Nouveau Front Populaire ?

Mathilde Panot, Manuel Bompard, Yannick, Olivier Faure et Fabien Roussel, sur scène lors d'une conférence de presse présentant le programme du "Nouveau Front Populaire", à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024. (Crédits : Julien de Rosa / AFP)
Mathilde Panot, Manuel Bompard, Yannick, Olivier Faure et Fabien Roussel, sur scène lors d'une conférence de presse présentant le programme du "Nouveau Front Populaire", à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024. (Crédits : Julien de Rosa / AFP)

Le journaliste Jean Quatremer – brillante et indépendante signature du journal « Libération » – a dit, dans une réunion virtuelle sur le réseau X, tout le mal qu’il pensait de la décision de notre Président, qui a plongé le pays dans une sorte de chaos après l’élection européenne du 9 juin : « on dirait un enfant mécontent qui a cassé tous ses jouets ».

Possible. Mais il y avait certainement un calcul cynique de la part d’Emmanuel Macron dans cette dissolution surprise accompagnée d’un calendrier express pour l’élection à venir : prendre les oppositions de court ; parier sur leurs divisions ; et rendre quasi impossible leur préparation (choix des candidats, stratégie, mais aussi programme de gouvernement avec une « offre » alléchante pour les électeurs). Cela, sans parler de leaders assez charismatiques pour conduire la bataille ; mais aussi dans une époque où la parole politique est démonétisée, et où aucun grand « fauve » n’apparaît à gauche en leader potentiel, hormis un Mélenchon toujours aussi sûr de lui et appuyé sur des militants aussi jeunes qu’omniprésents sur les réseaux sociaux.

Au bout de ce calcul, il y avait le pari d’affaiblir cette opposition-là, si divisée pendant la campagne de l’élection européenne ; d’éparpiller des Républicains qui ne savent plus où ils habitent depuis un moment ; et de déstabiliser un Rassemblement National, sondé depuis un moment comme possiblement majoritaire à l’Assemblée Nationale mais qui ne s’attendait pas à venir exercer le pouvoir si rapidement.

Ce calcul paraît après coup comme singulièrement risqué, même si les sondages sont plus que hasardeux dans 577 circonscriptions : la moitié des électeurs ou presque n’ayant pas voté le 9 juin, comment préjuger de ce que feront ceux qui viendront le dimanche 30 ? Quel sera l’équation pour les « sortants », de tous bords politiques, et dont certains ont pu fidéliser leurs électeurs ? Est-on sûr qu’il n’y aura pas des candidatures dissidentes venant « parasiter » les résultats ? Une partie des électeurs de Raphaël Glucksmann aux Européennes ne va-t-elle pas préférer s’abstenir ou voter « bloc central », plutôt que donner leur suffrage dans plus de 200 circonscriptions à un candidat insoumis, vu ce qu’a enduré leur candidat pendant des mois, insultes antisémites comprises ?

Pour le moment, les sondeurs font des projections à partir des derniers résultats, en supposant une addition arithmétique des voix de gauche d’une part, et de l’extrême droite (RN plus Reconquête) d’autre part. Leurs calculs supposent aussi qu’il n’y aura pas d’alliance électorale, même locale, entre l’ex « majorité présidentielle » et les LR. Mais il faut aussi faire des hypothèses pour les électeurs ayant choisi la liste Bellamy le 9 juin : iront-ils en grand nombre, directement voter pour le RN ? Ou voter pour des candidats présentés par Eric Ciotti, qui a fait dissidence dans son propre parti ? Ou seront ils fidèles aux candidats républicains sortants ?

L’union express décidée entre tous les partis de gauche en l’espace de quelques jours a totalement brouillé ce logiciel hasardeux : car même avec un étiage de 25%, un peu en dessous donc du total des voix séparées de leurs listes le 9 juin, on risque de se retrouver avec un maximum de duels RN versus « Nouveau Front Populaire » (NFP) pour le deuxième tour. Le couperet des 12,5 % des électeurs inscrits pour être présents au deuxième tour le 7 juillet risque, en cas d’abstention forte, d’être fatal aux partis de l’ex majorité présidentielle.

Comment la gauche aborde-t-elle la partie, alors que les candidatures doivent être déposées le dimanche 16 juin ? Présenter un vrai programme, détaillé et chiffré aussi bien au niveau des dépenses que des sources de financement, était une gageure ; aucun des partis n’avaient pris la peine de le faire depuis les élections de 2022, où le score imposant de Mélenchon avait quasiment imposé le sien comme celui de l’alliance « Nupes ». Il n’y aura eu cette fois-ci encore aucun compromis avec l’extrême-gauche sur ce qui intéresse directement les Français, à savoir la ligne économique et sociale proposée ; et à nouveau on est à des années-lumière d’une approche social-démocrate du pays.

D’après un article du journal « Les Echos », ce sont 50 milliards d’impôts nouveaux qui seront décidés à partir de cet été ! Deux ans après la Nupes et au vu du document présenté à la presse, on constate que le NFP a aligné un grand nombre de nouvelles dépenses, pas chiffrées précisément mais dont le total apparaît délirant à la plupart des experts ; la bourse de Paris a réagi en perdant 600 points en quelques jours, et l’Euro a subi également un début de décote alarmant.

Plus grave encore, le taux d’intérêt de la dette nationale – définissant à l’échelle du pays le coût des emprunts à l’Étranger, qui grève déjà lourdement le budget – a commencé à déraper : mais cela doit passer très largement au-dessus de la tête de beaucoup d’électeurs, convaincus en majorité que ce n’est pas grave.

La France qui souffre, celle qui vit au-delà des grandes métropoles, et a vu déjà fortement se dégrader les services publics, ne peut pas entendre ce genre de sirènes d’alarme ; dans le monde rural, elle a basculé largement vers le Rassemblement National, et ce n’est pas une surprise, car déjà Marine Le Pen arrivait en tête dans la majorité des communes du pays au deuxième tour de la présidentielle de 2022.

Trouver le bon discours, faire comprendre la logique implacable des chiffres et des équilibres – disons plutôt des « déséquilibres contenus » compte-tenu de l’état de la dette publique – sera mission presque impossible pour les candidats « centristes » dans la semaines qui viennent.

La gauche semble un peu fragilisée par la purge décidée par Mélenchon contre ses frondeurs privés d’investiture. Cela fera-t-il changer d’avis la majorité des électeurs potentiels ? Peut-être localement, mais à mon avis pas de façon significative.

Idem – et même si naturellement j’espèrerai l’inverse -, le fait que la France Insoumise porte les stigmates d’un antisémitisme aussi odieux qu’insidieux n’a pas permis sa marginalisation. Les négociateurs de l’accord du Nouveau Front Populaire présentent fièrement le fait d’être tombés d’accord, après des heures de négociation, sur le caractère « terroriste » des massacres du 7 octobre ; mais pas sur le fait que le Hamas est une organisation terroriste.

Combattre l’antisémitisme fait partie de la vitrine, comme si c’était un exploit de le promettre ; mais figure aussi un vieux standard de l’islam politique, celui de dénoncer « l’islamophobie », mot valise permettant de facto de remettre en cause la laïcité ; et cela, alors qu’il aurait été plus républicain de mentionner le nécessaire combat contre le racisme antimusulman.

Les semaines à venir seront donc redoutables, et la menace bien réelle d’une victoire du Rassemblement National, est devenue pour la gauche une potion magique miraculeuse pour se refaire une santé. Les manifestations « contre le péril fasciste », sont pour le moment dignes et imposantes, même si on peut s’inquiéter, aussi, de la présence dans certains cortèges de manifestants islamistes et/ou « Indigènes de la République » ; demain, elles peuvent déraper. Elles sont aussi une démonstration de force : se traduiront-elles dans les urnes ? Et comment se positionnera la majorité relative de l’Assemblée Nationale sortante, qui doit se battre sur deux fronts à la fois ?

Tout est possible, même le pire. Pour tout notre pays, bien sûr. Et le pire du pire du pire pour ses citoyens juifs, qui n’auraient pas imaginé vivre un tel cauchemar à si court terme.

à propos de l'auteur
Bénévole au sein de la communauté juive de Paris pendant plusieurs décennies, il a exercé le métier d'ingénieur pendant toute sa carrière professionnelle. Il a notamment coordonné l'exposition "le Temps des Rafles" à l'Hôtel de Ville de Paris en 1992, sous la direction de Serge Klarsfeld. Producteur de 1997 à 2020, sur la radio Judaïques FM, de l'émission "Rencontre". Chroniqueur sur le site "La Revue Civique". Président délégué de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF (2009-2019). Vice président (2012-2024) de la "Fraternité d'Abraham" association laïque pour le rapprochement entre Judaïsme, Christianisme et Islam.
Comments