Parashat Eqev, les Trois Sources de la Vie

La parashat Ekev[1] se caractérise par son introduction où le verbe ‘vivre’ apparaît à deux reprises, annonçant un message de vie.

א כָּל-הַמִּצְוָה אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם, תִּשְׁמְרוּן לַעֲשׂוֹת לְמַעַן תִּחְיוּן וּרְבִיתֶם וּבָאתֶם וִירִשְׁתֶּם אֶת-הָאָרֶץ אֲשֶׁר-נִשְׁבַּע יְהוָה לַאֲבֹתֵיכֶם… ג וַיְעַנְּךָ וַיַּרְעִבֶךָ וַיַּאֲכִלְךָ אֶת-הַמָּן אֲשֶׁר לֹא-יָדַעְתָּ וְלֹא יָדְעוּן אֲבֹתֶיךָ לְמַעַן הוֹדִיעֲךָ כִּי לֹא עַל-הַלֶּחֶם לְבַדּוֹ יִחְיֶה הָאָדָם כִּי עַל-כָּל-מוֹצָא פִי-יְהוָה יִחְיֶה הָאָדָם. (דברים ח: א; ג).

1 « Toutes les injonctions que je vous enjoins aujourd’hui, vous les garderez pour les faire, afin que vous viviez et deveniez nombreux, et que vous veniez et héritiez de ce pays que l’Éternel a promis à vos pères… 3 Et il t’a fait souffrir et endurer la faim, puis il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connue tes pères ; pour te prouver que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais qu’il vivra de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. (Deutéronome 8 : 1; 3)
Rashi explique pourquoi la mitsvah revient à celui qui la termine par voie de déduction :

«כָּל הַמִּצְוָה: כִּפְשׁוּטוֹ. וּמִדְרָשׁ אַגָּדָה אִם הִתְחַלְתָּ בְּמִצְוָה, גְּמֹר אוֹתָהּ, שֶׁאֵינָהּ נִקְרֵאת הַמִּצְוָה אֶלָּא עַל שֵׁם הַגּוֹמְרָהּ, שֶׁנֶּאֱמַר: « וְאֶת-עַצְמוֹת יוֹסֵף אֲשֶׁר הֶעֱלוּ בְנֵי יִשְׂרָאֵל מִמִּצְרַיִם קָבְרוּ בִשְׁכֶם ». וַהֲלֹא מֹשֶׁה לְבַדּוֹ נִתְעַסֵּק בָּהֶם לְהַעֲלוֹתָם?! אֶלָּא לְפִי שֶׁלֹּא הִסְפִּיק לְגָמְרָהּ וּגְמָרוּהָ יִשְׂרָאֵל נִקְרֵאת עַל שְׁמָם». (רש »י על הפסוק דברים ח: א)

« Toute la mitsvah : A prendre au sens littéral. Quant à l’explication midrachique, elle consiste à dire que si tu as commencé une mitsvah, termine-la, car elle ne peut être appelée ‘mitsvah’ qu’au bénéfice de celui qui la termine, comme il est écrit : « Et les ossements de Yoseph, que les fils d’Israël avaient fait monter d’Egypte, furent enterrés à Shekhem » (Josué 24, 32). Et pourtant, n’est-ce pas Moïse tout seul qui s’est occupé de les faire monter (Exode 13, 19) ? En fait, du moment qu’il n’a pas eu le temps de mener la mitsvah-l’injonction à bonne fin et que ce sont les enfants d’Israël qui l’ont terminée, c’est à leur bénéfice qu’elle a été nommée ». (Rashi sur le verset Deutéronome 8 : 1).

L’interprétation de Rashi dépasse le simple sens littéral. Ainsi, la source biblique ne ferait pas mention du nombre de préceptes qu’il incombe au peuple d’Israël de pratiquer pour atteindre à la vie mais enseignerait l’essentialité de la qualité de l’intention à mettre dans la pratique de ces préceptes. Cette notion de qualité apparaît déjà dans le commentaire de Rashi lorsque Ya’akov – Jacob dit à son frère Essav-Esaü :

 «יֶשׁ-לִי-כֹל» « j’ai tout!  »  (Genèse 33 : 11)

«יֵשׁ לִי כֹל: כָּל סִפוּקִי וְעֵשָׂו דִּבֵר בְּלָשׁוֹן גַּאֲוָה יֶשׁ לִי רָב יוֹתֵר וְיוֹתֵר מִכְּדֵי צָרְכִּי»

« ‘J’ai tout’: Tout ce dont j’ai besoin… Tandis que ‘Essav a proclamé orgueilleusement : ‘ יֶשׁ-לִי רָב J’ai beaucoup !’ (Genèse 13 : 9), beaucoup plus que ce dont j’ai besoin. »

Le commentateur Abrabanel (1437-1509) confirme la pensée de Rashi. Pour lui, le singulier du terme «הַמִּצְוָה» exprime un pluriel :

ש«אַךְ אָמְנָם רָאוּי שֶׁנֵדַע לָמָּה אָמַר הַמִּצְוֹת בִּלְשׁוֹן יָחִיד אִם הָיְּתָה הַכַּוָּנָה עַל כָּל הַמִּצְוֹת. וְאָמַר שֶׁיָדוּעַ הוּא לַחֲכָמִים שֶׁהַדָּבָר הַשָּׁלֵם אֵינוֹ אֶלָּא אֶחָד עַד כִּי הָאֶחָד וְהַשָּלֵם יֵאָמֵר בְּהַרְדָפָה.»ש

« Toutefois, il serait convenable que nous sachions pourquoi il est dit ‘Toute la mitsva’ (‘tout le précepte’) au singulier alors même que l’intention était pour toutes les mitsvot (tous les préceptes divins). Et il est connu que les Sages savent que la chose entière n’est qu’une seule et même chose, tant et si bien que l’Un et le Parfait s’emploient comme synonymes. »

En d’autres termes, la Tora emploie le tout pour désigner la partie (« Totum pro parte » ou synecdoque généralisante).

Pourtant comment expliquer que les Sages d’Israël enseignent :

ש«הוּא הָיָה אוֹמֵר: לֹא עָלֶֽיךָ הַמְּלָאכָה לִגְמוֹר, וְלֹא אַתָּה בֶן חוֹרִין לְהִבָּטֵל מִמֶּֽנָּה…» (פרקי אבות ב: טז)

« Il [Rabbi Tarfon] avait coutume de dire : « Tu n’es pas tenu de terminer le travail, mais tu n’es pas libre de t’en dispenser… » (Maximes des Pères 2 : 16).

Deux grandes idées s’affrontent sans pourtant jamais se contredire fondamentalement. Rashi défend la thèse de la perfection résultant de la pratique pleine et entière du précepte divin mettant l’accent sur l’aboutissement de ce dernier alors que Rabbi Tarfon met en exergue l’intention initiale de ne point se dérober à la pratique du précepte divin. La volonté intérieure de débuter l’action prime sur la totale réalisation de cette dernière ! Si la vie exige la perfection rarement atteinte par le genre humain, au moins elle découle du pouvoir de la volonté humaine. Vouloir, c’est déjà obtenir la Vie !

L’ « élan vital », pour reprendre l’expression d’Henri Bergson dans son livre « l’Evolution créatrice », ne résulte en rien de la matérialité du monde mais de sa source, à savoir la Parole créatrice capable d’établir le monde et de faire tomber la manne quotidiennement.

En définitive, la parashat Eqev révèle, selon l’interprétation que les Sages en donnent, les Trois Sources d’où découlent le principe fondamental de Vie : l’esprit de l’Homme dans ce qu’il a de plus noble : la volonté sans laquelle le monde demeurerait statique, la Parole divine créatrice et la pratique visant à accomplir pleinement cette même Parole divine dans le dessein de réparer le monde.

יג מִקְוֵה יִשְׂרָאֵל יְהוָה כָּל-עֹזְבֶיךָ יֵבֹשׁוּ יסורי (וְסוּרַי) בָּאָרֶץ יִכָּתֵבוּ כִּי עָזְבוּ מְקוֹר מַיִם-חַיִּים אֶת-יְהוָה. (ירמיהו יז: יג)

13 Espérance d’Israël, Eternel, tous ceux qui te délaissent seront confondus ! Oui, ceux qui se tiennent éloignés de moi seront inscrits sur la poussière, car ils ont abandonné la source d’eaux vives : l’Eternel. (Jérémie 17 : 13).

[1] Parashat ‘Eqev : Deutéronome 7 : 12-11 : 25.

Shabbat shalom

Haïm Ouizemann

Commentaire publié sur Campus biblique

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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