Parashat BéShala’h, le refugié, un homme libre

« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. » (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, 10 décembre 1948, article 14. 1).

La parasha BéShala’h relate le miracle de la traversée de la Mer des Joncs et expose plus généralement la voie qu’emprunte l’Eternel afin que les enfants d’Israël ne retournent en aucune manière en Egypte.

Moïse, rassurant les Hébreux, déclame :

יד יְהוָה יִלָּחֵם לָכֶם וְאַתֶּם תַּחֲרִשׁוּן. (שמות יד: יד).ש

14 L’Éternel combattra pour vous ; et vous, tenez-vous tranquilles ! » (Exode 14 : 14).

 

Les Hébreux, protégés par le Maître du monde, doivent donc garder une pleine et entière confiance en Celui-ci.

Les Sages d’Israël, s’inspirant de la protection divine s’étendant sur l’ensemble d’Israël, établissent un lien étroit entre la confiance des Hébreux en l’Eternel et les versets du livre du Deutéronome relatifs aux droits octroyés à l’esclave en fuite :

טז לֹא-תַסְגִּיר עֶבֶד אֶל-אֲדֹנָיו אֲשֶׁר-יִנָּצֵל אֵלֶיךָ מֵעִם אֲדֹנָיו. יז עִמְּךָ יֵשֵׁב בְּקִרְבְּךָ  בַּמָּקוֹם אֲשֶׁר-יִבְחַר בְּאַחַד שְׁעָרֶיךָ בַּטּוֹב לוֹ לֹא תּוֹנֶנּוּ. (דברים כג: טז-יז). ש

16 Ne livre pas un esclave à son maître, s’il vient se réfugier de chez son maître auprès de toi. 17 Laisse-le demeurer chez toi, dans ton pays, en tel lieu qu’il lui plaira, dans telle de tes villes où il se trouvera bien ; vous ne le l’opprimerez point . (Deutéronome 23 : 16-17).

 

Ces deux dernières injonctions viennent compléter celles évoquées dans le livre de Shémot (Exode) :

כ וְכִי-יַכֶּה אִישׁ אֶת-עַבְדּוֹ אוֹ אֶת-אֲמָתוֹ בַּשֵּׁבֶט וּמֵת תַּחַת יָדוֹ נָקֹם יִנָּקֵם. (שמות כא: כ) ש

20 « Si un homme frappe du bâton son esclave mâle ou femelle et que l’esclave meure sous sa main, il doit être vengé. (Exode 21 : 20).

כו וְכִי-יַכֶּה אִישׁ אֶת-עֵין עַבְדּוֹ אוֹ-אֶת-עֵין אֲמָתוֹ וְשִׁחֲתָהּ לַחָפְשִׁי יְשַׁלְּחֶנּוּ תַּחַת עֵינוֹ. כז וְאִם-שֵׁן עַבְדּוֹ אוֹ-שֵׁן אֲמָתוֹ יַפִּיל לַחָפְשִׁי יְשַׁלְּחֶנּוּ תַּחַת שִׁנּוֹ. (שמות כא: כו-כז).ש

26 « Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante de manière à lui en ôter l’usage, il le renverra libre à cause de son œil. 27 et s’il fait tomber une dent à son esclave ou à sa servante, il lui rendra la liberté à cause de sa dent. (Exode 21 : 26-27).

 

Pourquoi donc la Torah interdit-elle de renvoyer l’esclave en fuite à son maître d’origine ?

L’interdit de renvoyer l’esclave aspirant à recouvrer son droit naturel d’homme libre à son maître initial et le devoir de lui octroyer le statut de réfugié ont pour dessein d’éviter d’une part que ce dernier soit maltraité et d’autre part que son maître n’en vienne, après avoir blessé son intégrité physique et morale, à vouloir le garder comme esclave.

Aucun homme ne peut être traité comme un objet perdu et être rendu comme un animal égaré à son propriétaire (הֲשָׁבַת אֲבֵדָה Hashavat Aveda). Selon la Tradition, Naval le Carmélite aurait tenté de renvoyer David, alors en fuite, à Saül :

י  אַל-תַּלְשֵׁן עֶבֶד אֶל-אֲדֹנָו פֶּן-יְקַלֶּלְךָ וְאָשָׁמְתָּ. (משלי ל: י).ש

10 Ne dénigre pas l’esclave auprès de son maître : il te maudirait, et ta faute serait punie. (Proverbes 30 : 10).

 

Comment le peuple d’Israël serait-il capable de renvoyer des réfugiés fuyant des pays ennemis, se rendant ainsi coupable de leur mort prochaine ? La Torah rappelle à Israël qu’il lui incombe de ne jamais oublier qu’il fut lui-même la victime de l’esclavage en Egypte et qu’à ce titre il se doit de compatir à la souffrance de l’étranger :

ט וְגֵר לֹא תִלְחָץ וְאַתֶּם יְדַעְתֶּם אֶת-נֶפֶשׁ הַגֵּר כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם. (שמות כג: ט).ש

9 Tu n’exerceras aucune pression sur l’étranger car vous connaissez, vous, le cœur de l’étranger, vous qui avez été étrangers dans le pays d’Égypte ! (Exode 23 : 9).

יב הִשָּׁמֶר לְךָ פֶּן-תִּשְׁכַּח אֶת-יְהוָה אֲשֶׁר הוֹצִיאֲךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים. (דברים ו: יב).ש

12 garde-toi d’oublier l’Éternel, qui t’a tiré du pays d’Egypte, d’une maison de servitude ! (Deutéronome 6 : 12).

 

Puis prenons grand soin de ne pas suivre la criante et inique indifférence de nations refusant d’octroyer le droit de réfugiés aux Juifs pendant l’une des périodes les plus obscures qu’ait connue l’Europe du XXe siècle. La Conférence d’Evian en 1938, peu après les événements survenus lors de la Nuit de Cristal en Allemagne, initiée sous l’égide du président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt, vise à régler la question des réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant en grand nombre l’enfer nazi. Il s’avère que ni l’Angleterre, ni la France, ni la Suisse, ni même les Etats-Unis n’acceptèrent d’octroyer un quelconque droit d’asile aux Juifs qui, pour la plupart d’entre eux abandonnés à leur triste sort, mourront assassinés par le régime obscur du troisième Reich.

A ce propos, le grand penseur Abraham Joshua Heschel dira : « Peu sont ceux qui sont coupables, mais tous sont responsables ».

Comment le peuple d’Israël qui a donné à l’Humanité le droit fondamental d’asile s’est-il vu refuser toute aide de la part de pays démocratiques « éclairés » et
« soucieux du droit des autres » puis refouler, dans l’indifférence absolue, par ceux-ci ?! Que pouvait signifier la dignité humaine de ces pays héritiers de la Philosophie des Lumières ?! L’Europe d’aujourd’hui n’est-elle point dans une position de faiblesse face à la Turquie dirigée par le dictateur Erdogan brandissant la menace de submerger de réfugiés le vieux continent peu enclin à octroyer ce statut à des milliers de réfugiés fuyant la guerre en Syrie ?

Israël a, à de nombreuses reprises, prouvé sa fidélité à ce droit fondamental d’octroi d’asile à des réfugiés en quête de vie et de repos. Entre 1977 et 1979, le gouvernement israélien, alors dirigé par Menahem Begin, octroie le statut de réfugiés à trois cent soixante-dix Boat people d’origine vietnamienne fuyant la dictature sanglante instaurée par l’armée nord-vietnamienne communiste après la
« Chute de Saïgon » en 1975.

L’Eternel nous montre la voie de la Liberté. Le miracle de la Mer des Joncs accompli par l’Eternel n’a eu lieu qu’une fois. Il incombe à l’Homme de poursuivre l’effort divin en réitérant chaque jour le miracle de l’ouverture de cette mer, de cette nouvelle naissance, pour autrui !

Rabbi Lord Jonathan Sacks enseigne :

« J’avais l’habitude de penser que le verset le plus important de la Bible était ‘Aime ton prochain comme toi-même’. Puis j’ai réalisé qu’il était facile d’aimer son voisin parce qu’il ou elle était généralement comme vous. Ce qui est difficile, c’est d’aimer l’étranger, celui dont la couleur, la culture ou les croyances sont différentes des vôtres. C’est pourquoi le commandement ‘Aime l’étranger parce que vous fûtes autrefois des étrangers’ résonne si souvent dans la Bible. Il nous interpelle maintenant. Un acte audacieux de générosité collective montrera que le monde, en particulier l’Europe, a appris la leçon de son sombre passé et est prêt à prendre la tête du monde pour bâtir un avenir plus prometteur. Les guerres qui ne peuvent être gagnées par les armes peuvent parfois être gagnées par la puissance même d’actes de générosité humanitaire pour inciter les jeunes à choisir la voie de la paix au lieu de la guerre sainte. » (Refugee crisis: ‘Love the stranger because you were once strangers’ calls us now [2015]).

יא  הַצֵּל לְקֻחִים לַמָּוֶת וּמָטִים לַהֶרֶג אִם-תַּחְשׂוֹךְ. יב  כִּי-תֹאמַר הֵן לֹא-יָדַעְנוּ-זֶה:
הֲלֹא-תֹכֵן לִבּוֹת הוּא-יָבִין וְנֹצֵר נַפְשְׁךָ הוּא יֵדָע  וְהֵשִׁיב לְאָדָם כְּפָעֳלוֹ. (משלי כד: יא-יב).ש

11 Sauve ceux qu’on traîne à la mort, ne manque pas de défendre ceux qui vont au supplice. 12 Tu diras peut-être : « Cet homme-là, nous ne le connaissons pas ! » Mais celui qui pénètre au fond des cœurs comprend ; celui qui veille sur ta vie sait, et il rétribue chacun selon ses œuvres. (Proverbes 24 : 11-12).

 

Si vous voulez en savoir plus sur l’enseignement de Haïm Ouizemann venez visiter son site.

Shabbat shalom !

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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