Parashat Shemini, Transcendance et purification

Illustration. Un mikvé (bain rituel) du XVIIe siècle de Pelourinho, dans le centre historique de Salvador, la capitale de l'État de Bahia, au nord-est du Brésil. (Crédit : capture d'écran TV Bahia ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur les droits d'auteur)
Illustration. Un mikvé (bain rituel) du XVIIe siècle de Pelourinho, dans le centre historique de Salvador, la capitale de l'État de Bahia, au nord-est du Brésil. (Crédit : capture d'écran TV Bahia ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur les droits d'auteur)

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

Le livre du Lévitique (VaYikra), dénommé également Torat Cohanim, Enseignement des Serviteurs de l’Éternel, se caractérise par l’importance de la pureté et de l’impureté, notion difficilement appréhendable par l’Homme moderne. La parashat Shemini[1] fait état, à ce propos, d’une liste d’animaux purs, à savoir propres à la consommation et une liste d’animaux impurs, autrement dit impropres à la consommation.

מג אַל-תְּשַׁקְּצוּ אֶת-נַפְשֹׁתֵיכֶם בְּכָל-הַשֶּׁרֶץ הַשֹּׁרֵץ וְלֹא תִטַּמְּאוּ בָּהֶם וְנִטְמֵתֶם בָּם. (ויקרא יא:מג)

43 Ne vous rendez point vous-mêmes abominables par toutes ces créatures rampantes ; ne vous souillez point par elles, vous en contracteriez la souillure. (Lévitique 11:43)

Comment des animaux peuvent-ils être déclarés purs ou impurs ? Propres ou impropres à la consommation ?

אַל-תְּשַׁקְּצוּ, בַּאֲכִילָתָן, שֶׁהֲרֵי כְּתִיב: « נַפְשֹׁתֵיכֶם ». וְאֵין שִׁקּוּץ נֶפֶשׁ בְּמַגָּע. וְכֵן « לֹא תִּטַּמְּאוּ », בַּאֲכִילָתָם. (רש »י על הפסוק ויקרא יא:מג)

Ne rendez pas abominables [vos âmes] en les mangeant, car il est écrit : « vos âmes », et l’abomination de « l’âme » ne résulte pas du « toucher ». Et de même : « et ne vous rendez pas impurs », en les mangeant. (Rashi sur le verset Lévitique 11:43)

D’après le commentateur italien Ovadia Sforno (1470-1550), ce qu’on mange influe sur notre personne :

וְלֹא תִטַּמְּאוּ בָּהֶם וְנִטְמֵתֶם בָּם כִּי אֲנִי ה’ אֱלֹהֵיכֶם, וְהִתְקַדַּשְׁתֶּם. אַל תִּטַּמְּאוּ בָּהֶם בְּאֹפֶן שֶׁתִּהְיוּ טְמֵאִים וּמְטֻמְטָמִים בָּם, וְזֶה יִקְרֶה בַּאֲכִילָתָם. כִּי אָמְנָם בִּהְיוֹתִי אֱלֹהֵיכֶם חָפַצְתִּי שֶׁתִּתְקַדְּשׁוּ וְתָכִינוּ עַצְמְכֶם אֶל הַקְּדֻשָּׁה. (ספורנו על הפסוק ויקרא יא:מג)

Ne vous souillez pas par eux pour ne pas être souillés par eux, car je suis l’Éternel votre Seigneur. Sanctifiez-vous [Séparez-vous]. Ne vous souillez pas par eux de manière à devenir impurs et abrutis par eux, ce qui arrivera si vous les consommez. Car en tant que votre Seigneur, j’ai voulu que vous vous sanctifiiez et vous prépariez à la sainteté [à la séparation]. (Sforno sur le verset Lévitique 11:43)

Sforno met l’accent sur l’influence néfaste de la consommation d’animaux impurs sur l’esprit et la conscience des fils d’Israël. Le terme employé par Sforno מְטֻמְטָמִים Metoumtamim a pour racine verbale ט.מ.מ. T.M.M utilisée ici dans un sens métaphorique de stupidité, sur le modèle de « l’obscurcissement du cœur », et pas seulement d’impureté physique.

L’expression talmudique טִמְטוּם הַלֵּב (Talmud de Babylone, Yoma 39a) décrit une perte de discernement spirituel liée à l’endurcissement moral. La question que vont se poser les Sages d’Israël sera de savoir si l’impureté trouve son origine dans la consommation de l’animal impur ou dans l’intention de la transgression elle-même et non point dans l’animal en soi.

תָּנָא דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל: עֲבֵירָה מְטַמְטֶמֶת לִבּוֹ שֶׁל אָדָם… אַל תִּקְרֵי ״וְנִטְמֵאתֶם״, אֶלָּא: ״וְנִטַּמְטֵם״ (תלמוד בבלי יומא לט:א)

L’école de Rabbi Ishmaël enseigne : la transgression opacifie le cœur de l’homme… Ne lis pas « וְנִטְמֵאתֶם » (« vous serez souillés »), mais « וְנִטַּמְטֵם » (« vous deviendrez obtus »). (Talmud de Babylone, Yoma 39a).

Rabbi Ishmaël réinterprète le verset en raison d’une « anomalie » grammaticale. En effet, le verbe inscrit dans le verset 43 וְנִטְמֵתֶם VeNitmetem aurait dû s’écrire selon toute logique grammaticale וְנִטְמֵאתֶם VeNitmétem (« vous serez souillés ») avec un aleph א, reproduisant fidèlement la racine de l’impureté ט.מ.א T.M.Aleph. L’absence de la lettre aleph א offre la possibilité de changer les voyelles. Au lieu de lire וְנִטְמֵתֶם, on pourrait lire וְנִטַּמְטֵם :

מג אַל-תְּשַׁקְּצוּ אֶת-נַפְשֹׁתֵיכֶם בְּכָל-הַשֶּׁרֶץ הַשֹּׁרֵץ וְלֹא תִטַּמְּאוּ בָּהֶם וְנִטְמֵתֶם ‘וְנִטְמֵתֶם’ בָּם. (ויקרא יא:מג)

43 Ne vous rendez point vous-mêmes abominables par toutes ces créatures rampantes ; ne vous souillez point par elles, vous seriez frappés d’opacité [spirituelle]. (Lévitique 11:43)

Cette interdiction de ne point manger d’animaux impurs sous peine de devenir imperméables au divin n’est point sans rappeler Daniel 1:8 :

ח וַיָּשֶׂם דָּנִיֵּאל עַל-לִבּוֹ אֲשֶׁר לֹא-יִתְגָּאַל בְּפַת-בַּג הַמֶּלֶךְ וּבְיֵין מִשְׁתָּיו וַיְבַקֵּשׁ מִשַּׂר הַסָּרִיסִים אֲשֶׁר לֹא יִתְגָּאָל. (דניאל א:ח)

8 Or Daniel prit la résolution de ne pas se souiller par les plats du roi et le vin qui lui servait de boisson ; il insista donc auprès du chef des eunuques pour n’avoir pas à se souiller. (Daniel 1:8)

Cet interdit vise essentiellement à préserver l’identité collective en évitant les pratiques assimilées à l’idolâtrie ou à la dégradation morale.

L’exemple de Daniel résonne avec les défis modernes de préservation culturelle en luttant contre l’assimilation culturelle et cultuelle.

Les règles de cashrout ne seraient donc pas tant liées à une impureté intrinsèque de l’animal qu’au désir de préserver le peuple d’Israël d’influences néfastes étrangères provenant du monde païen.

En somme, l’enseignement de Rabbi Ishmaël développe l’idée d’attachement à la Parole divine et nous révèle que nos Mitsvot – en l’occurrence les règles de cashrout s’étendant à toutes les autres – ne relèvent en rien d’une dimension magique. C’est uniquement le respect de la Parole divine, de son injonction souvent inaccessible à notre entendement, qui nous purifie. La purification relève du mystère transcendantal du Divin !

אָמַר רַבִּי עֲקִיבָא: אַשְׁרֵיכֶם יִשְׂרָאֵל! לִפְנֵי מִי אַתֶּם מִטַּהֲרִין, מִי מְטַהֵר אֶתְכֶם? אֲבִיכֶם שֶׁבַּשָּׁמַיִם, שֶׁנֶּאֱמַר: ״וְזָרַקְתִּי עֲלֵיכֶם מַיִם טְהוֹרִים וּטְהַרְתֶּם״ (יחזקאל לו:כה), וְאוֹמֵר: ״מִקְוֵה יִשְׂרָאֵל (ה׳)״ (ירמיהו יז:יג), מָה מִקְוֶה מְטַהֵר אֶת הַטְּמֵאִים – אַף הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מְטַהֵר אֶת יִשְׂרָאֵל. (משנה יומא ח:ט)

Rabbi Akiva déclara : Heureux êtes-vous, Israël ! Devant qui vous purifiez-vous, et qui vous purifie ? Votre Père céleste ! Comme il est dit : « Je répandrai sur vous des eaux pures, et vous serez purifiés » (Ézéchiel 36:25), et il est écrit : « Le Mikveh d’Israël est l’Éternel » (Jérémie 17:13). De même que le mikveh purifie les impurs, ainsi le Saint, béni soit-Il, purifie Israël. (Mishna Yoma 8:9)

Shabbat shalom !

Le site de Haïm Ouizemann

[1] Parashat Shemini : Lévitique 9:1-11:47.

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétalien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
Comments