Parcours d’un Roumain, pas si ordinaire…

Extrait du témoignage de Léon Moïse Rosenfeld en 1971 – Yad-Vashem ©
Extrait du témoignage de Léon Moïse Rosenfeld en 1971 – Yad-Vashem ©

Tout commence par un témoignage déposé à Yad-Vashem par Leon Moise Rosenfeld en 1971 qui réside rue de la Convention à Paris dans le 15e arrondissement. Il déclare alors que son frère Avram-Hers Rosenfeld, né en 1899 à Botosani (Roumanie), fils de Rosalie et de Jakob, qui demeure à Mulhouse (France) avant la guerre, époux de Denise, est déporté en mars 1944 de France.

C’est à Ştefăneşti-Târg dans le judet de Botoșani que l’on trouve trace de la naissance d’Avram Hers. Cette commune compte une forte communauté juive et même un cimetière israélite, la communauté a compté jusqu’à 2000 membres. Né le 16 octobre 1899, il est le fils de Iancu Rosenfeld né en 1870 à Buzau, commissionnaire en céréales et de Rosalie née Goldenberg née en 1879 à Dângeni.

L’entrée du cimetière israélite de Ştefăneşti-Târg – Photo Charles Burns ©

Il arrive en France dans les années 1920 et s’installe dans plusieurs communes de France, d’abord à Fournial près de Molèdes dans le Cantal puis à Haut-du-Them-Château-Lambert en Haute-Saône. Enfin, il s’installe comme ingénieur-chimiste-frigoriste à Besançon dans le département du Doubs. C’est là qu’il rencontre celle qui devient son épouse en 1929, Denise Léonie Mathilde Perrin. Catholique, née à Besançon le 26 janvier 1906 elle est la fille de Jules Perrin, percepteur et de Mathilde Léonie née Wuilleumier, directrice d’école. Dès lors il demande sa naturalisation qu’il obtient en août 1930.

Naturalisation – Archives Nationales BB/34/472 ©

Il doit à présent faire son service militaire. Il est mobilisé à Mulhouse avec la classe 1930 sous le prénom d’Alfred. Matricule de recrutement 2193, il intègre le 106e Régiment d’Infanterie dont la garnison est à Reims et est soldat de 2e classe. C’est dans le 26e Bataillon d’Infanterie qu’il fait son service militaire puis rejoint son épouse et en 1933, nait à Besançon, Pierre Arnold leur fils, Ϯ 1997 à Besançon.

Recrutement à Mulhouse – DAVCC ©

Le couple d’installe en 1930 à Mulhouse et le dernier employeur d’Avram Hers est S.A. Autofrique – 71, rue Chardon-Lagache à Paris dans le 16e arrondissement. Lors de la déclaration de guerre, en septembre 1939, il s’engage pour la durée de la guerre et rejoint son régiment, le 106e R.I. à Saint-Etienne. Il est fait prisonnier le 17 juin 1940 dans les alentours de Dijon et interné dans le Frontstalag (camp de prisonnier de guerre sur le front) de Troyes, au camp de Saint-Julien-des-Villas dès le 17 juillet 1940.

amp de Saint-Julien-des-Villas (actuel Marques-Avenue) – Carte Postale ©
DAVCC ©

A une date inconnue, il s’évade du camp et rejoint son épouse réfugiée à Lyon. Il reste avec son épouse et son fils et vit dans la clandestinité jusqu’en janvier 1943. A cette date, il décide de rejoindre la « France Libre » en Afrique du Nord et décide de passer par l’Espagne. C’est à la frontière espagnole qu’il est arrêté par les Espagnols et remis aux autorités allemandes puis interné à Perpignan. Transféré le 3 février 1943 vers Drancy, il reçoit le matricule 3824. Son statut de prisonnier de guerre et parce qu’il est marié à une catholique conduit à ce qu’il ne soit pas déporté vers le camp d’extermination d’Auschwitz et il est transféré le 9 mars 1943 vers le camp de Beaune-la-Rolande dans le Loiret.

Vue des baraquements du camp de Beaune-la-Rolande – Bundesarchiv ©

Le 9 juillet 1943, il est transféré au camp de travail de Saint-Péravy-la-Colombe où il fait la connaissance d’André Meyer de Benfeld qui témoigne après la guerre lors de l’enquête de la Gendarmerie pour l’attribution de la Mention Mort pour la France en faveur d’Alfred Rosenfeld. Dès octobre 1943, Alfred et André sont affectés au camp « Lager-Ost » chez Lévitan, rue Saint-Martin à Paris.

Le pillage de l’ensemble des propriétés juives et baptisée « Möbel Aktion » (opération meuble) est mise en œuvre par la « Dienststelle Westen » qui agit dès le printemps 1942 et identifie les logements dont les occupants juifs sont absents. Des entreprises de déménagements, réquisitionnées pour l’occasion les vident ensuite de leur contenu. Durant l’été 1943, elle réquisitionne le magasin Lévitan en procédure d’aryanisation qui devient le Lager-Ost. Les prisonniers temporairement exclus de la déportation comme les femmes de prisonniers de guerre, les prisonniers de guerre évadés et repris comme Alfred ou les conjoints d’aryens sont loués à la Dienststelle. 120 internés du camp de Drancy sont ainsi transférés au Lager-Ost Lévitan le 18 juillet 1943. Là, ils trient les objets spoliés, vident les caisses, nettoient et emballent.

Objets saisis lors des spoliations et qui sont triés au camp Lager Ost – Bundesarchiv ©

Le 11 avril 1944, suite à une altercation avec un officier allemand, le sort d’Alfred est scellé et il est rapatrié vers Drancy où le Chef de la Police du Camp lui saisit 120 Francs et stipule qu’il arrive du camp de Lévitan. Deux jours plus tard, il est embarqué dans le convoi n°71 en direction du camp d’extermination d’Auschwitz. Sélectionné pour le travail, il est interné au camp annexe de Monowitz et mis au travail à Ustroń d’où il envoie un dernier courrier à son épouse. Ce sera le dernier signe de vie d’Alfred Rosenfeld.

Un acte de disparition est établi dès le 19 octobre 1946 et son acte de décès est dressé par jugement déclaratif de décès à Besançon fixant la date de son décès au 13 avril 1944 sans préciser le lieu. Il obtient la mention Mort pour la France le 5 janvier 1950, le statut de déporté politique le 23 février 1955. En 1997, on lui attribue la mention Mort en Déportation tout en modifiant son acte de décès au 18 avril 1944 à Auschwitz en Pologne.

à propos de l'auteur
Christophe Woehrle est docteur en histoire contemporaine - Chevalier de l'ordre des arts et des lettres
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