Parashat Nasso, La couronne de Vie
La parashat Nasso[1], la plus longue de toutes les péricopes bibliques, évoque de nombreux thèmes : la vocation de deux des trois familles de Cohen (Gershon et Merari), la troisième étant Kehat, l’exclusion des impurs du camp d’Israël, la femme Sota (adultère), le nazir (abstème) et la dédicace de l’autel des sacrifices.
Le thème qui retiendra notre attention est celui de l’abstème. L’abstème ou nazir se caractérise par le vœu qu’il s’impose conformément aux injonctions de la Torah de s’interdire tout ce qui provient du produit de la vigne (peau, pépins, vin, jus de raisin…) :
ג מִיַּיִן וְשֵׁכָר יַזִּיר חֹמֶץ יַיִן וְחֹמֶץ שֵׁכָר לֹא יִשְׁתֶּה וְכָל-מִשְׁרַת עֲנָבִים לֹא יִשְׁתֶּה וַעֲנָבִים לַחִים וִיבֵשִׁים לֹא יֹאכֵל. ד כֹּל יְמֵי נִזְרוֹ מִכֹּל אֲשֶׁר יֵעָשֶׂה מִגֶּפֶן הַיַּיִן, מֵחַרְצַנִּים וְעַד-זָג לֹא יֹאכֵל. (במדבר ו: ג-ד)
3 il s’abstiendra de vin et de boisson enivrante, ne boira ni vinaigre de vin, ni vinaigre de liqueur, ni une infusion quelconque de raisins, et ne mangera point de raisins frais ni secs. 4 Tout le temps de son abstinence, il ne mangera d’aucun produit de la vigne, depuis les pépins jusqu’à l’enveloppe. (Nombres 6 : 3-4).
A cet interdit s’ajoute celui de ne point couper ses cheveux et de ne toucher en aucune manière un cadavre humain ou animal sous peine de devenir impur :
ה כָּל-יְמֵי נֶדֶר נִזְרוֹ תַּעַר לֹא-יַעֲבֹר עַל-רֹאשׁוֹ עַד-מְלֹאת הַיָּמִם אֲשֶׁר-יַזִּיר לַיהוָה קָדֹשׁ יִהְיֶה גַּדֵּל פֶּרַע שְׂעַר רֹאשׁוֹ. ו כָּל-יְמֵי הַזִּירוֹ לַיהוָה עַל-נֶפֶשׁ מֵת לֹא יָבֹא. (במדבר ו: ה-ו)
5 Tout le temps stipulé pour son abstinence, le rasoir ne doit pas effleurer sa tête. 6 Tout le temps de cette abstinence en l’honneur de l’Éternel, il ne doit pas approcher d’un corps mort (Nombres 6 : 5-6).
Quel est le sens de ces trois interdits ?
Le nazir voit dans les plaisirs de la vie un obstacle à son élévation spirituelle. La consommation de vin est associée pour l’abstème aux fautes d’ordre sexuel de ‘Ham qui, selon l’interprétation des Sages, va commettre un inceste avec son père No’ah (Noé), qu’il trouve ivre et nu dans la tente (Talmud de Babylone, Sanhédrin 70 : a) et des filles de Lot qui enivrent leur père afin de mettre au monde Moav et Ammon (Genèse 19 : 30-38). Autrement dit, le nazir tend à s’éloigner de toute forme de tentation extérieure susceptible de le faire échouer dans son aspiration à atteindre les plus hauts sommets de la Transcendance.
Le nazir se doit également de s’écarter de la mort sur le modèle des Cohanim et plus particulièrement du Grand-Cohen en n’évoluant que dans la sphère de la vie.
ז לְאָבִיו וּלְאִמּוֹ לְאָחִיו וּלְאַחֹתוֹ לֹא-יִטַּמָּא לָהֶם בְּמֹתָם כִּי נֵזֶר אֱלֹהָיו עַל-רֹאשׁוֹ. (במדבר ו: ז)
7 pour son père et sa mère, pour son frère et sa sœur, pour ceux-là même il ne se souillera point à leur mort, car l’auréole de son Seigneur est sur sa tête. (Nombres 6 : 7).
Au cas où l’impureté viendrait à atteindre le nazir, elle souillerait sa chevelure dénommée « נֵזֶר auréole, couronne » !
C’est cette couronne de cheveux qui, plus que les interdits relatifs à la consommation de vin et des lois d’impureté concernant la mort, fonde le statut singulier du nazir.
Ainsi :
ח כֹּל יְמֵי נִזְרוֹ קָדֹשׁ הוּא לַיהוָה. (במדבר ו: ח)
8 Tant qu’il portera cette auréole, il est consacré (séparé) au Seigneur. (Nombres 6 : 8).
Les cheveux du nazir sont si fondamentaux que le texte rajoute le devoir pour ce dernier de les faire croître :
ה …עַד-מְלֹאת הַיָּמִם אֲשֶׁר-יַזִּיר לַיהוָה קָדֹשׁ יִהְיֶה גַּדֵּל פֶּרַע שְׂעַר רֹאשׁוֹ. (במדבר ו: ה)
5 …jusqu’au terme des jours où il veut s’abstenir pour l’Éternel, il doit rester séparé, laisser croître librement la chevelure de sa tête. (Nombres 6 : 5).
Puis la période de vœu du nazir -d’une durée limitée à trente jours- ne prend fin qu’à la coupe de cheveux. Associés au sacrifice des Pacifiques, les cheveux doivent être totalement brûlés, comme un sacrifice holocauste, afin de rappeler qu’il s’agit de « cheveux consacrés » au service divin et non point de cheveux mettant en avant la beauté du nazir :
יח וְגִלַּח הַנָּזִיר, פֶּתַח אֹהֶל מוֹעֵד אֶת-רֹאשׁ נִזְרוֹ; וְלָקַח, אֶת-שְׂעַר רֹאשׁ נִזְרוֹ, וְנָתַן עַל-הָאֵשׁ אֲשֶׁר-תַּחַת זֶבַח הַשְּׁלָמִים. (במדבר ו: יח)
18 Alors l’abstème rasera, à l’entrée de la tente d’assignation, sa tête consacrée ; et il prendra cette chevelure consacrée, et la jettera sur le feu qui est sous le sacrifice des pacifiques. (Nombres 6 : 18).
Ainsi, le terme « נָזִיר nazir – abstème » dont la racine hébraïque נ.ז.ר.- N.Z.R. signifie « faire vœu d’abstinence », renvoie également au terme « couronne, diadème » qu’incarnent les cheveux. Ce même terme n’est point sans rappeler deux passages des livres de la Genèse :
כו בִּרְכֹת אָבִיךָ גָּבְרוּ עַל-בִּרְכֹת הוֹרַי עַד-תַּאֲוַת גִּבְעֹת עוֹלָם תִּהְיֶיןָ לְרֹאשׁ יוֹסֵף וּלְקָדְקֹד נְזִיר אֶחָיו. (בראשית מט: כו)
26 surpassant ceux de mes ancêtres, atteignent la limite des montagnes éternelles ; ils s’accompliront sur la tête de Joseph, sur le front de l’élu de ses frères ! (Genèse 49 : 26).
…et du Deutéronome :
טז וּמִמֶּגֶד אֶרֶץ וּמְלֹאָהּ וּרְצוֹן שֹׁכְנִי סְנֶה תָּבוֹאתָה לְרֹאשׁ יוֹסֵף וּלְקָדְקֹד נְזִיר אֶחָיו. (דברים לג: טז)
16 et les délices du sol et son abondance, et la faveur de celui qui eut pour trône un buisson. Puisse-t-elle reposer sur la tête de Joseph, sur le front de l’élu de ses frères (Deutéronome 33 : 16).
La couronne reposant sur la tête de Yossef (Joseph) n’est plus celle de l’homme, du nazir qui se retire du monde afin d’exprimer sa profonde réticence à goûter aux plaisirs du monde mais bien au contraire celle d’un roi qui, jouissant de l’abondance, a pour vocation de redistribuer celle-ci à ses frères. Les cheveux désordonnés du nazir expriment donc la force de vie qui ne cesse de se renouveler non point pour un seul homme élu par l’Eternel mais pour le bien général de la collectivité.
La Torah, consciente des limites humaines, n’encourage en rien le retrait du monde de manière définitive et préfère mettre l’accent sur la vie sociale malgré les difficultés que celle-ci engendre au quotidien.
L’Homme ne doit plus se retirer en lui-même mais se retirer pour autrui ! Là réside le véritable défi de l’Humanité !
טז וְהוֹשִׁיעָם יְהוָה אֱלֹהֵיהֶם בַּיּוֹם הַהוּא כְּצֹאן עַמּוֹ כִּי אַבְנֵי-נֵזֶר מִתְנוֹסְסוֹת עַל-אַדְמָתוֹ. (זכריה ט: טז)
16 Et l’Eternel, leur Seigneur, leur prêtera main-forte, en ce jour, à ce peuple qui est son troupeau, car ce sont des pierres de diadème étincelant sur son territoire. (Zacharie 9 : 16).
[1] Parashat Nasso : Nombres 4 : 21-7 : 89.
Shabbat shalom !
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Commentaire publié sur Campus biblique