Parashat Ki Tissa : « Du peuple, par le peuple, pour le peuple »

Après que les Hébreux aient érigé le veau d’or, l’Eternel enjoint à Moïse de redescendre du mont Sinaï où, pendant quarante jours et quarante nuits, il demeura pour recevoir les Tables de l’Alliance.

ז וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה לֶךְרֵד כִּי שִׁחֵת עַמְּךָ אֲשֶׁר הֶעֱלֵיתָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם. (שמות לב: ז).ש

7 Alors l’Éternel dit à Moïse : descends immédiatement ! car ton peuple est corrompu, celui que tu as tiré du pays d’Égypte ! (Exode 32 : 7).

 

Puis après cette descente précipitée, nous assistons de nouveau à la montée de Moïse :

א וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה לֵךְ עֲלֵה מִזֶּה אַתָּה וְהָעָם, אֲשֶׁר הֶעֱלִיתָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר נִשְׁבַּעְתִּי לְאַבְרָהָם לְיִצְחָק וּלְיַעֲקֹב לֵאמֹר לְזַרְעֲךָ אֶתְּנֶנָּה. (שמות לג: א).ש

1 L’Éternel dit à Moïse : Monte rapidement avec le peuple que tu as conduit hors du pays d’Égypte et allez au pays que j’ai promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, disant : Je le donnerai à ta postérité. (Exode 33 : 1).

 

Rashi explique ainsi l’injonction de descendre donnée à Moïse :

ש «לֶךְ רֵד. רֵד מִגְּדוּלָתְךָ. לֹא נָתַתִּי לְךָ גְּדֻלָּה אֶלָּא בִּשְׁבִילָם בְּאוֹתָהּ שָׁעָה נִתְנַדֶּה מֹשֶׁה מִפִּי בֵּית דּׅין שֶׁל מַעְלָה:»ש

 « Va, descends : Descends de ta grandeur. Je ne t’avais conféré ta dignité que dans leur intérêt. A ce moment-là, Moshe a été excommunié par décret du tribunal céleste » (Rashi sur le verset Exode 32 : 7).

 Puis dans il commente ainsi l’injonction de monter donnée à Moïse :

ש« לֵךְ עֲלֵה מִזֶּה. כְּלַפֵּי שֶׁאָמַר לוֹ בִּשְׁעַת הַכַּעַס לֶךְ רֵד אָמַר לוֹ בִּשְׁעַת רָצוֹן: לֵךְ עֲלֵה:»ש

 

« Monte rapidement d’ici : Par opposition avec ce qu’Il lui avait dit lorsqu’Il était en colère, à savoir : « Va, descends ! », Il lui dit lors de la réconciliation : « Va, monte ! » (Rashi sur le verset Exode 33 : 1).

Le dirigeant lié intimement à son peuple voit son aura croître au moment même où ce dernier se situe à son plus haut niveau spirituel. Au contraire, le déclin du peuple entraîne la chute inexorable du dirigeant. Le passage biblique du don de la Torah illustre parfaitement cette notion d’influence réciproque entre le peuple et son dirigeant :

ג וּמֹשֶׁה עָלָה אֶל-הָאֱלֹהִים וַיִּקְרָא אֵלָיו יְהוָה מִן-הָהָר לֵאמֹר כֹּה תֹאמַר לְבֵית יַעֲקֹב וְתַגֵּיד לִבְנֵי יִשְׂרָאֵל. (שמות יט: ג).ש

3 Puis Moïse monta vers le Seigneur et le Seigneur, l’appelant du haut de la montagne, lui dit : « Adresse ce discours à la maison de Jacob, cette déclaration aux enfants d’Israël (Exode 19 : 3).

 

Pourquoi Moïse eut-il le mérite de monter sur le mont Sinaï ?

ב וַיִּסְעוּ מֵרְפִידִים וַיָּבֹאוּ מִדְבַּר סִינַי וַיַּחֲנוּ בַּמִּדְבָּר וַיִּחַן-שָׁם יִשְׂרָאֵל נֶגֶד הָהָר. (שמות יט: ב).ש

2 Et ils voyagèrent de Refidim, entrèrent dans le désert de Sinaï et y campèrent puis Israël y campa en face de la montagne. (Exode 19 : 2).

 

Israël, un instant avant le don des dix Paroles, se trouve réuni comme en un seul faisceau :

ש« וַיִּחַן שָׁם יִשְׂרָאֵל: כְּאִישׁ אֶחָד בְּלֵב אֶחָד אֲבָל שְׁאָר כָּל הַחֲנִיּוֹת בְּתַרְעוֹמוֹת וּבְמַחֲלוֹקֶת: »ש

 

« Israël y campa : Comme un seul homme, d’un seul cœur [d’où l’emploi du singulier], tandis que toutes les autres étapes ont eu lieu dans des récriminations et des querelles » (Rashi sur le verset Exode 19 : 2).

En d’autres termes, sans la puissante unité d’Israël, dans l’attente des Dix Paroles, il est fort probable que Moïse eût été incapable de monter sur le mont Sinaï. Le mérite du don de la Torah serait donc celui des fils d’Israël avant d’être celui de Moïse !

Quelle est finalement l’idée fondamentale que désire transmettre la Torah ?

La Torah aspire à enseigner que tout dirigeant, quel que puisse être son degré d’élévation intérieure, reste toutefois dépendant du peuple car issu du peuple lui-même, il en tire sa pleine et entière légitimité. Ainsi Moïse, totalement conscient que la confiance populaire lui manque, cette confiance du peuple qui est la condition sine qua non de toute gouvernance, au moment où l’Eternel lui apparaît au buisson ardent, déclare :

א … וְהֵן לֹא-יַאֲמִינוּ לִי וְלֹא יִשְׁמְעוּ בְּקֹלִי כִּי יֹאמְרוּ לֹא-נִרְאָה אֵלֶיךָ יְהוָה. (שמות יד: א).ש

1 … « Mais certes, ils ne me croiront pas et ils n’écouteront pas ma voix, parce qu’ils diront : L’Éternel ne t’est point apparu. » (Exode 4 : 1).

 

Ainsi, l’on pourrait presque dire que cette confiance manquante se reflète comme un miroir : s’il arrive au peuple de manquer de confiance en Moïse, c’est Moïse qui, au départ et sans raison aucune, manque de confiance dans le peuple des Hébreux !

Les Hébreux vont jusqu’à se sentir orphelins lors de son absence due à l’appel de l’Eternel au mont Sinaï.

La tentation de s’accaparer le pouvoir guette tout dirigeant. Celui-ci doit, toutefois, comprendre que sa faculté à gouverner provient de la confiance que les femmes et les hommes du peuple sont disposés à lui octroyer. GuID’ON (Gédéon) est l’exemple même du dirigeant que le peuple aurait désiré conduire aux rennes du pouvoir (Juges 8 : 22). Son refus conduit l’un de ses fils Avimelekh à l’édification d’une dictature sans foi ni loi. Assassinant tous ses autres frères, Avimelekh n’a aucune peine à s’autoproclamer roi d’Israël. Nombreux sont les tyrans à s’être autoproclamés roi, empereur. Le sacre de Napoléon Ier immortalisé par le grand peintre Jean-Louis David en constitue l’un des plus célèbres exemples.

La parashat Ki Tissa pose les prolégomènes de ce qui deviendra, en Occident, la démocratie moderne.

Abraham Lincoln, lors de son bref discours prononcé à Gettysburg, en 1863, déclame, en hommage aux milliers de soldats de l’Union du Nord et de la Confédération du Sud :

« C’est à nous de nous consacrer plus encore à la grande cause pour laquelle ils offrirent le suprême sacrifice ; c’est à nous de faire en sorte qu’ils ne soient pas morts en vain ; à nous de vouloir qu’avec l’aide de Dieu cette nation renaisse dans la liberté ; à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre. »

L’expression « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » auquel ce discours aujourd’hui historique doit sa notoriété a été introduite, en 1958, dans l’article 2 de la Cinquième Constitution française et reprise par Winston Churchill à la Chambre des Communes le 11 novembre 1947 face au travailliste Clément Attlee qui l’avait évincé du pouvoir deux ans plus tôt.

Rabbi Lord Jonathan Sacks enseigne :

« Il n’y a rien de naturel dans la démocratie. C’est l’héritage de deux grandes civilisations antiques, la Grèce, qui nous a donné le mot «  démocratie  » lui-même, et l’héritage judéo chrétien qui a dit que nous sommes tous également à l’image et à la ressemblance de Dieu et que nous devrions donc avoir notre mot à dire de manière égale pour décider de notre avenir collectif.

Ses premiers tressaillements sont survenus au XVIIe siècle après que l’Europe ait été ravagée par une guerre de religion. C’est à ce moment-là que Milton, Hobbes, Spinoza et Locke se sont tournés vers la Bible hébraïque et y ont trouvé l’idée de l’erreur de régner sur les autres contre leur volonté. La pleine démocratie a encore pris du temps, mais c’est là qu’elle a commencé.

Alors, quand les gens disent qu’une campagne électorale est ennuyeuse, je dis : trois acclamations pour l’ennui une fois que vous considérez réellement les alternatives. La démocratie est l’une des grandes réalisations de l’humanité et nous ne devrions jamais la tenir pour acquise. » (Never take democracy for granted (Thought for the day, 2015).

יד  מִתּוֹךְ וּמֵחָמָס יִגְאַל נַפְשָׁם וְיֵיקַר דָּמָם בְּעֵינָיו. טו …וְיִתְפַּלֵּל בַּעֲדוֹ תָמִיד כָּל-הַיּוֹם יְבָרְכֶנְהוּ. (תהלים עב: יד-טו).ש

14 Il [le roi] délivre leur personne de l’oppression et de la violence, et leur sang est d’un haut prix à ses yeux. 15 … sans cesse ils prieront en sa faveur, tout le temps, ils le béniront (Psaume 72 : 14-15).

 

Si vous voulez en savoir plus sur l’enseignement de Haïm Ouizemann venez visiter son site.

Shabbat shalom !

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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