Parashat BeHa’alothekha, Moïse, le porteur de la Parole

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

La parashat BeHa’alothekha[1] décrit plusieurs thèmes de réflexion. La parashah commence par l’ordre donné à Aaron d’allumer les lampes – plus précisément de les faire monter – du candélabre (Ménora) dans le Sanctuaire, soulignant l’importance de la lumière, du service du Temple et du rôle du Cohen.

De plus, la tribu de Lévi est initiée au service du Mishkan (Tabernacle), marquant leur sélection et consécration pour le service divin et les rituels de purification.

Quant au peuple, la parashat BeHa’alothekha mentionne le Pessah Shéni (le second Pessah) : des hommes rituellement impurs à cause d’un contact avec un mort et ayant donc été dans l’impossibilité d’offrir le sacrifice pascal le 15 Nissan demandent à pouvoir toutefois offrir ce sacrifice. L’Éternel institue alors le « second Pessah » un mois plus tard, enseignant la flexibilité et l’inclusion dans l’observance des mitsvoth.

De plus, la parashah décrit l’organisation des déplacements du peuple d’Israël, avec des signaux de trompettes et la nuée divine qui guide le peuple. À cela s’ajoute les plaintes des Hébreux qui font preuve d’ingratitude concernant la manne et réclament de la viande, exprimant leur nostalgie de l’Égypte.

L’Éternel envoie des cailles, puis punit les plaignants. Puis Moïse, surmené, reçoit l’ordre de désigner soixante-dix Anciens pour l’aider à gouverner le peuple, auxquels il transmet une part de son esprit prophétique.

À la suite de l’épisode d’Éldad et Medad – non inclus parmi les soixante-dix Anciens mais prophétisant dans le camp – Moïse en déduit que cet esprit prophétique n’est point l’apanage exclusif des Anciens mais aussi de tout le peuple.

Qui donnerait que tout le peuple de l’Éternel soit [constitué de] prophètes.

Myriam, sœur de Moïse, parle négativement de lui et est maculée de blanc (lèpre : צָרָעַת tsaraat). Moïse prie pour sa guérison et la communauté attend sept jours son retour au camp.

La parashat BeHa’alothekha se caractérise par le thème de la Prophétie en Israël et distingue le pouvoir prophétique de Moïse de celui des autres prophètes.

ו וַיֹּאמֶר שִׁמְעוּ-נָא דְבָרָי אִם-יִהְיֶה נְבִיאֲכֶם יְהוָה בַּמַּרְאָה אֵלָיו אֶתְוַדָּע בַּחֲלוֹם אֲדַבֶּר-בּוֹ. ז לֹא-כֵן עַבְדִּי מֹשֶׁה בְּכָל-בֵּיתִי נֶאֱמָן הוּא. ח פֶּה אֶל-פֶּה אֲדַבֶּר-בּוֹ וּמַרְאֶה וְלֹא בְחִידֹת וּתְמֻנַת יְהוָה, יַבִּיט וּמַדּוּעַ לֹא יְרֵאתֶם לְדַבֵּר בְּעַבְדִּי בְמֹשֶׁה. (במדבר יב:ו-ח)

6 et Il dit [l’Éternel] : « Écoutez bien mes paroles. S’il n’était que votre prophète, moi, Éternel, je me manifesterais à lui par une vision, c’est en songe que je m’entretiendrais avec lui. 7 Mais non : Moïse est mon serviteur ; de toute ma maison c’est le plus dévoué. 8 Je lui parle face à face, dans une claire apparition et sans énigmes ; c’est l’image de Dieu même qu’il contemple. Pourquoi donc n’avez-vous pas craint de parler contre mon serviteur, contre Moïse ? » (Nombres 12:6-8)

L’expression אֲדַבֶּר-בּוֹ ADaBeR Bo répétée par deux fois est, dans la majorité des Bibles françaises, traduite par « je m’entretiendrais avec lui » (Bible du Rabbinat), « je lui aurais parlé » (André Chouraqui), « que je lui parlerai » (Louis Second), « je lui parlerai » (John Darby).

En fait, l’expression אֲדַבֶּר-בּוֹ ADaBeR Bo doit être traduite : « Je [l’Éternel] parlerai par lui [Moïse]. La préposition Be- בּ- signifie « contre lui » mais aussi « à l’intérieur de… » ou « par le moyen de… / par le canal de… ». Moïse devient l’instrument de la Divinité !

Mais comment s’exprime cette parole à travers le Prophète Moïse ?

פט וּבְבֹא מֹשֶׁה אֶל-אֹהֶל מוֹעֵד לְדַבֵּר אִתּוֹ וַיִּשְׁמַע אֶת-הַקּוֹל מִדַּבֵּר אֵלָיו מֵעַל הַכַּפֹּרֶת אֲשֶׁר עַל-אֲרֹן הָעֵדֻת מִבֵּין שְׁנֵי הַכְּרֻבִים וַיְדַבֵּר אֵלָיו. (במדבר ז:פט)

89 Or, quand Moïse entrait dans la Tente d’Assignation pour que le Seigneur lui parlât, il entendait la voix s’adresser à lui de dessus le propitiatoire qui couvrait l’arche du statut, entre les deux chérubins, et c’est à elle qu’il parlait. (Nombres 7:89)

Si la majorité des traducteurs français ont traduit ainsi l’expression אֲדַבֶּר-בּוֹ ADaBeR Bo, c’est qu’ils se sont probablement inspirés de l’expression לְדַבֵּר אִתּוֹ LeDaBeR ITO : « parler avec lui » (Nombres 7:89), sans pour autant rendre précisément la difficile nuance du préfixe pronominal Bo בּוֹ signifiant « par le biais de, au moyen de ».

Or ce dernier sens nous est confirmé par la seconde mention du verbe מִדַּבֵּר MiDDaBeR lors de la révélation divine faite à Moïse dans la Tente du Rendez-Vous. La conjugaison de ce verbe est rare dans le TaNaKh en ce sens que la racine ד.ב.ר. D.B.[V].R est ici conjuguée à la forme réflexive du hitpael. La consonne Tav ת (Th) caractéristique du hitpael a été substituée par un point fort placé dans la consonne « dalet ד. » (מִדַּבֵּר MiDDaBeR). Nous pouvons donc en déduire que la Voix divine se faisait entendre au cœur même de la conscience de Moïse. Moïse constitue le canal par excellence de la Parole divine.

Le grand commentateur du Moyen-âge Rachi explique :

מִדַּבֵּר, כְּמוֹ ‘מִתְדַּבֵּר’. כְּבוֹדוֹ שֶׁל מַעְלָה לוֹמַר כֵּן: מְדַבֵּר בֵּינוֹ לְבֵין עַצְמוֹ וּמֹשֶׁה שׁוֹמֵעַ מֵאֵלָיו.

Lui parlant (middabér) Comme mithdabér [au hithpa’él]. Il est convenable de s’exprimer ainsi s’agissant du Très-Haut, comme si la voix se parlait à elle-même et Moïse l’écoutait.

La source biblique est, à ce sujet, claire et précise (contrairement à la traduction de la Bible du Rabbinat) : l’Éternel parle non point « face à face » avec son fidèle serviteur, mais « de bouche à bouche » (פֶּה אֶל-פֶּה PeH El PeH).

Ces versets bibliques décrivent la manière unique dont Moïse reçoit la Parole : il ne s’agit pas d’une vision ni d’un rêve, mais d’une expérience concrète, dans un lieu précis, avec une voix audible. Cela souligne l’importance de la Tente de la Rencontre, de l’Arche et des chérubins dans la relation entre l’Éternel et son peuple, et la position exceptionnelle de Moïse comme intermédiaire privilégié, le porte-parole direct de l’Éternel.

L’élection de Moïse est-elle suffisante à faire de lui le plus grand des Prophètes ? Quel peut être le fondement de cette élection hors du commun ?

Seul celui qui est capable d’abandonner le faste et les honneurs de l’Empire pharaonique comme prince d’Égypte afin de voir la souffrance de ses frères, de faire montre d’une véritable et sincère empathie, de parler directement au cœur des siens, est digne de porter en lui la Parole divine et d’être en totale connexion avec le Divin.

יא וַיְהִי בַּיָּמִים הָהֵם וַיִּגְדַּל מֹשֶׁה וַיֵּצֵא אֶל-אֶחָיו וַיַּרְא בְּסִבְלֹתָם וַיַּרְא אִישׁ מִצְרִי מַכֶּה אִישׁ-עִבְרִי מֵאֶחָיו. (שמות ב:יא)

11 Et il advint en ce temps-là que Moïse, ayant grandi, alla parmi ses frères et qu’il éprouva [littéralement ‘vit à l’intérieur’ de…] leurs souffrances. (Exode 2 : 11)

[1] Parashat BeHa’alotekha : Nombres 8:1-12:16.

Shabbat shalom !

Le site de Haïm Ouizemann

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétalien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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