Parashat Shabbat, 7ème jour de Pessah, le Cantique de l’Éternité

Moïse ouvrant les eaux pour laisser passer les Hébreux ; séquence tirée du film Les 10 commandement de Cecil B. DeMille. (Crédit : Capture d'écran Youtube ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Moïse ouvrant les eaux pour laisser passer les Hébreux ; séquence tirée du film Les 10 commandement de Cecil B. DeMille. (Crédit : Capture d'écran Youtube ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroristparadoe du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

En ce septième jour de Pessah, le peuple hébreu s’apprête à lire l’un des plus célèbres cantiques de la Bible, le Cantique de la Mer[1] (Shirat HaYam). Ce Cantique met en avant la puissance de la Providence divine face à la tyrannie pharaonique. Les fils d’Israël chantent non point la mort des Égyptiens sur lesquels se referment les eaux de la mer, mais la gloire de l’Éternel les sauvant d’une mort certaine. Les Hébreux, femmes, hommes et enfants ne doivent leur vie sauve qu’a l’intervention miraculeuse de l’Éternel.

Une lecture approfondie du Cantique de la Mer nous conduit à nous poser la question de savoir si la gratitude exprimée sous forme de louanges par les Hébreux s’inscrit uniquement dans le temps présent de la libération.

ב עָזִּי וְזִמְרָת יָהּ, וַיְהִי-לִי לִישׁוּעָה זֶה אֵלִי וְאַנְוֵהוּ אֱלֹהֵי אָבִי וַאֲרֹמְמֶנְהוּ. ג יְהוָה אִישׁ מִלְחָמָה יְהוָה שְׁמוֹ. יא מִי-כָמֹכָה בָּאֵלִם יְהוָה מִי כָּמֹכָה נֶאְדָּר בַּקֹּדֶשׁ נוֹרָא תְהִלֹּת עֹשֵׂה פֶלֶא. (שמות טו:ב-ג;יא)

2 Il est ma force et ma gloire, l’Éternel ! Je lui dois mon salut. Voilà mon Dieu, je lui rends hommage ; le Dieu de mon père et je le glorifie. 3 L’Éternel est le maître des batailles ; Éternel est son nom !… 11 Qui t’égale parmi les forts, Éternel ? Qui est, comme toi, paré de sainteté ; inaccessible à la louange, fécond en merveilles ? (Exode 15:2-3;11)

Au temps du présent exprimant la gratitude, la Shirat HaYam (Cantique de la Mer) est traversée par la variation des temps grammaticaux, mêlant louange du passé et vision messianique au futur.

Les deux premiers mots « Az Yashir » אָז יָשִׁיר du cantique (Exode 15:1) révèlent le paradoxe des temps passé et futur.

« Alors » אָז Az renvoie à un passé spécifique (le miracle de la traversée de la mer). Le verbe יָשִׁיר Yashir (chantera) se conjugue au temps du futur.

Rabbi Meïr enseigne :

אָמַר רַבִּי מֵאִיר: מִנַּיִין לִתְחִיַּית הַמֵּתִים מִן הַתּוֹרָה? שֶׁנֶּאֱמַר: ״אָז יָשִׁיר מֹשֶׁה וּבְנֵי יִשְׂרָאֵל אֶת הַשִּׁירָה הַזֹּאת לַה׳״. ״שָׁר״ לֹא נֶאֱמַר, אֶלָּא ״יָשִׁיר״ – מִכָּאן לִתְחִיַּית הַמֵּתִים מִן הַתּוֹרָה (תלמוד בבלי, סנהדרין צא:ב)

D’où déduit-on la résurrection des morts dans la Torah ? Car il est dit : ‘Alors Moïse chantera [יָשִׁיר] avec les enfants d’Israël ce cantique à l’Éternel’ (Exode 15:1). Il n’est pas écrit ‘chanta’ [שָׁר], mais ‘chantera’ [יָשִׁיר] – d’où la résurrection des morts à partir de la Torah. (Talmud de Babylone, Sanhedrin 91:b)

Selon Rabbi Meïr, ce paradoxe passé-futur exprime l’éternité de la rédemption divine, transcendant le temps historique.

Le peuple hébreu n’est jamais voué à la mort. Ce commentaire de Rabbi Meïr n’est point sans rappeler la vision des ossements desséchés décrite avec beaucoup de détails par le prophète Ézéchiel. Israël se relèvera toujours de ses cendres :

ט וַיֹּאמֶר אֵלַי הִנָּבֵא אֶל-הָרוּחַ הִנָּבֵא בֶן-אָדָם וְאָמַרְתָּ אֶל-הָרוּ כֹּה-אָמַר אֲדֹנָי יְהוִה מֵאַרְבַּע רוּחוֹת בֹּאִי הָרוּחַ וּפְחִי בַּהֲרוּגִים הָאֵלֶּה וְיִחְיוּ. (יחזקאל לז:ט)

9 Et il me dit : fais appel à l’esprit, fais appel, fils de l’homme, et dis à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur l’Éternel : Des quatre coins, viens, ô esprit, souffle sur ces cadavres et qu’ils revivent. (Ézéchiel 37:9)

Ce futur n’est rendu possible que par le travail de Mémoire collectif :

י נָשַׁפְתָּ בְרוּחֲךָ כִּסָּמוֹ יָם צָלְלוּ כַּעוֹפֶרֶת בְּמַיִם אַדִּירִים. יב נָטִיתָ יְמִינְךָ תִּבְלָעֵמוֹ אָרֶץ. יג נָחִיתָ בְחַסְדְּךָ עַם-זוּ גָּאָלְתָּ נֵהַלְתָּ בְעָזְּךָ אֶל-נְוֵה קָדְשֶׁךָ. (שמות טו: י;יב-יג)

10 Toi, Tu as soufflé, l’océan les a engloutis ; ils se sont abîmés comme le plomb au sein des eaux puissantes… 12 Tu as étendu ta droite, la terre les dévore. 13 Tu as guidé, par Ta grâce, ce peuple que tu viens d’affranchir ; tu l’a dirigé, par ta puissance, vers ta Demeure de sainteté [de la séparation : le futur Temple de Jérusalem]. (Exode 15:10;12-13)

Seul un peuple qui est capable de se souvenir de son passé pourra construire le futur, son futur :

יז תְּבִאֵמוֹ וְתִטָּעֵמוֹ בְּהַר נַחֲלָתְךָ-מָכוֹן לְשִׁבְתְּךָ פָּעַלְתָּ יְהוָה מִקְּדָשׁ אֲדֹנָי כּוֹנְנוּ יָדֶיךָ. (שמות טו:יז)

17 Que tu les aies amenés, plantés, sur ce mont, ton domaine, résidence que tu t’es réservée, Éternel ! Sanctuaire, ô mon Seigneur ! Préparé par tes mains. (Exode 15:17)

טו וּנְטַעְתִּים עַל-אַדְמָתָם וְלֹא יִנָּתְשׁוּ עוֹד מֵעַל אַדְמָתָם אֲשֶׁר נָתַתִּי לָהֶם אָמַר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ. (עמוס ט:טו)

15 Et Je les [les fils d’Israël] replanterai dans leur sol, et ils ne seront plus déracinés de ce sol que je leur ai donné, dit l’Éternel, ton Seigneur. (Amos 9:15)

Le Cantique de la Mer, véritable psaume de remerciement, doit être compris comme une louange prophétique. Israël, dispersé à travers les Nations à l’exemple des Hébreux asservis en Égypte, verra la promesse divine donnée à Avraham (Genèse 17:8) se réaliser par le retour en Erets Israël et la reconstruction de Jérusalem, la Cité de tous les conflits mais aussi de toutes les espérances.

Le Cantique de la Mer mêle récit historique (רָמָה בַיָּם סוּס וְרֹכְבוֹ –Il a jeté cheval et cavalier à la mer) et proclamation intemporelle (L’Éternel régnera pour toujours יִמְלֹךְ לְעֹלָם), nous pourrions même dire éternelle.

Le narratif biblique de la Sortie d’Égypte et de la traversée miraculeuse de la Mer des Joncs, loin d’être réduite à la rédemption exclusive d’Israël, porte en son sein la volonté consciente de s’ouvrir à l’universel. L’ensemble des Nations viendront à reconnaître le peuple d’Israël comme le peuple de l’élection divine ainsi que la capitale une et indivisible, Jérusalem, annonce de l’avènement d’une ère pacifique :

ט וְהָיָה יְהוָה לְמֶלֶךְ עַל-כָּל-הָאָרֶץ בַּיּוֹם הַהוּא יִהְיֶה יְהוָה אֶחָד וּשְׁמוֹ אֶחָד. (זכריה יד:ט)

9 Et l’Éternel sera Roi sur toute la Terre ; en ce jour, l’Éternel sera un et unique sera Son Nom. (Zacharie 14:9)

[1] Parashat Shirat HaYam: Exode 13:17-15:26.

Shabbat shalom !

Le site de Haïm Ouizemann

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétalien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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