Parashat Pin’has, Méditation sur le mérite

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas ,et aux parents attendant le retour des leurs.

Comme nous l’avons vu dans la parashah précédente, Pin’has décide de mettre à mort Zimri, fils de Salou de la tribu de Shim’on (Simon) en raison du fait que ce dernier cohabite avec une fille de Midian nommée Kozbi, au vu et au su de tous les fils d’Israël en train de se lamenter. (Nombres 25: 6-8; 14-15).

Dans la parashat Pin’has[1], l’acte de mise à mort de Zimri est récompensé par l’Éternel qui offre pour l’éternité à Pin’has la fonction de Grand-Prêtre (כְּהֻנָּה גְּדולָה Kehouna Guedolah).

יא פִּינְחָס בֶּן-אֶלְעָזָר בֶּן-אַהֲרֹן הַכֹּהֵן, הֵשִׁיב אֶת-חֲמָתִי מֵעַל בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל בְּקַנְאוֹ אֶת-קִנְאָתִי, בְּתוֹכָם וְלֹא-כִלִּיתִי אֶת-בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל בְּקִנְאָתִי. יב לָכֵן אֱמֹר הִנְנִי נֹתֵן לוֹ אֶת-בְּרִיתִי שָׁלוֹם. יג וְהָיְתָה לּוֹ וּלְזַרְעוֹ אַחֲרָיו, בְּרִית כְּהֻנַּת עוֹלָם תַּחַת אֲשֶׁר קִנֵּא לֵאלֹהָיו וַיְכַפֵּר עַל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. (במדבר כה: יא-יג)

11 « Phinéas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron le pontife, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël, en se montrant jaloux de ma cause au milieu d’eux, en sorte que je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël, dans mon indignation. 12 C’est pourquoi, tu annonceras que je lui accorde mon alliance amicale. 13 Et lui et sa postérité après lui posséderont, comme gage d’alliance, le sacerdoce à perpétuité ; parce qu’il a pris parti pour son Seigneur et procuré expiation aux enfants d’Israël ». (Nombres 25 : 11-13).

Qui est Pin’has et comment expliquer le fait que ce dernier puisse être récompensé d’un acte violent que l’on est en droit de considérer comme répréhensible ? Pouvons-nous prendre exemple sur Pin’has qui a versé le sang d’un des fils d’Israël ?

Si Pin’has, petit-fils du Grand-Cohen Aaron et fils d’El’azar, occupe effectivement la fonction de Cohen, il n’est à aucun moment destiné à occuper le difficile et prestigieux rôle de Grand-Cohen. Or, la source biblique nous enseigne que son acte, pourtant d’une violence inouïe, lui permet d’accéder à la plus haute fonction cultuelle. Cette récompense peut s’expliquer, dans le contexte biblique, par le fait même que, là où les princes d’Israël et même Moïse demeurent muets – Moïse n’est-il point lui-même marié à Tsippora, d’origine midianite ? – Pin’has prend l’initiative personnelle de défendre l’honneur de l’Éternel.

Cet acte ne peut, en aucune manière, constituer un modèle pour les générations futures et doit rester un cas isolé dans la Tradition d’Israël, dans la mesure où a priori l’Éternel n’a jamais enjoint la mort de Zimri. Le fanatisme de Pin’has ne découle donc en aucune façon d’un commandement divin, comme cela peut être le cas dans l’Islam qui encourage la « Sha’ada » – le premier pilier de la foi promu par le Coran[2], c’est-à-dire le devoir de mettre à mort les impies dans le but de témoigner fidèlement de la parole d’Allah.

L’Éternel n’accepte l’acte de Pin’has qu’a posteriori. Pin’has agit de la sorte pour sauvegarder l’intégrité morale et la sainteté du peuple d’Israël, permettant ainsi de freiner l’expansion de la faute parmi les hommes d’Israël qui, tentés de suivre l’exemple de Zimri, auraient alors conduit à la destruction morale d’un peuple entier. De plus, son initiative a pour conséquence d’arrêter le fléau s’abattant sur l’ensemble des Hébreux.

Si son attitude extrême, caractéristique du personnage de Pin’has, reste incompréhensible pour l’Homme moderne, elle semble révéler deux dimensions chez Pin’has, à savoir le sens du sacrifice personnel et essentiellement une croyance inébranlable, sans faille aucune, en l’Unité divine.

A contrario, les femmes étrangères païennes tendent à détourner les Hébreux de leur vocation de peuple appelé à devenir une Nation séparée et un royaume de Cohanim (Exode 19: 6). Pin’has a préféré sacrifier un homme d’Israël pour le bien général de la collectivité.

C’est en faisant preuve d’initiative privée et de leadership dénués de tout intérêt personnel que Pin’has, simple Cohen, est finalement récompensé du titre de Grand-Cohen.

Rashi tente d’expliquer le statut de Pin’has :

ש « בְּרִית כְּהֻנַּת עוֹלָם, שֶׁאַף עַל פִּי שֶׁכְּבָר נִתְּנָה כְּהֻנָּה לְזַרְעוֹ שֶׁל אַהֲרֹן שֶׁלֹּא נִתְּנָה אֶלָּא לְאַהֲרֹן וּלְבָנָיו, שֶׁנִּמְשְׁחוּ עִמּוֹ וּלְתוֹלְדוֹתֵיהֶם שֶׁיִּוָּלְדוּ אַחַר הַמְשָׁחָתָן, אֲבָל פִּינְחָס שֶׁנּוֹלַד קֹדֶם לָכֵן וְלֹא נִמְשַׁח, לֹא בָּא לִכְלַל כְּהֻנָּה עַד כָּאן. וְכֵן שָׁנִינוּ בִּזְבָחִים: לֹא נִתְכַּהֵן פִּינְחָס עַד שֶׁהֲרָגוֹ לְזִמְרִי. » (רש »י על הפסוק במדבר כה: יג).

« Une alliance de Kehounah à jamais. Il est vrai que la Kehounah avait déjà été conférée à la descendance de Aaron, mais il ne l’avait été qu’à Aaron et à ses fils qui avaient reçu l’onction avec lui et à leurs descendances nées postérieurement à leur consécration. Pin‘has, en revanche, qui était né antérieurement à celle-ci et qui n’avait pas reçu l’onction, n’appartenait pas jusque-là à la prêtrise. C’est ce que nous apprenons dans le traité du Talmud Zeva‘him (101b) : Pin‘has n’est devenu Cohen qu’après avoir tué Zimri ». (Rashi sur le verset Nombres 25: 13).

L’on apprend que la Torah accorde au mérite personnel une importance qui va au-delà du titre lui-même.

Ainsi, le nom de Noah, au verset Genèse 6: 9, n’est pas suivi d’une généalogie, comme dans d’autres cas, mais de la qualité de Noah en tant que « juste ».

ש « אֵלֶּה תּוֹלְדֹת נֹחַ נֹחַ אִישׁ צַדִּיק. הוֹאִיל וְהִזְכִּירוֹ סִפֵּר בִּשְׁבָחוֹ שֶׁנֶּאֱמַר: ‘זֵכֶר צַדִּיק לִבְרָכָה’ (משלי י: ז). דָּבָר אַחֵר לְלַמֶּדְךָ שֶׁעִקָּר תּוֹלְדוֹתֵיהֶם שֶׁל צַדִּיקִים מַעֲשִׂים טוֹבִים » (רש »י על הפסוק בראשית ו: ט).

« ‘Voici les générations de Noa‘h. Noa‘h fut un homme juste’ : puisqu’on le nomme, on fait son éloge, [alors que l’emploi du mot ‘générations’ aurait dû plutôt conduire à l’énoncé d’une généalogie], ainsi qu’il est écrit : ‘le souvenir du juste est une bénédiction’ (Proverbes 10: 7). Autre explication : c’est pour t’apprendre que les véritables ‘générations’ laissées par les justes sont constituées par leurs bonnes œuvres ».(Rashi sur le verset Genèse 6: 9).

Ce sont les générations (ses actes) qui sont ses enfants. L’homme est jugé par le mérite de ses actions.

Ce n’est point nécessairement le titre qui accorde l’autorité du leadership mais l’action envers le bien général qui fonde l’autorité. Cette idée biblique essentielle se retrouve dans le célèbre Midrash concernant le personnage de Na’hshon ben Avinadav, beau-frère d’Aaron le Grand-Prêtre qui, par son courage et son mérite personnel, sera le premier à offrir les offrandes de la Tribu de Juda. Élitsour de la Tribu de Reouven, fils aîné de Léa, ne sera que le quatrième à offrir ses offrandes (Nombres 7: 30).

ש « נַחְשׁוֹן בֶּן עַמִּינָדָב לְמַטֵּה יְהוּדָה (במדבר ז, יב), לָמָּה נִקְרָא שְׁמוֹ נַחְשׁוֹן, עַל שֵׁם שֶׁיָּרַד תְּחִלָּה לַנַּחְשׁוֹל שֶׁבַּיָּם. אָמַר רַבִּי שִׁמְעוֹן בֶּן יוֹחָאי אָמַר הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לְמשֶׁה מִי שֶׁקִּדֵּשׁ אֶת שְׁמִי בַּיָּם הוּא יַקְרִיב תְּחִלָּה, וְזֶה הָיָה נַחְשׁוֹן, וְכֵן עָשָׂה, הֲדָא הוּא דִכְתִיב: נַחְשׁוֹן בֶּן עַמִּינָדָב וגו' » (במדבר ז, יב). יִחֲסוֹ הַכָּתוּב עַל שֵׁם שִׁבְטוֹ, שֶׁבַח לוֹ, שֶׁבַח לְאָבִיו, שֶׁבַח לְשִׁבְטוֹ… » (במדבר רבה י״ג, ז).

« Na’hshon fils d’Aminadav de la Tribu de Juda (Nombres 7: 12), pourquoi son nom est-il Na’hshon ? En raison du fait qu’il soit le premier descendu dans les grandes et puissantes vagues de la mer [des Joncs]. Rabbi Shim’on ben Yokhaï enseigne que le Saint Béni soit-Il a dit à Moïse : « Celui qui sanctifie mon Nom dans la Mer des Joncs, celui-là même sera le premier à offrir ses sacrifices [lors de l’inauguration de la Tente du Rendez-Vous, cf. Nombres 7: 12-17] et ce fut Na’hshon, et ainsi agit-il, comme il est écrit :  »Celui qui présenta le premier jour son offrande, fut Na’hshon, fils d’Amminadav, de la tribu de Juda » (Nombres 7: 12). Son lien de parente évoqué est celui de sa Tribu [Yehouda-Juda], Donc son nom est loué, ainsi que le nom de son père et le nom de sa Tribu… ». (Nombres Raba 13: 7).

Na’hshon aurait eu le courage d’être le premier à se jeter dans les eaux tumultueuses de la Mer des Joncs, disposé à offrir sa vie pour le bien de ses frères hébreux pris en étau entre la puissante armée égyptienne et la barrière naturelle des eaux. Selon un autre Midrash, Na’hshon aurait dit :

ש« הוֹשִׁיעֵנִי אֱלֹהִים! כִּי בָאוּ מַיִם עַד נָפֶשׁ. טָבַעְתִּי בִּיוֵן מְצוּלָה, וְאֵין מָעֳמָד, בָּאתִי בְמַעֲמַקֵּי מַיִם, וְשִׁבֹּלֶת שְׁטָפָתְנִי. » (תהלים סט,ג) (מכילתא דרבי ישמעאל)

« Viens à mon secours, ô Seigneur, car les flots m’ont atteint, menaçant mes jours. Je suis plongé dans la vase d’un gouffre ; pas un pouce de terrain pour y poser le pied ! Je suis descendu dans des eaux profondes, et les vagues me submergent ». (Psaume 69: 2-3).

Alors les eaux de la Mer des Joncs s’écartèrent, laissant les Hébreux traverser tranquillement.

A l’opposé de la littéralité de la source biblique, ces exégèses rabbiniques visent à montrer que le miracle n’advient que lorsque les hommes agissent pleinement en leur âme et conscience pour le bien de leurs frères sans jamais attendre aucune récompense en retour.

L’initiative individuelle de Na’hshon relève d’une rare noblesse d’esprit qui va octroyer non seulement la priorité à la tribu de Juda en ce qui concerne l’offrande des sacrifices lors de la dédicace de la Tente du Rendez-Vous, mais de surcroît lui permettre d’offrir de l’encens sur l’autel extérieur – et non à l’intérieur sur l’autel d’or – privilège n’appartenant qu’aux Cohanim !

Selon Rashi, il s’agit d’un acte exceptionnel :

מְלֵאָה קְטֹרֶת: לֹא מָצִינוּ קְטֹרֶת לְיָחִיד וְלֹא עַל מִזְבֵּחַ הַחִיצוֹן, אֶלָּא זוֹ בִּלְבַד וְהוֹרָאַת שָׁעָה הָיְתָה: (רש »י על הפסוק במדבר ז: יד)

« Pleine d’encens Nous ne trouvons nulle part, sauf ici, que de l’encens puisse être offert par un particulier ni sur l’autel extérieur. Il s’agissait d’une dérogation exceptionnelle ». (Rashi sur le verset Nombres 7: 14).

Après les massacres du 7 octobre perpétrés par le mouvement terroriste du Hamas, nombreux sont celles et ceux qui, du sein de TsaHaL ou bien issus de la société civile, se sont massivement portés volontaires pour défendre l’intégrité d’Israël, prêts, encore plus que jamais, à donner, comme Na’hshon, leur vie. Les témoignages de simples citoyens se rendant par leurs propres moyens sur les lieux des massacres pour se battre avec de simples armes sont si nombreux qu’ils font d’Israël, sans l’ombre d’un doute, l’une des plus héroïques nations au monde.

א טוֹב שֵׁם מִשֶּׁמֶן טוֹב וְיוֹם הַמָּוֶת מִיּוֹם הִוָּלְדוֹ

1 Un bon renom est préférable à l’huile parfumée, et le jour de la mort au jour de la naissance.(Ecclésiaste 7 : 1).

[1] Parashat Pin’has : Nombres 25: 10-30: 1.
[2] Sourate « Al ‘Hajj », « Le Pèlerinage » verset 58.

Shabbat shalom !

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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