Parashat Bereshit, un monde à réparer

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

La parashah Bereshit[1] débute par la Création du monde, au terme de laquelle l’Éternel ajoute un mot qui semble « inutile », dont la traduction pose un problème majeur. Il s’agit du terme לַעֲשׂוֹת (Genèse 3: 2).

« וַיְבָרֶךְ אֱלֹהִים אֶת־יוֹם הַשְּׁבִיעִי וַיְקַדֵּשׁ אֹתוֹ כִּי בוֹ שָׁבַת מִכָּל־מְלַאכְתּוֹ אֲשֶׁר־בָּרָא אֱלֹהִים לַעֲשׂוֹת׃ »

Bible du Rabbinat (Zadhoc Kahn)

« Dieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour il se reposa de l’œuvre entière qu’il avait produite et organisée. »

André Chouraqui 

« Elohîms bénit le jour septième, il le consacre : oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Elohîms crée pour faire. »

Louis Second 

« Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée en la faisant. »

John Darby 

« Et Dieu bénit le septième jour, et le sanctifia ; car en ce jour il se reposa de toute son œuvre que Dieu créa en la faisant. »

Samuel Cahen

« Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car en ce jour il s’est reposé de toute l’œuvre qu’il avait créée et faite. »

Si toutes ces traductions sont correctes sur le plan littéral, il semble possible d’améliorer la traduction du verbe לַעֲשׂוֹת / faire.

« Et l’Éternel bénit le septième jour, et le sépara [des autres jours] ; car en ce jour Il cessa toute son œuvre que le Seigneur avait créée afin de [la] parfaire… »

Cette dernière traduction conserve à la fois la littéralité du verbe « לַעֲשׂוֹת / faire » et l’esprit de la source biblique « parfaire ». Le préfixe -ל / Lamed devant la racine verbale indique une intention. En effet, ce verbe semble a priori ne rien ajouter au verbe précédent בָּרָא / avait créé.

Que rajoute-t-il donc à la Création ex-nihilo ?

Le verbe לַעֲשׂוֹת traduit par le verbe « parfaire » exprime l’idée de perfection, d’amélioration, d’embellissement du monde créé ex-nihilo par la Divinité.

Deux thèses complémentaires naissent de cette traduction.

La première thèse consiste à comprendre que l’Éternel, après avoir créé sa merveilleuse Création, continue de la maintenir en lui insufflant à chaque fraction de seconde un nouveau souffle, comme l’exprime le verset d’Isaïe :

יח כִּי כֹה אָמַר-יְהוָה בּוֹרֵא הַשָּׁמַיִם הוּא הָאֱלֹהִים, יֹצֵר הָאָרֶץ וְעֹשָׂהּ הוּא כוֹנְנָהּ לֹא-תֹהוּ בְרָאָהּ, לָשֶׁבֶת יְצָרָהּ; אֲנִי יְהוָה, וְאֵין עוֹד. (ישעיהו מה: יח)

18 Car ainsi parle l’Éternel, qui crée des cieux ce Dieu qui forme, façonne la terre, qui la fait, qui l’a créée non pour demeurer déserte mais pour être habitée : « Je suis l’Éternel, et il n’en est pas d’autre ! » (Isaïe 45: 18).

Tous les verbes de ce verset sont au présent et évoquent l’idée d’une Création permanente sans cesse renouvelée, s’opposant à la vision grecque antique d’un Cosmos ordonné, stable et éternel. Pour la Pensée grecque antique, le cosmos est considéré comme incréé, éternel, sans commencement ni fin.

Cette idée d’éternité défendue par les philosophes présocratiques (Parménide, Héraclite), les philosophes classiques (Platon, Aristote), les Écoles hellénistiques (Épicuriens et Stoïciens) et les Néoplatoniciens (Plotin) s’appliquant à la structure globale de l’univers, ne remet tout de même pas en question des changements pouvant survenir à l’intérieur de celui-ci.

La seconde thèse défend l’idée que le verbe לַעֲשׂוֹת / parfaire doit être mis en relation directe avec la création d’Adam, du Premier Homme (la femme et l’homme ensemble).

Ainsi, il incombe à l’Homme, au genre humain, de réparer – la racine verbale ע.ש.י. / ‘Ayin.S.Y. signifiant « réparer en faisant… » – le monde créé imparfait par l’Éternel. Cette réparation s’inscrit essentiellement dans le temps du futur. Cette thèse peut être corroborée par le passage suivant :

ה וְכֹל שִׂיחַ הַשָּׂדֶה טֶרֶם יִהְיֶה בָאָרֶץ, וְכָל-עֵשֶׂב הַשָּׂדֶה טֶרֶם יִצְמָח: כִּי לֹא הִמְטִיר יְהוָה אֱלֹהִים, עַל-הָאָרֶץ וְאָדָם אַיִן לַעֲבֹד אֶת-הָאֲדָמָה. (בראשית ב: ה)

5 Or, aucun produit des champs ne paraissait encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne poussait encore ; car l’Éternel-Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et d’homme, il n’y en avait point pour [travailler] cultiver la terre. (Genèse 2: 5).

Autrement dit, l’ensemble de la Création demeure dépendant du travail réparateur de l’Homme sur lequel repose l’immense responsabilité de parfaire un monde inachevé (Cf. Rashi sur ce dernier verset). Un monde sans Homme est condamné à rester statique, à l’état de Vie potentielle, contrainte à rester embryonnaire.

En ces temps de guerre, de terrorisme et de menace nucléaire planant plus que jamais sur le monde comme une épée de Damoclès, la Divinité interroge le genre humain: « אַיֶּכָּה Où es-tu ? (Genèse 3: 9) Que programmes-tu pour parfaire un monde brisé ? »

La réponse à ces questions faisant du genre humain le responsable de son propre bien-être, questions que la Tradition d’Israël mettra toujours au centre de sa Spiritualité ortho-praxique, l’Éternel la révèle à Avraham, au moment où il veut anéantir Sodome et Gomorrhe :

יט כִּי יְדַעְתִּיו לְמַעַן אֲשֶׁר יְצַוֶּה אֶת-בָּנָיו וְאֶת-בֵּיתוֹ אַחֲרָיו וְשָׁמְרוּ דֶּרֶךְ יְהוָה לַעֲשׂוֹת צְדָקָה וּמִשְׁפָּט לְמַעַן הָבִיא יְהוָה עַל-אַבְרָהָם אֵת אֲשֶׁר-דִּבֶּר עָלָיו. (בראשית יח: יט)

19 Si je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, en faisant la vertu et la justice ; afin que l’Éternel accomplisse sur Abraham ce qu’il a déclaré à son égard.(Genèse 18: 19).

Les deux mots « Justice et Droit / צְדָקָה וּמִשְׁפָּט » précédés par le verbe « לַעֲשׂוֹת / réparer » viennent compléter la pièce manquante du puzzle dont on attendait la suite, au moment où l’œuvre de la Création se termine. L’on comprend mieux maintenant les trois petits points ajoutés à la traduction proposée de ce verset.

Saurons-nous compléter ces trois petits points par des ponts de dialogue et des traits d’union, ou par les pointes de nos épées ?

א וְעַתָּה יִשְׂרָאֵל, שְׁמַע אֶל-הַחֻקִּים וְאֶל-הַמִּשְׁפָּטִים, אֲשֶׁר אָנֹכִי מְלַמֵּד אֶתְכֶם, לַעֲשׂוֹת לְמַעַן תִּחְיוּ, וּבָאתֶם וִירִשְׁתֶּם אֶת-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֵי אֲבֹתֵיכֶם, נֹתֵן לָכֶם. (דברים ד: א)

1 Maintenant donc, ô Israël ! Ecoute les lois et les règles que je t’enseigne pour les faire, afin que vous viviez et que vous arriviez à posséder le pays que l’Éternel, Dieu de vos pères, vous donne. (Deutéronome 4: 1).

La réponse ne dépend que de nous…

[1] Parashat Bereshit : Genèse 1: 1-6: 8.

Shabbat shalom !

Haim Ouizemann

Je vous invite à lire mes deux livres BrisureS Régénératrices et Vision hébraïque du Végétalisme ou la réparation cosmique du monde qui développent ce sujet de Réparation du monde (Tikkoun HaOlam).

Je vous invite également à rejoindre notre Beit-Midrash où nous abordons la difficulté de la traduction biblique.

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétarien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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