Naplouse, deuxième Jérusalem

Lors de mon dernier séjour en Israël j’ai été particulièrement touché par Naplouse, la ville où Jacob avait voulu marier sa fille. C’est là que l’installation de la famille de Jacob sur sa terre avait failli réussir.

Naplouse, نابلس Shkhem שְׁכֶם se situe au pied du Mont Garizim, lieu saint des Samaritains. Shkhem (Sichem) est l’ancienne capitale du Royaume du Nord (Royaume d’Israël). Le Livre de Josué identifie Sichem comme le lieu de sépulture de Joseph, fils de Jacob, et de ses deux fils Éphraïm et Manassé.

En plus de notre visite des ruines sur le Mont Garizim nous sommes allés dans le centre ville de Naplouse découvrir le puits creusé par Jacob et acheter des Knafehs, les fameuses pâtisseries locales. Cette ville et sa montagne ont une force spirituelle très spéciale, c’est le cœur d’Israël, là où Abraham s’est arrêté en premier avant de poursuivre son itinéraire vers le sud.

C’est dans cette ville maintenant appelée Naplouse (de Néapolis, Napoli, Naples) qu’a eu lieu un épisode de la Torah très peu étudié par les rabbins (éludé ?) à l’exception de Manitou (Léon Ashkénazi) qui explique qu’en arrivant à Shkhem Jacob était préoccupé par le mariage de sa fille Dina.

Pour les épouses de ses douze fils il n’avait pas à s’inquiéter puisque celles-ci, venant habiter dans la tribu de leurs maris, en adoptaient automatiquement la religion. Mais avec qui marier sa fille qui devrait peut-être alors abandonner le Dieu d’Israël ? L’enjeu est énorme car il ne s’agit pas seulement d’un mariage mais d’une alliance avec la famille de l’époux, avec les habitants du lieu. Comment, grâce à Dina, la famille de Jacob va-t-elle s’intégrer au pays ?

Le masculin dans la Torah symbolise la religion, la Loi, les mitsvot, tandis que le féminin représente la spiritualité, l’esprit de la Loi. La fille de Jacob a un rôle essentiel puisqu’elle établit une connexion entre les Hébreux et les autres nations. Dina est la fondatrice de la treizième tribu qui représente toute l’humanité ! Bien sûr nous savons que le peuple hébreu n’a pas vocation à amener l’humanité à sa religion mais à lui apporter la lumière de sa spiritualité. Dina représente la spiritualité d’Israël partagée avec toute l’humanité.

Malheureusement, à Shkhem ça se passe mal, Dina est violée par le fils du roi de la ville. À un autre niveau de lecture on pourrait dire que l’islam et le christianisme ont violé la spiritualité d’Israël. Pour Jacob tout n’est pas foutu : si le fils du roi et -par conséquent- tous les hommes de la ville acceptent de se circoncire (d’entrer dans l’Alliance) alors Dina pourra se marier avec Shkhem.

Aujourd’hui, si les habitants arabes de la terre d’Israël pouvaient bénéficier de l’enseignement des rabbins, je suis sûr qu’ils verraient le peuple juif d’une autre manière. La conquête du pays ne peut pas se faire comme celle de l’Amérique du Nord au détriment des Indiens. Il s’agit avant tout d’une conquête spirituelle basée sur la force de persuasion qui amène l’adhésion (dvekout). Or, celle-ci ne peut advenir qu’au moyen d’une pédagogie adaptée. Les Musulmans et les Chrétiens ont soif de la lumière d’Israël qui a du mal à pardonner le viol de sa fille.

L’enjeu de Naplouse, c’est la mise en valeur du Messie fils de Joseph qui avait pour rôle d’hébraïser l’Égypte et de lui apporter la prospérité économique. Les Palestiniens n’ont pas besoin d’une Palestine qui serait inévitablement un État islamiste tyrannique, ils veulent majoritairement appartenir à Israël et participer à sa réussite. Le projet d’Israël a un versant exclusivement juif (le Messie fils de David) mais aussi un versant inclusif et universel (le Messie fils de Joseph).

A Naplouse j’ai été surpris en entendant l’expression employée par les Palestiniens pour parler d’Israël : « L’intérieur » ! Cela sous-entend que les territoires palestiniens sont « à l’extérieur »… Étonnante conception de la géographie !

Le pèlerinage au Mont Garizim, la visite au puits de Jacob et au tombeau de Joseph devraient être encouragés en essayant de recréer le lien rompu avec les habitants de Naplouse qui pourraient bénéficier de ce tourisme. Malheureusement pour les Israéliens, la ville de Naplouse leur est interdite, les visites au tombeau de Joseph se font sous escorte de l’armée. Le puits de Jacob attire des Chrétiens qui « oublient » de se rendre au Mont Garizim et dans le centre ancien de la ville. Le Musée des Samaritains à côté du Mont Garizim est aussi un lieu très riche d’enseignements.

Le Mont Garizim, selon les Samaritains, serait le lieu de la ligature d’Isaac. Le véritable Mont Moriah n’est donc pas pour eux à Jérusalem mais à שְׁכֶם Sichem !

Pour les Samaritains (qui sont à la fois palestiniens et israéliens), un temple matériel n’est pas indispensable, les prêtres pratiquent toujours aujourd’hui les sacrifices et ceux-ci n’ont pas lieu exactement sur le Mont Garizim mais à côté, dans leur village. Leur conception du Messie est différente de celle des Juifs puisque pour eux l’authentique lignée messianique n’est pas celle de David (Yéhouda) mais de Joseph (Éphraïm).

Leur Torah a été écrite par le fils de Pinhas, petit-fils d’Aaron dans une écriture hébraïque plus ancienne que celle de la Torah des Juifs. Ceux-ci, au retour de leur exil à Babylone en -538 aurait -selon les Samaritains- modifié le texte afin que Jérusalem (la cité du roi David) devienne le centre du pays et non pas Sichem. Cette rivalité fraternelle entre Juifs et Samaritains et très intéressante…

Naplouse est à la fois un lieu de tensions perceptibles « dans l’air » et de possibilités de réconciliations. La présence des Samaritains sur leur montagne sainte favorise les relations entre Juifs, Musulmans et Chrétiens : tous peuvent se rendre dans leur village. On peut imaginer sur le Mont Garizim ce qui était désiré par le patriarche Jacob, l’ouverture de l’Alliance au-delà du peuple hébreu. C’est cela l’enjeu spirituel de Naplouse.

Le Centre noahide du rav Oury Cherki va dans ce sens d’un élargissement de l’Alliance. On pourrait aussi citer le rav Haïm Dynovisz, Akadem en France, et bien d’autres. De nombreuses initiatives contribuent à la diffusion de la lumière d’Israël mais ce n’est pas suffisant. L’enseignant de la Torah en direction des Arabes est balbutiant (et discret). Leur attente est grande mais le travail est délicat à cause du manque de liberté individuelle dans l’islam. Du côté palestinien, ceux qui osent s’intéresser au judaïsme (voire même apprécient Israël) mettent leur vie en danger. Pourtant l’enjeu est vital car c’est la seule issue pacifique possible au conflit israélo-palestinien.

Mon propos sera probablement perçu comme utopique voire ingénu, j’en ai conscience. Néanmoins même si c’est vain, il me semble important d’exprimer cette position car elle s’appuie sur la Torah.

L’autre alternative est le massacre des habitants de Shkhem qui avait fait dire à Jacob : « Vous avez fait mon malheur en me rendant odieux aux habitants du pays, Cananéens et Perizzites. Moi, je n’ai qu’un petit nombre d’hommes. Ils vont s’unir contre moi et m’abattre. Nous serons exterminés, moi et ma maison. » (Genèse 34,30).

L’histoire de Dina plus détaillé en suivant ce lien.

Le récit de mon séjour en Israël en suivant ce lien.

Le site du Mont Garizim en suivant ce lien.

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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