2024. (Photo de AHMAD GHARABLI / AFP)
Un homme se détache sur le soleil couchant alors qu'il se tient en équilibre sur un fil sur une plage de la ville côtière israélienne de Tel Aviv, le 19 avril 2024. (Photo de AHMAD GHARABLI / AFP)

C’était il y a 9 mois. Presque rien. Une éternité.

Sauf à n’avoir aucune conscience, on ne sort pas indemne de la vision des crimes indicibles perpétrés par le Hamas le 7 octobre. J’ai presque honte d’écrire ça, de parler de ne pas être « indemne », alors qu’une vision à distance, depuis un autre pays, derrière un écran, est dérisoire si on la compare à celle des équipes d’intervention et de secours qui sont allées sur place. Bien plus dérisoire encore face à ce qu’ont enduré les victimes de cette immense et immonde razzia. Et pourtant.

J’en ai lues, des pages et des pages traitant de la théodicée – penser Dieu malgré le Mal. D’Homère à Hans Jonas en passant par Hippocrate : penser les Dieux malgré la guerre, malgré l’esclavage, malgré la peste et la mort des enfants, penser Dieu malgré Auschwitz. Des fulgurances inspirées et de savantes constructions intellectuelles. Plus ou moins convaincantes. Plus ou moins pertinentes face à l’irruption concrète du Mal. Je ne savais pas si ma foi résisterait à la vision abominable du 7 octobre, mais après tout, des convictions qui ne résistent pas au réel ne méritent pas d’être préservées.

Alors j’ai regardé. J’ai regardé ce qu’il faut bien appeler le Mal, parce qu’on se mentirait à soi-même en se contentant d’un autre mot. Pogrom, razzia, crime contre l’Humanité : oui, le 7 octobre est tout cela. Mais ces notions restent trop superficielles. Ce dont il est question vient de beaucoup plus loin que de la seule cruauté humaine, de la sauvagerie humaine, de la barbarie humaine. C’est quelque chose d’autre, qui a pris possession de ces instruments volontaires, ces instruments criminels qui se sont volontairement offerts à cette possession, pour se manifester en épiphanie d’abomination. « Ils sont tous possédés par un dieu barbare » disait CG Jung des Allemands en avril 1939.

Le 7 octobre, les fous d’Allah ont violé, torturé et tué, partout où ils l’ont pu, des femmes devant leurs maris, des maris devant leurs femmes, des enfants devant leurs parents, des parents devant leurs enfants.

Bien des religions ont imaginé les tourments de l’Enfer. Le Hamas a fait pire, pire que le Tartare, pire que les descriptions de Dante : il a obligé des gens à regarder, impuissants, pendant qu’il infligeait l’Enfer à ceux qu’ils aimaient, et à entendre leurs cris de détresse sans pouvoir rien faire, en sachant que d’autres tortures allaient venir, encore, et encore. Et le Hamas s’en est vanté. Il a proclamé à la face du monde ce qu’il avait fait, proclamé qu’il avait joui de le faire, proclamé qu’il était fier de l’avoir fait. Et qu’il avait bien l’intention de recommencer.

Comment, après ça, croire encore ? Comment croire encore qu’il y aurait une espérance, un sens, une dignité ? Comment croire encore que croire puisse être autre chose que du déni, une fuite loin de la réalité, une manière puérile de se rassurer ?

Et pourtant. Je ne peux qu’en témoigner, ma foi n’est pas morte. Car la vraie question n’est pas « comment le Divin peut-il exister, alors qu’il y a tant de Mal dans le monde ? » mais plutôt « alors qu’il y a tant de Mal, comment autre chose que l’Enfer pourrait-il exister s’il n’y avait pas le Divin ? »

En toute logique, en pure rationalité, ce qui s’est déchaîné le 7 octobre contre Israël devrait submerger le monde, l’écraser de ténèbres. Le Mal, puisqu’il peut se manifester avec une telle intensité, puisqu’il peut repousser à ce point les limites de l’abjection, devrait être irrésistible. Et comment pourrions-nous l’empêcher de tout engloutir ? L’Homme est capable d’une grandeur admirable, mais même le plus noble des héros pourrait-il arrêter un raz-de-marée capable de balayer des pays entiers ? Pourtant le monde demeure, cosmos et non chaos, semé d’ombre mais aussi de lumière, de beauté, de bonté, de joie.

Le raz-de-marée d’obscurité s’est abattu, et il n’a pas tout emporté. La terre a été blessée, mais elle n’a pas été brisée. Comment ? Pourquoi ? Face à tant de malveillance, tant de cruauté, tant de haine, un simple rocher derrière lequel le monde serait comme par hasard installé n’aurait pas suffi. Le tourbillon d’horreur l’aurait inexorablement rongé, noyé, contourné, et aurait tout détruit. Penser qu’il n’y aurait là que du hasard serait irrationnel.

C’est donc qu’un bouclier nous protège, et qu’une volonté le maintient, qu’une détermination le tient. Sinon le bouclier serait renversé, et le Cosmos entier serait dominé, soumis, réduit en esclavage par le Mal. C’est qu’il y a un rempart, et que quelqu’un se tient sur le rempart, veille, et combat. Et contient, pour l’essentiel, ce que l’on appelle le Mal. Comme les défenseurs d’une cité, les armes à la main, maintiennent une armée ennemie de l’autre côté des murs d’enceinte, malgré les assauts incessants ; et même si parfois un groupe d’assassins parvient à franchir la muraille et à frapper, toujours le gros des troupes ennemis est repoussé.

C’est Athéna terrassant Encelade. C’est l’Archange triomphant du Démon. Quelqu’un tient le bouclier. Quelqu’un veille sur le rempart. Quelqu’un combat, inlassablement, bien en deçà et bien au-delà de nous, ce qui s’est montré le 7 octobre dans sa monstruosité et qui, pourtant, n’a pas tout emporté. L’amour et le courage ont encore un sens, l’existence reste féconde, une lumière peut resplendir dans les ténèbres.

Et le combat contre le Mal peut aussi être le nôtre. Doit aussi être le nôtre. C’est une tâche pour laquelle nos forces ne suffisent pas, mais ne sont pas inutiles. Une tâche qui vient de plus loin que nous et nous dépasse, mais à laquelle nous pouvons néanmoins et donc devons contribuer. Nous pouvons joindre nos efforts à ceux qui depuis toujours tiennent le bouclier, veillent sur le rempart, repoussent l’ennemi. C’est une fraternité d’armes à laquelle nous sommes appelés, et c’est peut-être le sens même de notre dignité d’êtres humains.

Et c’est peut-être ainsi que nous pouvons encore avoir la foi.

Je ne suis pas Juif. Je vénère les dieux d’Eschyle, d’Aristote et de Plutarque. Les dieux d’Alexandre, qui fit alliance avec le Grand Prêtre devant les portes de Jérusalem, et je n’oublie pas cette alliance.

Je ne suis pas Juif, mais je suis honoré de pouvoir prier aux côtés du peuple Juif.

Am Israël Haï !

à propos de l'auteur
Haut-fonctionnaire en charge de la sécurité intérieure, et passionné par l'histoire des religions.
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