Nucléaire iranien, le dessous des cartes, la dissimulation
On comprend de mieux en mieux les raisons pour lesquelles le président américain ne souhaite pas recevoir le Premier ministre israélien depuis son retour au pouvoir. La Maison Blanche a déjà eu l’occasion d’exprimer ses désaccords et son opposition aux décisions prises ou projetées par le gouvernement israélien. La recrudescence des violences des dernières semaines et les décisions sur les nouvelles implantations exaspèrent une large frange des démocrates. Des négociations non officielles sont menées entre Washington et Téhéran, avec Oman comme intermédiaire, pour finaliser un accord limité sur le nucléaire. On ne souhaite pas voir débouler Bibi à Washington pour ameuter le Congrès et l’opinion publique, comme sous l’ère Obama. En revanche, personne n’aura oublié la trop fameuse séquence des lignes rouges sur l’utilisation des armes chimiques syriennes. Le vice-président s’appelait Joe Biden et le Secrétaire d’État adjoint Antony Blinken. L’administration Biden veut à tout prix obtenir un accord sur le nucléaire iranien et a repris la stratégie d’Obama depuis 2021 : effectuer « un réalignement » au Moyen-Orient. Aujourd’hui, l’équipe au pouvoir plutôt que de résoudre la question nucléaire, s’applique à la contourner, sans l’afficher.
Une personnalité politique de poids, connue en Iran, le député Hesmatollah Falahat-Pisheh, ancien chef de la commission des Affaires étrangères et de la Sécurité nationale affirme que des accords encore non formalisés sont virtuellement conclus. Il semble même que l’ayatollah Khamenei prépare son opinion en évoquant le « réalisme et la grande sagesse du régime en vue de la conclusion d’un accord qui ne remettrait pas en cause l’infrastructure nucléaire iranienne. » Pour l’essentiel, l’Iran s’engagerait à ne pas enrichir son uranium au-delà de la barre des 60 % et n’augmenterait pas le volume existant. Selon l’AIEA ce qui permettrait dans tous les cas la production de cinq bombes nucléaires. C’est bien ce qui pose problème à Israël. Ensuite, les citoyens possédant la double nationalité américaine et iranienne, actuellement otages en Iran, seraient libérés. On pense qu’une libération des autres otages européens suivrait. Ce qui explique aussi la grande discrétion actuelle de ces pays, qui par ailleurs n’attendent que de pouvoir reprendre les relations avec l’Iran. Les affaires sont les affaires. Ce dont on ne parle pas, a priori, c’est un éventuel accord sur les divers missiles et armes dont les drones fabriqués par l’Iran. Les mollahs ont toujours refusé d’ouvrir quelque discussion que ce soit à ce sujet. Washington est totalement muet à ce sujet. Ce qui ressemble à un marché de dupes.
L’accord n’ajouterait pas de nouvelles sanctions mais inclurait diverses dérogations (on ne les connaît pas encore) qui permettraient, notamment au régime des mollahs de récupérer quelques 20 milliards de dollars sur des comptes actuellement bloqués. On a déjà constaté en Israël un effet d’anticipation du processus en cours : l’Irak a obtenu une dispense des sanctions, qui lui permet de régler à l’Iran une dette de près de 3 milliards de dollars pour des achats de gaz et de pétrole.
L’administration actuelle et précédemment celle Obama n’ont eu d’autre objectif implicite que de maitriser le gouvernement israélien conduit par B. Netanyahou. Il était déjà la bête noire de Washington. Il l’est resté. L’administration d’alors et l’actuelle semblent avoir tout tenté pour faire partager leur doctrine par l’establishment militaire israélien, voire même contre les choix du gouvernement. Le Secrétaire d’État A. Blinken a beau avoir fait diverses déclarations menaçantes, elles n’ont pas été suivies d’effets ou de réactions sur le terrain. Antony Blinken n’avait-il pas déclaré dans la phase antérieure des négociations : « Nous sommes attachés à la diplomatie mais ce processus ne peut pas durer indéfiniment ». C’était en juillet 2021. Il ajoutait un mois plus tard : « le temps presse pour l’Iran ! Si l’Iran ne veut pas revenir dans l’accord, s’il continue à faire ce qu’il semble faire maintenant… accélérer son programme nucléaire… si c’est la voie qu’il choisit nous devrons agir en conséquence ». Depuis, Téhéran a eu le temps d’augmenter sa production, d’enfouir plus profondément son infrastructure nucléaire, de fournir des drones à Moscou pour aider l’Ukraine, de réprimer dans le sang les manifestations qui se sont multipliées. On ignore encore le nombre réel de victimes.
Les calculs de politique intérieure américaine expliquent largement l’attitude actuelle de l’administration. L’aile gauche des démocrates soutient mordicus une solution diplomatique. Contrairement au président Trump qui n’en voyait aucune, sauf le recours à des moyens plus coercitifs. Le président Biden ne peut lui, le reconnaître. Ce qui explique une partie de la doctrine bienveillante de la Maison Blanche envers les mollahs.
Cette même aile progressiste et ses partisans dans l’opinion publique manifeste parallèlement une hostilité croissante à l’égard d’Israël, amplifiées par les récentes décisions de nouvelles constructions dans les Territoires. Une autre raison de s’opposer au Premier ministre israélien, quelle que soit l’opinion des dirigeants américains et de son parti, c’est celui qui sans doute connaît le mieux le dossier et donc aussi les faiblesses de la doctrine de Washington. C’est une raison supplémentaire de ne pas le voir surgir surtout au Sénat ou au Congrès à majorité républicaine, qui lui réserverait un accueil positif. La politique américaine au Moyen Orient a changé. Ce n’est plus la priorité. On voit bien que la Chine est devenue le premier sujet qui occupe l’administration. Le récent déplacement du Secrétaire d’État à Pékin le confirme suivi de celui de la Secrétaire d’état aux Finances, Janet Yellen.
Les États-Unis ne veulent pas s’engager dans une nouvelle guerre qui serait très couteuse, après avoir récemment augmenté le plafond de la dette nationale ; pendant que la planche à billets fonctionne à plein régime pour financer le conflit en Ukraine. Les responsables américains pensent qu’il est plus efficace de contenir l’Iran que d’envisager une solution militaire. Les délais, depuis la sortie de l’accord par Trump, ont été mis à profit par Téhéran pour revoir son infrastructure nucléaire et enterrer beaucoup plus profondément les installations. Ce que Washington et Jérusalem savent parfaitement. Ce qui permettrait tout au plus à Israël d’effectuer des frappes dont on ne préjuge pas du résultat, mais insuffisantes pour renverser le régime. En revanche, l’Iran répliquerait nécessairement …
Les stratèges américains considèrent que c’est la doctrine israélienne qui constitue un danger pour la sécurité des Etats-Unis. Ce qui les amène à vouloir gérer Israël comme un allié indocile et belliqueux mais incontournable, à laquelle s’ajoute l’attitude à tenir envers la communauté juive américaine avant la prochaine élection présidentielle. Le président Biden ne veut pas mettre le candidat Joe Biden en difficulté.
Israël prône des sanctions et la dissuasion. A la veille de la prochaine élection qui pourrait ramener les Républicains à la Maison Blanche, Washington lui oppose le contournement et la dissimulation et veut éviter un face à face incertain avec l’Iran.
On observe d’ailleurs que la Maison Blanche ne réagit pas vraiment à l’arraisonnement dans les eaux internationales de pétroliers étrangers par la marine perse, ce qui s’apparente au piratage ni plus ni moins. On est donc très loin d’une manifestation d’autorité. La question demeure, Israël affirme depuis longtemps ne pas être lié par un accord qui serait conclu entre les Etats Unis et Téhéran. Les analystes pensent que la fenêtre de tir ne se présente plus comme dans le passé : Jérusalem n’aura pas d’autre choix que d’accepter le plan américain, lex americana sed lex.