Où est donc passée la commission anti-inflation ?

Le président du comité, Shmuel Slavin, assiste à la première réunion du comité pour la décentralisation et l'augmentation de la concurrence sur les marchés de l'alimentation et des produits de toilette, le 3 septembre 2023. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)
Le président du comité, Shmuel Slavin, assiste à la première réunion du comité pour la décentralisation et l'augmentation de la concurrence sur les marchés de l'alimentation et des produits de toilette, le 3 septembre 2023. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

En mai 2023, le gouvernement israélien lançait une commission publique destinée à lutter contre l’augmentation du coût de la vie. Vingt mois plus tard, la commission a disparu, mais pas la cherté des prix.

C’est à grand renfort médiatique que, quelques mois après sa constitution, le gouvernement Netanyahu décidait de prendre le taureau par les cornes, comprenons : affronter le coût de la vie en Israël sans l’éviter davantage.

Dès sa prise de pouvoir en décembre 2022, la coalition dirigée par Benjamin Netanyahu se fixait comme priorité économique de :

  • lutter contre l’augmentation du coût de la vie,
  • accroître la concurrence,
  • et réduire la concentration dans l’économie.

Grands moyens

Il était temps : en 2022, le niveau des prix en Israël était supérieur de 35% à la moyenne des prix de l’OCDE, et l’inflation continuait de rogner le pouvoir d’achat des Israéliens. Pour parvenir à cet objectif ambitieux et urgent, les ministres de la coalition n’ont pas hésité sur les moyens pour satisfaire le consommateur… Et leur Premier ministre.

C’est d’abord le ministre des Finances Bezalel Smotrich qui mettra en place, le 21 mai 2023, une commission publique « pour réduire la concentration et accroître la concurrence sur le marché de l’alimentation et des produits d’hygiène ». Vaste programme pour une commission, dont la direction a été confiée à Shmuel Slavin, ex-directeur général du ministère des Finances, économiste au professionnalisme reconnu.

Il n’était pas question que le Premier ministre perde le crédit (éventuel) de la baisse de la cherté de la vie. Il nomma donc, quinze jours plus tard (décision 4 juin 2023), une autre instance : le cabinet interministériel de lutte contre l’augmentation du coût de la vie, composé de douze ministres. Benjamin Netanyahu s’attribuera le titre de Président du cabinet et son ministre des Finances Bezalel Smotrich celui de vice-président.

Face à l’urgence de lutter contre la cherté de la vie, le mandat de ladite commission publique précise qu’elle devra soumettre ses recommandations au plus tard le 1er septembre 2023.  Seulement voilà : la commission Slavin ne s’est réunie, pour la première fois, que le 3 septembre 2023.

« Zéro » résultat

En seize mois, la commission Slavin s’est retrouvée cinq fois, sans prendre aucune décision opérationnelle.

Entretemps, la guerre est passée par là, le procès Netanyahu a repris son cours, la coalition s’est divisée, la Cour suprême a un nouveau président, Tsahal est pointé du doigt, le retour des otages du Hamas traîne en longueur, etc… Autant d’actualités brûlantes qui ont remis à plus tard la lutte contre l’augmentation du coût de la vie.

Après un an et demi de conciliabules, la commission anti-inflation et le cabinet interministériel de lutte contre l’augmentation du coût de la vie ont accouché de « Zéro » résultat.

Avec ou sans commission, il y a au moins un ministre qui a pris sa tâche au sérieux :  Nir Barkat, ministre de l’Économie et de l’Industrie, a lancé en janvier 2025 la réforme « Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour Israël » qui vise à introduire en Israël des réglementations européennes dans divers domaines. Une réforme qui ouvrira le marché israélien à la concurrence étrangère et éliminera la bureaucratie avec, au final, une réduction attendue des prix de détail d’un montant estimé à 6 000 shekels (1 500 euros) par famille et par an. À suivre…

Pour l’heure, avec une Knesset paralysée par des tensions internes et qui n’a pas encore approuvé le budget 2025, il sera difficile de lutter contre l’augmentation du coût de la vie sans agir par voie législative.

Entretemps, les prix ont continué leur envolée ; le rythme annuel de l’inflation en Israël s’élevait à 3,4% en 2024 et montait jusqu’à 3,8% en janvier 2025.

Don Quichotte

La fin de la commission Slavin n’était plus qu’une question de temps ; ce fut chose faite fin février lorsque son président annonça sa dissolution. Shmuel Slavin expliquait aux médias israéliens :

Personne ne nous prend en compte, je n’ai pas d’autre choix que de rendre le mandat et de dissoudre la commission.

La guerre n’est pas la raison principale de la décision de Shmuel Slavin ; elle est plutôt le prétexte de l’inaction des pouvoirs publics. Seul contre tous, le Don Quichotte de la Méditerranée a renoncé à se battre contre le moulin de l’inflation.

La dissolution de la commission anti-inflation 2023 n’a pas été une surprise : elle fut la quatrième commission à être mise en place par un gouvernement Netanyahu depuis quinze ans, la première remontant à 2011 (mais qui se souvient de la commission Trajtenberg !).

Un nouvel échec du bibisme économique, incapable de lutter efficacement contre le fléau de la cherté de la vie. Les monopoles et ententes abusives sur les prix entre fabricants et distributeurs continueront de couler de longs jours heureux…

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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