Niger-France-UE : après nous, advienne que pourra

Apres les gesticulations de la CEDEAO, le spectre d’une intervention militaire s’éloigne. Le sénat nigérian a manifesté son opposition à une telle intervention. S’agissant de la seule force militaire réellement capable d’intervenir, il devient peu réaliste que d’autres forces africaines interviennent vu leur manque totale d’expérience et de préparations. De plus le secrétaire d’État américain Antony Blinken a clairement fait savoir que les Etats Unis, qui ont deux bases au Niger, préconisent la voie diplomatique. Depuis la junte a nommé un Premier ministre, l’ancien ministre de l’Économie. C’est plus qu’une erreur, c’est un redoutable échec. Echec pour la conduite de la politique étrangère vis-à-vis de ces pays (Mali, Burkina Faso, Centrafrique, Guinée) on a continue à considérer la présence militaire comme l’axe essentiel de la politique française et par association celle de l’Europe sur place. Ce qui pouvait sans doute constituer une forme d’assurance pour les dirigeants mais en même temps provoquer un rejet des populations dont la situation économique et sécuritaire a continué à s’aggraver.

Echec des services de renseignements français, allemands et américains qui n’ont pas su anticiper les événements, malgré les leçons qu’on pouvait tirer des changements intervenus aux frontières du Niger. Le ministre français des Armées a cru nécessaire de faire une déclaration indiquant que la France savait « la fragilité de la situation du président nigérien ». Un mauvais esprit dirait : vous saviez mais vous n’avez rien fait ?

On peut aussi s’étonner que connaissant la grande proximité du président Bazum avec la France, il ait été si mal entouré et si mal conseillé. Ensuite on met en avant comme argument la présence russe en Afrique et son action permanente de désinformation. C’est un redoutable aveu de faiblesse. Car cette présence russe – Wagner et trolls compris – est en place depuis des années. Sauf à concéder qu’on ne sait pas en faire autant ou qu’on n’a pas réfléchi à la meilleure façon de contrer cette politique et ses conséquences. On met en avant la présence de l’armée française. On oublie de mentionner la présence de la Bundeswehr allemande, des Italiens, des Belges, des Canadiens et des Américains aux côtés des 1 500 militaires français.

L’économie doit être la clé de voute de la relation avec les pays africains et ceux du Sahel plus particulièrement. Elle était absente dans celle menée jusque-là. Le rempart contre le djihadisme ne peut plus être le seul motif de la présence géostratégique française ou européenne.

L’uranium

Les 3 sites d’uranium d’Arlit ont vu leur production diminuer considérablement. En 2013 la production était de 4.518 T. Pour tomber à 2.020 T. En 2022. Un site est épuisé, le second est en cours d’épuisement, tandis le troisième n’est pas exploité par Orano ( successeur d’Areva) en raison de couts  d’exploitation trop élevés. Selon les statistiques d’EURATOM le principal fournisseur de la France ces 10 dernières années est le Kazakhstan (27 %) le Niger (20 %) et l’Ouzbékistan (19 %) l’UE dans son ensemble a importé 26,6 % de son Uranium du Kazakhstan en 2022, 25,4 % du Niger, 22 % du Canada, et 16,9 % de Russie. A cette date, le Niger n’est plus que septième avec 4,7 % de la production mondiale loin derrière le Kazakhstan, le Canada, la Namibie, l’Australie, l’Ouzbékistan, la Russie. 

Deux poids, deux mesures

La CEDEAO et les occidentaux, France et UE en tête rejettent le coup d’État et réclame le respect des institutions. On a vite fait d’oublier comment s’est déroulée la succession d’Idriss Deby au Tchad en avril 2021. Les militaires ont pris le pouvoir. Son fils s’est installé aux commandes, certains États dont la France ont assisté a son intronisation. Ce pays frontalier du Niger n’est pas membre de la CEDEAO et n’interviendra pas. De plus, il craint la contamination. L’Algérie partenaire privilégié de la Russie dont l’armée est équipée aux deux tiers d’armements russes a également rejeté toute intervention militaire. Laquelle provoquerait un chaos sans précédent dans la region. Il suffit de regarder ce qui se passe en Libye. Seuls les mouvements djihaistes et les milices en tous genres en profiteraient. Au-delà des coups de menton et des déclarations martiales on ne voit pas quel pays voudra prendre la responsabilité de se lancer dans un telle aventure alors que la guerre fait déjà rage aux frontières de l’UE. Last but not least, Washington a déjà annoncé la couleur.

L’économie

On a très peu évoqué un énorme projet qui intéresse tout particulièrement le Nigeria et l’UE surtout après le changement de paradigme créé par le conflit en Ukraine. Le projet de gazoduc pour le transport de gaz naturel provenant du Nigeria, traversant le Sahara jusqu’à la cote nord africaine et de là vers l’Europe. Sa réalisation reste incertaine. Pour autant en juillet 2009, l’Algérie, le Nigéria et le Niger ont signé un accord en vue de démarrer ce projet dont le coût se situerait entre 15 et 20 milliards de dollars. Le projet a été suspendu en raison des attaques lancées par Boko Haram qui ont rendu cette vaste zone du nord Nigeria difficile à contrôler. Le Nigeria n’a pas besoin de se lancer dans une autre aventure militaire. Il a suffisamment à faire pour reprendre le contrôle sur son propre sol. En juillet 2022, les trois pays ont relancé le projet dont le coût serait de l’ordre de 20 à 25 milliards de dollars. Son financement n’est pas assuré à date, car l’UE ne sait pas encore si elle voudra utiliser ce gaz ou une autre solution d’hydrogène vert, selon Josep Borell son haut représentant aux Affaires étrangères. Dans le même temps, on construit dans l’UE de nouveaux terminaux pour le gaz liquide.

La situation géostratégique

Une forme « d’union sacrée » semble se concrétiser entre les trois pays auteurs d’un coup d’état militaire : Niger, Mali, Burkina. Ces deux derniers ont fait appel au Conseil de sécurité de l’Onu pour exclure toute intervention militaire. Laquelle ne pourrait que provoquer un bain de sang. Il reste maintenant à attendre le résultat des diverses démarches diplomatiques en cours qui pourraient amener la junte à composer avec l’UE et les Etats-Unis. La CeDEAO a rencontre des échecs dans les trois précédents coups d’état. Elle ne pourra pas assumer la responsabilité d’une guerre urbaine à Niamey. La France doit se mettre en retrait car son leadership africain au sein de l’UE n’est manifestement plus d’actualité. Ce pourrait être un élément possible de la négociation entre l’UE et la junte. Pour autant on se dirige désormais vers une relation multipolaire dans cette région qui n’est plus le pré carré de la France et où la Russie et la Chine seront presents. Ainsi va le monde…

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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