Parashat Shela’h Lekha, Erets Israël, tu béniras !

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
La parashat Shela’h Lekha[1] relate l’exploration de la terre d’Israël par les douze princes d’Israël investis de la mission de rendre un rapport aussi détaillé que possible à Moïse sur l’identité de la population y vivant, la puissance militaire et le degré de fertilité de cette terre vouée à être donnée au peuple d’Israël.
Après leur exploration, dix d’entre les douze princes témoignent :
לב וַיֹּצִיאוּ דִּבַּת הָאָרֶץ אֲשֶׁר תָּרוּ אֹתָהּ, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל לֵאמֹר הָאָרֶץ אֲשֶׁר עָבַרְנוּ בָהּ לָתוּר אֹתָהּ אֶרֶץ אֹכֶלֶת יוֹשְׁבֶיהָ הִוא וְכָל-הָעָם אֲשֶׁר-רָאִינוּ בְתוֹכָהּ אַנְשֵׁי מִדּוֹת. לו וְהָאֲנָשִׁים אֲשֶׁר-שָׁלַח מֹשֶׁה לָתוּר אֶת-הָאָרֶץ וַיָּשֻׁבוּ וילונו (וַיַּלִּינוּ) עָלָיו אֶת-כָּל-הָעֵדָה לְהוֹצִיא דִבָּה עַל-הָאָרֶץ. לז וַיָּמֻתוּ הָאֲנָשִׁים מוֹצִאֵי דִבַּת-הָאָרֶץ רָעָה בַּמַּגֵּפָה לִפְנֵי יְהוָה. (במדבר יג:לב; יד:לו-לז)
32 Et ils décrièrent le pays qu’ils avaient exploré, en disant aux enfants d’Israël : « Le pays que nous avons parcouru pour l’explorer est un pays qui dévorerait ses habitants ; quant au peuple que nous y avons vu, ce sont tous gens de haute taille… 36 De fait, les hommes que Moïse avait envoyés explorer le pays, et qui, de retour, avaient fait murmurer contre lui toute la communauté en décriant ce pays, 37 ces hommes, qui avaient débité de méchants propos sur le pays, périrent frappés par le Seigneur. (Nombres 13:32; 14:36-37)
Il semble que les traduction :
- du Rabbinat, du Grand Rabbin Tsadok Kahn ainsi que celles de John Darby : « Et ils décrièrent devant les fils d’Israël le pays »,
- de Louis Second : « Et ils décrièrent devant les enfants d’Israël le pays »,
- et de Samuel Cahen : « Ils transmirent aux enfants d’Israël un mauvais rapport du pays »,
peuvent être révisées. La traduction d’André Chouraqui : « Ils font sortir une médisance contre la terre » est la plus proche de l’esprit biblique.
En effet, selon la tradition biblique et l’interprétation traditionnelle des Sages d’Israël, il nous faut distinguer deux expressions qui, proches sémantiquement, n’en sont pas moins différentes.
La première expression לְהוֹצִיא דִבָּה LeHoTsi DiBbaH signifie « propager ou répandre des calomnies ». La seconde expression LeHaVi DiBbaH לְהָבִיא דִבָּה signifie littéralement « rapporter des commérages ».
ב אֵלֶּה תֹּלְדוֹת יַעֲקֹב יוֹסֵף בֶּן-שְׁבַע-עֶשְׂרֵה שָׁנָה הָיָה רֹעֶה אֶת-אֶחָיו בַּצֹּאן וְהוּא נַעַר אֶת-בְּנֵי בִלְהָה וְאֶת-בְּנֵי זִלְפָּה נְשֵׁי אָבִיו וַיָּבֵא יוֹסֵף אֶת-דִּבָּתָם רָעָה אֶל-אֲבִיהֶם. (בראשית לז:ב)
2 Voici l’histoire de la descendance de Jacob. Joseph, âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères. Passant son enfance avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa, épouses de son père, Joseph débitait sur leur compte des médisances à leur père. (Genèse 37:2)
Quelle est donc la nuance entre ces deux expressions qui ont pour seul dénominateur commun le mot DiBbaH דִבָּה, dont la racine hébraïque est ד.ב.ב. / D. V[B].V [B] signifiant « délivrer un mauvais propos » ?
La première expression לְהוֹצִיא דִבָּה LeHoTsi DiBbaH signifie « propager des calomnies ou répandre la médisance » consiste à inventer ou à répandre volontairement des mensonges dans le but de nuire à la réputation de quelqu’un.
En revanche, la seconde expression LeHaVi DiBbaH לְהָבִיא דִבָּה signifiant littéralement « rapporter des commérages à partir de faits vrais, c’est-à-dire véhiculer des propos nuisibles basés sur des faits réels dans le but de nuire volontairement à la réputation d’une personne.
Si moralement, les deux actions sont considérées comme négatives, le degré de leur gravité diffère. « Propager des calomnies », comme il s’agit de mensonges, la gravité morale est plus grande, car cela implique d’inventer une histoire sur une personne, de nuire à sa réputation sans aucune base, et constitue une injustice bien plus grave, car elle ne peut être corrigée.
Ainsi, l’épisode des explorateurs calomniant la terre d’Israël, Erets Israël, constitue une grave faute remettant en question toute l’Alliance conclue avec les trois grands Patriarches d’Israël Avraham, Its’hak et Ya’akov, Alliance indéfectible promettant le don de la terre d’Israël à leurs descendants.
כז וַיְסַפְּרוּ-לוֹ וַיֹּאמְרוּ בָּאנוּ אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר שְׁלַחְתָּנוּ וְגַם זָבַת חָלָב וּדְבַשׁ הִוא וְזֶה-פִּרְיָהּ. כח אֶפֶס כִּי-עַז הָעָם הַיֹּשֵׁב בָּאָרֶץ וְהֶעָרִים בְּצֻרוֹת גְּדֹלֹת מְאֹד וְגַם-יְלִדֵי הָעֲנָק רָאִינוּ שָׁם. (במדבר יג:כז-כח)
27 et lui firent ce récit : « Nous sommes entrés dans le pays où tu nous avais envoyés ; oui, vraiment, il ruisselle de lait et de miel, et voici de ses fruits. 28 Mais il est puissant le peuple qui habite ce pays ! Puis, les villes sont fortifiées et très grandes, et même nous y avons vu des descendants d’Anak ! (Nombres 13:27-28)
La faute des dix princes d’Israël, hormis Yehoshua Bin Noun (Josué fils de Noun) et Calev ben Yephouneh transparaît en un seul mot : אֶפֶס Ephess – « Mais ». La calomnie, pour être acceptable et acceptée, se fonde sur une grande part de vérité : « oui, vraiment, il ruisselle de lait et de miel, et voici de ses fruits ».
Quant aux commérages – même si l’information de base est vraie, la transmettre peut nuire à la personne concernée, ce qui est aussi moralement problématique, surtout si cela est fait sans justification. Cependant, il est parfois difficile de condamner pleinement cette action, car il s’agit d’un fait réel.
En somme, quelle que puisse être l’expression négative relative à la « mauvaise langue – לָשׁוֹן הָרָע LaShon HaRa« , les deux actions restent nuisibles, néfastes et répréhensibles. Dans tous les cas, « propager des calomnies » et « répandre des commérages » constituent une faute aggravée car il est absolument impossible d’en corriger les dégâts.
א לֹא תִשָּׂא שֵׁמַע שָׁוְא אַל-תָּשֶׁת יָדְךָ עִם-רָשָׁע לִהְיֹת עֵד חָמָס. (שמות כג:א)
1 « N’accueille point un rapport mensonger. Ne sois pas complice d’un méchant, en servant de témoin à l’iniquité. (Exode 23:1)
טז לֹא-תֵלֵךְ רָכִיל בְּעַמֶּיךָ, לֹא תַעֲמֹד עַל-דַּם רֵעֶךָ אֲנִי יְהוָה. (ויקרא יט:טז)
16 Ne va point colportant la mauvaise parole parmi ton peuple, ne sois pas indifférent au danger de ton prochain : je suis l’Éternel. (Lévitique 19:16)
La « mauvaise langue » est grave car elle met directement ou indirectement en danger la vie d’autrui et sa réputation au point qu’elle s’apparente, selon Exode 23:1, au ‘HaMaSS חָמָס, c’est-à-dire à un acte de violence extrême semblable à la mise à mort de notre prochain sans aucune justification.
Les mots concoctés par la « langue du mal » sont comparés à des flèches empoisonnées et brûlantes :
ג מַה-יִּתֵּן לְךָ וּמַה-יֹּסִיף לָךְ לָשׁוֹן רְמִיָּה. ד חִצֵּי גִבּוֹר שְׁנוּנִים עִם גַּחֲלֵי רְתָמִים. (תהלים קכ:ג-ד)
3 Quel profit te donnera-t-elle, quel avantage, cette langue perfide [du mensonge], 4 [pareille] aux flèches des guerriers, aiguisées aux charbons ardents des genêts ? (Psaume 120:3-4)
Cette comparaison vise à nous faire comprendre combien la parole peut être créatrice, ou destructrice et dévastatrice. Réparer une médisance, une calomnie, un commérage relève de l’impossible car aucune excuse, aucun démenti, aussi fort soit-il, n’a la faculté de les rattraper ou de les effacer.
Les réseaux sociaux qui, originellement devraient relier les hommes, constituent souvent un espace virtuel où les paroles blessantes sont irrattrapables.
וְדִבָּתְךָ לֹא תָשׁוּב…
et ta mauvaise langue ne reviendra point… (Proverbes 25:10)
La réalisation de la promesse du don de la terre d’Israël au peuple d’Israël repose essentiellement sur le pouvoir de la parole positive :
ז וַיֹּאמְרוּ אֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל לֵאמֹר הָאָרֶץ אֲשֶׁר עָבַרְנוּ בָהּ לָתוּר אֹתָהּ טוֹבָה הָאָרֶץ מְאֹד מְאֹד. (במדבר יד:ז)
7 Et ils [Josué et Caleb) parlèrent à toute la communauté-témoin des fils d’Israël en ces termes : « le pays que nous avons parcouru pour l’explorer, ce pays est très très bon ». (Nombres 14:7)
Alors :
כט צַדִּיקִים יִירְשׁוּ-אָרֶץ וְיִשְׁכְּנוּ לָעַד עָלֶיהָ. ל פִּי-צַדִּיק יֶהְגֶּה חָכְמָה וּלְשׁוֹנוֹ תְּדַבֵּר מִשְׁפָּט. (תהלים לז:כט-ל)
29 Les justes posséderont la terre [d’Israël], et ils y habiteront pour toujours. 30 La bouche du juste profère la sagesse, et sa langue énonce le droit. (Psaume 37:29-30)
[1] Parashat Shela’h Lekha : Nombres 13:1-15:41.