Parashot Nitsavim-VaYelekh, le regard de l’humaine conscience

La lecture de la parashat Nitsavim[1] précède toujours la fête de Rosh-HaShana, du Nouvel an hébraïque.

Quelle raison explique cette lecture traditionnelle ?

La principale raison réside dans la répétition de la racine hébraïque ש.ו.ב/Sh.Ou.V [B] signifiant « retourner, revenir » vers l’Eternel qui constitue le motif essentiel de Rosh HaShana :

ב וְשַׁבְתָּ עַד-יְהוָה אֱלֹהֶיךָ וְשָׁמַעְתָּ בְקֹלוֹ כְּכֹל אֲשֶׁר-אָנֹכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם אַתָּה וּבָנֶיךָ בְּכָל-לְבָבְךָ וּבְכָל-נַפְשֶׁךָ. (דברים ל: ב; ח; י)

2 Et tu retourneras jusqu’à l’Éternel, ton Seigneur, et tu obéiras à Sa voix en tout ce que je t’ordonne aujourd’hui, toi et tes enfants, de tout ton cœur et de toute ton âme (Deutéronome 30 : 2 ; 8 ; 10).

La notion de Teshouvah ou Retour vers la Divinité constitue, en effet, l’un des piliers fondamentaux de la Tradition d’Israël. Il n’est point de femme ni d’homme qui soit incapable de réparer les fautes commises.

La réparation de la faute commence tout d’abord par sa reconnaissance.

Le premier homme à reconnaître l’ampleur et la gravité de son crime n’est autre que Caïn :

יג וַיֹּאמֶר קַיִן אֶל-יְהוָה גָּדוֹל עֲוֺנִי מִנְּשֹׂא. (בראשית ד: יג)

13 Et Caïn dit à l’Éternel : « Mon crime est trop grand pour qu’on me supporte. (Genèse 4 : 13).

Alors que la source biblique rapporte les propos de Caïn sous forme d’affirmation, Rashi interprète ceux-ci sous forme de question : interprète ceux-ci sous forme de question :

 ש «גָּדוֹל עֲוֹנִי מִנְּשוֹא. בִּתְמִיהָ אַתָּה טוֹעֵן עֶלְיוֹנִים וְתַחְתּוֹנִים וַעֲוֹנִי אִי אֶפְשָׁר לִטְעוֹן» (בראשית רבה כב: יא) (רש »י על הפסוק בראשית ד: יג)

« Ma faute est trop grande pour être supportée : C’est une question : Tu supportes les mondes d’en-haut et d’en-bas, et ma faute, tu ne la supporterais pas ? (Genèse Raba 22, 11). (Rashi sur le verset Genèse 4 : 13).

En somme, Caïn en appelle à l’Eternel afin que son irréparable crime soit pardonné. La racine du verbe נ.ש.א./N.S.A. signifie également « pardonner ». L’on peut aussi traduire le verset ainsi :

« 13 Et Caïn dit à l’Éternel : Mon crime est-il trop grand pour être pardonné ? » (Genèse 4 : 13).

Dans le très beau poème de Victor Hugo « la conscience », Caïn est décrit comme voulant échapper à sa propre conscience qui n’a de cesse de le poursuivre et de le rattraper. Cette fuite est vouée à l’échec :

« Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn ».

La reconnaissance de la faute engendre le pardon divin et par voie de conséquence le repos de la conscience :

יג  מְכַסֶּה פְשָׁעָיו לֹא יַצְלִיחַ וּמוֹדֶה וְעֹזֵב יְרֻחָם. (משלי כח: יג)

13 Celui qui couvre ses péchés ne réussira point ; qui les reconnaît et y renonce obtient miséricorde. (Proverbes 28 : 13).
David, comme Caïn, reconnaît la faute qu’il commet envers Bat-Sheva :

ה  כִּי-פְשָׁעַי אֲנִי אֵדָע  וְחַטָּאתִי נֶגְדִּי תָמִיד. (תהלים נא: ה)

5 Car je reconnais mes fautes, et mon péché est sans cesse sous mes regards. (Psaume 51 : 5).
La notion de Teshouvah touche à ce qu’il y a de plus intime en l’Homme, à savoir sa conscience morale. La chute de l’Homme est toujours d’ordre moral.

A la faute individuelle, s’ajoute la faute collective d’une civilisation entière. Ainsi, le déluge frappe le monde en raison de l’expansion de la violence générale qui y règne. Sodome et Gomorrhe disparaissent à jamais car y réside un désordre moral absolu officiellement ancré dans la loi comme cela fut le cas pour le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Le prophète Isaïe en arrive même à comparer Jérusalem à ces deux cités corrompues, Sodome et Gomorrhe et ne cesse de porter de graves accusations à l’encontre de celle qui, autrefois, fut appelée « la Cité fidèle [קִרְיָה נֶאֱמָנָה Kiriah Ne’emana] » et ses responsables politiques qui, exploitant sans honte aucune la veuve et l’orphelin, profanent le Nom de l’Eternel :

י שִׁמְעוּ דְבַר-יְהוָה קְצִינֵי סְדֹם הַאֲזִינוּ תּוֹרַת אֱלֹהֵינוּ עַם עֲמֹרָה. יא לָמָּה-לִּי רֹב-זִבְחֵיכֶם יֹאמַר יְהוָה, שָׂבַעְתִּי עֹלוֹת אֵילִים וְחֵלֶב מְרִיאִים; וְדַם פָּרִים וּכְבָשִׂים וְעַתּוּדִים, לֹא חָפָצְתִּי. (ישעיהו א: יא).

10 Ecoutez la parole de l’Eternel, magistrats de Sodome ; entendez l’enseignement de notre Seigneur, peuple de Gomorrhe ! 11 Que m’importe la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur. Je suis saturé de vos holocaustes de béliers, de la graisse de vos victimes ; le sang des taureaux, des agneaux, des boucs, je ne le désire point. (Isaïe 1 : 10-11).
Le Rav Avraham Its’hak HaCohen Kook, s’inspirant de la pensée kabbalistique, défend la thèse d’une Teshouvah cosmique s’exprimant par l’élévation de la conscience morale de toute l’Humanité :

 ש «בָּעֲלִיַת רְצוֹנוֹ שֶׁל אָדָם, כָּל הַבְּרוּאִים מִתְעַלִים, וּבְשִׁפְלוּתוֹ כֻּלָּם נִשְׁפׇּלִים, הָאֲחׇרִיוּת הַמּוּסָרִית הַקּוֹסְמִית הָרָזִית הַזּאֹת כַּמׇּה פְּשֻׁטׇּה יְשָׁרָה וְטִבְעִית הִיא… כָּל מַה שֶׁהַמַּחְשָׁבׇה מִתְרוֹמֶמֶת, מִתְעַדֶּנֶת וּמִצְטַחְצַחַת, הֲרֵי הׇאׇדׇם וְהָעוֹלׇם מִתְרוֹמְמִים, מִתְעַדְנִים וּמִצְטַחְצְחִים» (אורות התשוב קובץ ב’- ו’)

« Lorsque s’élève la volonté de l’Homme, toutes les créatures s’élèvent et dans sa chute, toutes chutent, cette responsabilité morale cosmique cachée est ô combien simple droite et naturelle… Plus la pensée s’élève, s’affine et se purifie, alors l’Homme et le monde s’élèvent, s’affinent et se purifient » (« Les lumières de la Teshouva », Kovets 2-6).

Cette thèse d’un monde sans cesse progressant dans le sens du Bien est, selon toute vraisemblance, inspiré par le kabbaliste italien Rabbi Moshé Haïm Luzzato (1706/7-1746) :

   ש «כִּי אִם הָאָדָם נִמְשָׁךְ אַחַר הָעוֹלָם וּמִתְרַחֵק מִבּוֹרְאוֹ, הִנֵּה הוּא מִתְקַלְקֵל וּמְקַלְקֵל הָעוֹלָם עִמּוֹ, וְאִם הוּא שׁוֹלֵט בְּעַצְמוֹ וְנִדְבָּק בְּבוֹרְאוֹ וּמִשְׁתַּמֵּשׁ מִן הָעוֹלָם רַק לִהְיוֹת לוֹ לְסִיּוּעַ לַעֲבוֹד בּוֹרְאוֹ, הוּא מִתְעַלֶּה וְהָעוֹלָם עַצְמוֹ מִתְעַלֶּה עִמּוֹ».

« Car si l’homme se laisse séduire par le monde et s’éloigne de son Créateur, il se détruit et détruit le monde avec lui. Au contraire, s’il a la maîtrise de soi et s’unit à son Créateur, en ne considérant le monde qu’en tant que moyen de servir Dieu, il s’élève et le monde s’élève avec lui ». [2]

La vision biblique évoquée dans la parashat Nitsavim relative à la faute humaine ouvre de nombreuses perspectives positives à l’Humanité. Celle-ci détient toujours le pouvoir de réparer le mal car la Teshouvah est proche de l’Homme. Elle ne se trouve ni dans les cieux ni au-delà des océans mais elle réside en son cœur !

יד כִּי-קָרוֹב אֵלֶיךָ הַדָּבָר מְאֹד בְּפִיךָ וּבִלְבָבְךָ לַעֲשֹׂתוֹ. (דברים ל: יד)

14 Car la chose est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour l’observer ! (Deutéronome 30 : 14).

[1] Parashot Nitsavim-Vayelekh : Deutéronome 29 : 9-31 : 30.
[2] « Messilat Yesharim /Le Sentier de la rectitude », Ram’hal (Partie 1, traduction Aron Wolf et Jean Poliatschek, p. 36 Edition PUF).

Shabbat shalom !

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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