Parashat Ki Tetsé, Méditation sur l’éthique de la guerre
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
La parashat Ki Tetsé[1] développe une large vision d’éthique de la guerre déjà citée à la parashah précédente, parashat Shophetim dans laquelle il y est explicitement interdit de détruire les arbres fruitiers, même en cas de guerre :
כ רַק עֵץ אֲשֶׁר-תֵּדַע כִּי-לֹא-עֵץ מַאֲכָל הוּא אֹתוֹ תַשְׁחִית, וְכָרָתָּ וּבָנִיתָ מָצוֹר עַל-הָעִיר אֲשֶׁר-הִוא עֹשָׂה עִמְּךָ מִלְחָמָה עַד רִדְתָּהּ. (דברים כ: כ)
20 Seulement, l’arbre que tu sauras n’être pas un arbre fruitier, celui-là tu peux le sacrifier et l’abattre, pour l’employer à des travaux de siège contre la ville qui est en guerre avec toi, jusqu’à ce qu’elle succombe. (Deutéronome 20: 20).
À cet interdit d’abattre les arbres fruitiers, source de vie pour les hommes, s’ajoute un second avertissement mentionné dans la parashat Ki Tetsé :
י כִּי-תֵצֵא מַחֲנֶה עַל-אֹיְבֶיךָ וְנִשְׁמַרְתָּ מִכֹּל דָּבָר רָע. (דברים כג: י)
10 Quand tu marcheras en corps d’armée contre tes ennemis, tu devras te garder de toute action mauvaise. (Deutéronome 23: 10).
Que signifie donc l’expression « tu devras te garder de toute action mauvaise » ? La guerre n’est-elle point mauvaise et intrinsèquement cruelle ? Que veut rajouter la Torah dans ce verset ?
L’injonction biblique de se garder de « toute mauvaise action » s’adresse particulièrement aux combattants d’Israël qui, dans le contexte de la guerre, pourraient se conduire immoralement.
En effet, alors que la plupart des guerres ont été imposées à Israël par ses ennemis bibliques (Ammonites, Moabites, Philistins…) ou modernes (Guerre d’Indépendance, 1948 ; Guerre des Six Jours, 1967 ; Guerre de Kippour, 1973 ; Guerre du 7 octobre 2023, « Épées de fer »), Israël a dû se défendre sans pourtant jamais perdre aucune guerre :
טז … לֹא תַעֲמֹד עַל-דַּם רֵעֶךָ אֲנִי יְהוָה. (ויקרא יט: טז)
16 … ne sois pas indifférent au danger de ton prochain : je suis l’Éternel. (Deutéronome 19: 16).
Pourquoi cette injonction est-elle si importante pour le peuple d’Israël ?
טו כִּי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ מִתְהַלֵּךְ בְּקֶרֶב מַחֲנֶךָ לְהַצִּילְךָ וְלָתֵת אֹיְבֶיךָ לְפָנֶיךָ וְהָיָה מַחֲנֶיךָ קָדוֹשׁ וְלֹא-יִרְאֶה בְךָ עֶרְוַת דָּבָר וְשָׁב מֵאַחֲרֶיךָ. (דברים כג: טו)
15 Car l’Éternel, ton Seigneur, marche au centre de ton camp pour te protéger et pour te livrer tes ennemis : ton camp doit donc être saint [séparé] et qu’Il (l’Éternel) ne voie pas chez toi une chose de nudité, car il se retirerait d’avec toi. (Deutéronome 23: 15).
Autrement dit, le camp militaire doit être considéré comme aussi saint que la Tente du Rendez-Vous !
Le terme « דָּבָר / Davar / chose » peut également être traduit par le substantif « parole » – « qu’Il (l’Éternel) ne voie pas chez toi une parole de nudité ». La parole est souvent à l’origine de nos actions. C’est pourquoi la Torah enjoint de conserver la pureté de la parole, et ce, même au combat. Qui garde sa parole se garde de mauvaises actions.
La Torah est consciente qu’en temps de guerre et de chaos, les hommes, même parmi les plus moraux, sont toujours susceptibles de se corrompre et d’oublier tous les plus grands principes d’éthique de droiture, de justice et de compassion, principes fondamentaux dont personne n’aurait jamais imaginé qu’ils pussent être bafoués.
La pression constante et le déséquilibre dus aux difficiles conditions de guerre constituent une menace psychologique intense pour le combattant capable de ne plus résister à son premier ennemi avant tout, l’ennemi qui réside en son for intérieur.
La Torah enseigne que l’ennemi extérieur ne peut être vaincu, entre autres, que par la victoire de l’homme – du combattant – sur ses passions et ses pulsions. La guerre a cela de dramatique qu’elle pousse à faire tomber toutes les limites au nom de la victoire. Israël a le devoir de résister à cette infernale tentation.
Le commentateur Na’hmanide explique :
« …וְהַיָּדוּעַ בְּמִנְהֲגֵי הַמַּחֲנוֹת הַיּוֹצְאוֹת לַמִּלְחָמָה כִּי יֹאכְלוּ כָּל תּוֹעֵבָה, יִגְזְלוּ וְיַחְמְסוּ, וְלֹא יִתְבּוֹשְׁשׁוּ אֲפִלּוּ בְּנִאוּף וְכָל נְבָלָה, הַיָּשָׁר בִּבְנֵי אָדָם בְּטִבְעוֹ יִתְלַבֵּשׁ אַכְזָרִיּוּת וְחֵמָה כְּצֵאת מַחֲנֶה עַל אוֹיֵב, וְעַל כֵּן הִזְהִיר בּוֹ הַכָּתוּב ‘וְנִשְׁמַרְתָּ מִכֹּל דָּבָר רָע’. » (רמב »ן על הפסוק דברים כג: י)
« Nous connaissons les habitudes des camps allant en guerre, qu’ils (leurs soldats) consommeront toute forme d’abomination, voleront et écraseront, ils seront la cause de violence et n’auront même pas honte de pratiquer l’adultère et autre abomination morale. Le plus droit par nature d’entre les hommes deviendra cruel et plein de furie lorsqu’il va en guerre contre l’ennemi. C’est la raison pour laquelle l’Écriture met en garde ‘et tu te garderas de toute chose mauvaise’ ». (RaMBaN, Na’hmanide sur le verset Deutéronome 23: 10).
Les combattants d’Israël doivent être un modèle de défense pour l’ensemble de l’Humanité. Si se défendre est une obligation morale, toucher volontairement à l’intégrité morale et physique des civils reste un crime. Le pouvoir des armes n’octroie aucun privilège aux soldats, mais une responsabilité personnelle.
Comment alors oser retenir l’accusation de « génocide » à l’encontre d’Israël, et vouloir lancer des mandats d’arrêt contre le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, en ayant l’audace de les comparer aux pires criminels terroristes du Hamas comme Yahya Sinwar, détenant encore la famille Bibas et leurs deux bébés ?
Les soldats israéliens n’ont jamais violé les femmes de l’ennemi, contrairement aux soldats russes lors de leur conquête territoriale en Ukraine ; les civils de Gaza sont ravitaillés en eau et en vivres par des centaines de camions de ravitaillement pillés par les terroristes du Hamas !
En d’autres termes, la guerre et les horreurs irréparables qu’elle entraîne ne justifient en aucune façon le débordement et les dérives d’ordre moral qui pourraient s’ensuivre. Bien au contraire, la guerre, considérée comme un fait extrême de violence, constitue le baromètre moral d’une nation.
Au-delà de leur mission de défense nationale, comment les soldats vont-ils se conduire vis-à-vis des femmes et des enfants ? Abuseront-ils ou non de celles-ci et tueront-ils leurs enfants ?
L’exigence de la Torah réside dans les limites qu’elle fixe au soldat dans son rapport à son environnement, à autrui mais aussi vis-à-vis de lui-même. Toute atteinte à autrui est avant tout une atteinte à sa propre image. Au cas où il aurait porté gratuitement atteinte à autrui, serait-il capable de retourner en son foyer, au sein de sa famille, vers son épouse, ses amis, ses proches, comme si rien ne s’était passé ? L’on peut fortement en douter.
Autrement dit, en s’éloignant du mal causé à autrui, la Torah aspire à préserver l’état psychique et mental du soldat qui, regagnant la société, devra se reconstruire pour le bien-être de toutes et de tous.
L’armée israélienne Tsahal, dont une grande partie du code éthique s’inspire de la Bible et en particulier du verset présent, est, sans l’ombre d’un doute, l’une des armées les plus morales au monde.
Pour preuve, lors de la guerre déclarée après les massacres du Shabbat de Sim’hat Torah le 7 octobre 2023, les dirigeants politiques et les généraux de Tsahal, au lieu de détruire sans distinction les terroristes et la population gazaouie, qui a pourtant pris dans sa grande majorité une part active – ou même passive par son accord tacite – aux massacres et à l’enlèvement de 250 Israéliens et étrangers, s’attachent dans tous les cas à préserver, autant que faire se peut, la vie de la population gazaouie, et à ne cibler que les responsables directs et indirects du Hamas.
Cette retenue inhérente au respect de la créature humaine, quelles que puissent être les épreuves de guerre, a pour conséquence d’ouvrir à Israël la voie de la victoire sur ses ennemis, en l’occurrence le Hamas au Sud et le Hezbollah au Nord :
טו כִּי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ מִתְהַלֵּךְ בְּקֶרֶב מַחֲנֶךָ לְהַצִּילְךָ וְלָתֵת אֹיְבֶיךָ לְפָנֶיךָ… (דברים כג: טו)
15 Car l’Éternel, ton Seigneur, marche au centre de ton camp pour te protéger et pour te livrer tes ennemis… (Deutéronome 23: 15).
L’héroïsme ne découle pas seulement de la victoire militaire sur l’ennemi mais de la faculté suprême de maîtrise de soi :
לב טוֹב אֶרֶךְ אַפַּיִם מִגִּבּוֹר וּמֹשֵׁל בְּרוּחוֹ מִלֹּכֵד עִיר. (משלי טז: לב)
32 Qui résiste à la colère l’emporte sur le héros ; qui domine ses passions sur un preneur de villes. (Proverbes 16: 32)
[1] Parashat Ki Tetsé : Deutéronome 21: 10-25: 19.