Nouvelle donne, nouvelle alliance

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett, à droite, présidant le cabinet hebdomadaire avec le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid à Jérusalem, dimanche 20 février 2022. (AP Photo/Tsafrir Abayov, Pool)
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett, à droite, présidant le cabinet hebdomadaire avec le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid à Jérusalem, dimanche 20 février 2022. (AP Photo/Tsafrir Abayov, Pool)

Il est des signes qui ne trompent pas. Tout le monde avait noté la différence notable entre la déclaration du ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, et celle du Premier ministre, Naftali Bennett, à propos de l’invasion de l’Ukraine. Alors que le numéro un de la diplomatie israélienne condamnait la Russie, son chef de gouvernement critiquait l’agression sans mentionner l’agresseur.

Deux jours après, au Conseil de sécurité de l’ONU, Israël ne votait pas une résolution présentée par les Etats-Unis dénonçant l’agression et annonçant des sanctions sans précédent. Un diplomate israélien souhaitant garder l’anonymat explique les raisons de ce cas unique dans les relations entre les deux pays : « Face à la Russie, nous devons composer avec des contraintes que les Américains connaissent bien ».

En d’autres termes, le gouvernement israélien doit ménager Vladimir Poutine pour continuer à bénéficier de l’accord tacite du maître du Kremlin lorsque les avions de Tsahal attaquent les implantations iraniennes en Syrie. Message reçu cinq sur cinq par les diplomates russes qui, au moment où la résolution américaine était en discussion, ont tenu à faire savoir que rien n’était changé dans les relations entre Moscou et Jérusalem. Israël continuera bien à donner aux Etats-Unis quelques gages de fidélité.

Ainsi, lorsque la fameuse résolution viendra devant l’Assemblée générale des Nations-Unis, Israël pourrait la voter ou s’abstenir d’autant que le texte aura perdu de sa pertinence au vu des développements sur le terrain. L’Etat juif pourra également mentionner la présence en Ukraine de milliers de ses ressortissants et de centaines de milliers de Juifs justifiant une certaine prudence et des interventions sur le seul plan humanitaire. Il n’empêche.

Le nouveau désordre mondial qui succède au système mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale a de fortes implications sur la situation au Moyen-Orient. Vladimir Poutine entend bien montrer que, dans la région comme ailleurs, il faut désormais compter avec la puissance russe. Le développement depuis plus de dix ans de relations commerciales, technologiques et militaires entre Israël et la Chine, l’Inde, et la Russie préfigurait cette nouvelle donne.

Ce qu’on ignorait jusqu’à présent était que l’alliance automatique avec les Etats-Unis pourrait se défaire brusquement pour laisser la place à une entente pragmatique avec les nouvelles grandes puissances. La brutalité du changement peut surprendre. Pas le changement d’alliance. Le général de Gaulle, l’avait déjà dit en son temps : « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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