Parashat VaYe’hi, Méditation sur le sens de la Vie

En hommage aux soldats israéliens tombés au champ d’honneur lors de la guerre «  חַרְבוֹת בַּרְזֵל ‘Harvot Barzel – Glaives de Fer ».

La parashat VaYe’hi[1], la dernière des péricopes composant le livre de Bereshit (Genèse), s’achève avec l’annonce de la mort des deux grands personnages bibliques Ya’aqov et Yoseph.

Yoseph réalise les dernières volontés de son père Ya’aqov de ne point abandonner sa dépouille en Egypte et monte en Israël pour l’ensevelir et lui rendre les derniers honneurs au caveau des Patriarches à Hébron (Genèse 50 : 5-7).

Ya’aqov, le troisième Patriarche, est probablement l’un de ceux qui, parmi les personnages bibliques, ont le plus enduré la souffrance de leur vivant.

Ainsi, descendu en Egypte pour rejoindre son fils Yoseph, Ya’aqov est interrogé par Pharaon (Genèse 47 : 8-9). Il lui répond :

ט … יְמֵי שְׁנֵי מְגוּרַי שְׁלֹשִׁים וּמְאַת שָׁנָה מְעַט וְרָעִים הָיוּ יְמֵי שְׁנֵי חַיַּי וְלֹא הִשִּׂיגוּ אֶת-יְמֵי שְׁנֵי חַיֵּי אֲבֹתַי בִּימֵי מְגוּרֵיהֶם. (בראשית מז: ט)

9 « …Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. Il a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations. » (Genèse 47 : 9).

Ya’aqov s’efforce d’expliquer à Pharaon que les souffrances endurées toute sa vie, la fuite devant son frère Essav (Esaü), le viol de sa fille Dina et l’annonce de la perte de son fils Yoseph ont eu pour conséquence néfaste de raccourcir ses jours. En somme, privé du goût de la vie, Ya’aqov connaît une vieillesse prématurée. Avraham a vécu cent soixante-quinze ans et Its’hak cent quatre-vingts ans. Ses pères, malgré les temps d’épreuve, ont toutefois connu des temps de repos. Ya’aqov, quant à lui, ne connaîtra jamais de temps de repos, même lorsqu’il cherchera à revenir à une vie sereine, une vie d’apaisement :

א וַיֵּשֶׁב יַעֲקֹב, בְּאֶרֶץ מְגוּרֵי אָבִיו בְּאֶרֶץ, כְּנָעַן. (בראשית לז: ז)

1 Et Jacob demeura dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Canaan. (Genèse 37 : 1).

Le verbe וַיֵּשֶׁב (racine י.שׁ.ב / Y.Sh.B.) est traduit ici par « demeurer, s’installer définitivement », son sens premier. Or, Rashi ajoute, en commentant ce verset : «וַיֵּשֶׁב: בִּקֵּשׁ יַעֲקֹב לֵישֵׁב בְּשַׁלְוָה « Et il demeura : Ya’aqov demanda à demeurer en paix ». Il prête à Ya’aqov l’intention de « demeurer en paix » en Erets Israël. Or, le commentateur Alsheikh s’interroge sur la place de ce verset, entre la généalogie des chefs d’Edom, ennemis d’Israël (Chapitre Genèse 36) et le début de l’Histoire de son fils Yoseph (Genèse 37 : 2). Ya’aqov est encore inconscient des deux menaces pesant sur lui, celle d’Edom et celle des frères de Yoseph habités par leur jalousie et leur haine fraternelle envers ce dernier. C’est cette même haine fraternelle qui conduira toute la famille d’Israël en exil, en Egypte, pacifiquement. Pourtant, la paix éphémère s’évanouira très vite après la mort de Yoseph. Et c’est à travers l’esclavage et l’oppression que la descente en Egypte des frères de Yoseph aboutira en fin de compte à la réalisation de la promesse divine faite à Avraham :

יג וַיֹּאמֶר לְאַבְרָם יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם וַעֲבָדוּם וְעִנּוּ אֹתָם אַרְבַּע מֵאוֹת שָׁנָה. (בראשית טו: יג)

13 Et Il [le Seigneur] dit à Abram : « Sache-le bien, ta postérité séjournera sur une terre étrangère, où elle sera asservie et opprimée, durant quatre-cents ans. (Genèse 15 : 13).
Les jours de Ya’aqov furent accomplis au bout de cent quarante-sept ans :

כח … וַיְהִי יְמֵי-יַעֲקֹב שְׁנֵי חַיָּיו, שֶׁבַע שָׁנִים וְאַרְבָּעִים וּמְאַת שָׁנָה. (בראשית מז: כח)

28 …et il advint que les jours de Jacob, les années de sa vie furent de cent quarante-sept années. (Genèse 47 : 28).

Cent quarante-sept ans, n’est-ce point là le signe d’une rare longévité ?

Certes, mais il nous faut remarquer le nombre d’années vécues par Ya’aqov en Egypte auprès de son fils aimé :

כח וַיְחִי יַעֲקֹב בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם שְׁבַע עֶשְׂרֵה שָׁנָה. (בראשית מז: כח)

28 Et Jacob vécut dans le pays d’Égypte dix-sept ans… (Genèse 47 : 28).
Pourquoi donc est-il important de rappeler le nombre d’années que vécut Ya’aqov en Egypte ?

La source biblique nous donne à comprendre, en fait, que les plus belles années de Ya’aqov sont précisément les dix-sept années durant lesquelles il demeura près de son fils préféré, fils de sa femme aimée. Dix-sept années avant la disparition de Yoseph et encore dix-sept autres années depuis leurs retrouvailles. Ce n’est donc point la longueur des jours qui importe mais la qualité de vie, autrement dit le sens que nous donnons à notre existence.

Il est bon de rappeler ces paroles de Viktor Frankl, qui, ayant perdu sa femme et son enfant dans la tourmente de la Shoah, a consacré sa vie à expliquer que c’est le sens que l’on donne à sa vie qui permet de supporter les plus grandes souffrances :

« Un homme qui prend conscience de la responsabilité qu’il porte envers un être humain qui l’attend affectueusement, ou envers une œuvre inachevée, ne pourra jamais gâcher sa vie. Il connaît le « pourquoi » de son existence et pourra supporter presque n’importe quel « comment ».[2]

Cette idée de sens à la vie n’a jamais été aussi forte que maintenant, à l’heure où nos soldats et soldates combattant avec bravoure contre la barbarie sont prêts à sacrifier leur vie pour l’amour de leur patrie, Israël.

Le jeune soldat israélien Yoseph Guitarts, 25 ans, tombé lors des combats dans le sud de la bande de Gaza, pressentant le pire, a écrit une lettre qu’il avait laissée cachée pour ses parents, lettre dans laquelle il écrit :

« Chers parents, je vous aime tellement. Tout est comme cela doit être. J’ai choisi cela. J’ai vécu une belle vie, et je n’ai jamais eu peur de la mort. J’aurais pu ne pas venir me battre ici et me cacher. Mais cela aurait été contraire à tout ce en quoi je crois, à tout ce que j’estime. Je ferais le même choix encore et encore. Je suis tombé pour mon peuple. Je n’ai aucun regret.

Je vous aime tellement et je suis fier que vous soyez mes parents. Vous m’avez tellement donné. J’ai eu une vie intéressante, riche, heureuse, unique. Ma mort ne fait que le souligner.

Vous êtes certainement dans une grande douleur. Mais vous vous en remettrez. C’est ce que je souhaite le plus. Vous avez beaucoup de proches qui vous soutiendront. S’il vous plaît, trouvez quelque chose de positif dans tout cela. Soyez avec les petits-enfants. Aidez notre peuple.

Je vais bien. »

Les paroles émouvantes de ce jeune soldat, qui pourraient être celles de ses amis, eux aussi tombés au champ d’honneur, ne sont point sans rappeler le poème du grand poète israélien Haïm Na’hman Bialik « אִם־יֵשׁ אֶת־נַפְשְׁךָ לָדַעַת Si tu trouves bon de savoir… » [3] qui, rédigé en 1898, s’achève ainsi :

  ש «וּבְמוֹתָם צִוּוּ לָנוּ אֶת־הַחַיִּים –

הַחַיִּים עַד־הָעוֹלָם! ».

« Et dans leur mort, ils nous enjoignent de vivre / ils requièrent de nous la Vie –

La Vie à tout jamais! ».

De la même manière que Yoseph rendit hommage à son père Ya’aqov en accomplissant les termes de son testament, puissions-nous, nous aussi, être fidèles aux dernières paroles de Vie de Yoseph Guitarts parti trop tôt. Au moins sa mort et celle de tous les nôtres n’aura pas été vaine !

Dans la prière journalière, les Patriarches d’Israël ne sont pas considérés comme morts mais comme « Ceux qui dorment à Hébron יְשֵׁנֵי חֶבְרוֹן

Yeshenei ‘Hevron », (Zohar Terouma 446) car leur exemplarité survit à leur disparition et continue d’inspirer le peuple d’Israël.

C’est souvent dans la mort que se révèle tout le sens de la Vie, la grandeur de chaque petit geste quotidien, de même que la beauté et la bonté de celles et de ceux qui ne sont plus. L’intimité du défunt apparaît, alors, dans toute son acuité et sa finesse.

Chaque instant vécu restera un instant d’éternité que rien ni personne ne pourra jamais effacer.

ו וָאֶעֱבֹר עָלַיִךְ וָאֶרְאֵךְ מִתְבּוֹסֶסֶת בְּדָמָיִךְ וָאֹמַר לָךְ בְּדָמַיִךְ חֲיִי וָאֹמַר לָךְ בְּדָמַיִךְ חֲיִי. (יחזקאל טז: ו)

6 Mais je passai auprès de toi, je te vis t’agiter dans tes deux sangs, et je te dis : « Vis dans tes deux sangs ! » (Ezéchiel 16 : 6).

[1] Parashat VaYe’hi : Genèse 47 : 28-50 : 26.
[2] « Découvrir un sens à sa vie : Avec la logothérapie », Viktor E. Frankl
[3] Expression biblique empruntée à Genèse 23 : 8.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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