Mortelle triade
Je vais te faire du Tik-Tok, lui avait annoncé sa jeune nièce, toute excitée. Le temps n’est plus, ni aux profondes analyses, ni aux démonstrations bien charpentées. Telles celles dans lesquelles lui, son cher tonton, se complaisait. D’autant plus qu’on se trouve à l’instant T, où tout se joue.
La réplique fusa immédiatement à la remarque de Jonathan, qui lui dit la trouver, pour utiliser son vocabulaire, bien speed.
Mais mon vieux, il s’agit de la démocratie ! Exit, « le cher tonton », remarqua-t-il, et il se reversa un café bien serré. Elle prit alors le temps de lui expliquer, tenant compte du ralentissement visiblement lié au grand âge, l’historique de sa propre réflexion. Son dernier cours zoom par l’Université, Tu sais ce que c’est le zoom ?, traitait de la crise de la démocratie. Et faisait remarquer que l’entreprise, cette entité si souvent décriée, représentait, en fait, le lieu où le principe démocratique prenait sa plus belle expression. Il peut y avoir des exceptions, mais le plus généralement, entre un patron, son comité de direction, les différents échelons opérationnels, le dialogue est constant, les échanges bottom-up et bottom-to-top, tu sais de quoi je parle ?, sont permanents. Tout le monde joue son rôle dans une orchestration générale. Sinon, ça coince très vite.
L’hypothèse émise, alors, a été celle de reproduire cette mécanique dans l’univers politique. Une hypothèse qui a très vite mis le feu aux poudres. Car, bien entendu, pratiquement tous les pays occidentaux sont plus ou moins concernés par cette crise. Mais ici ! Comment ne pas la rapporter à notre propre situation ? Au moment où une bonne partie de nos camarades sont à Gaza. Pas à notre campus. Où le drame des otages devient chaque jour plus désespérant . Plus mortifère. Où le Hezbollah devient plus agressif, dangereux, où 300 000 Israéliens sont déracinés, où les settlers fous martyrisent impunément les villageois Palestiniens…
Le J’ai compris, que tenta Jonathan fut vite renversé par l’impératif « Attend » qui lui répondit. Et la situation économique et financière qui tourne au rouge ; et notre futur, à nous les jeunes, et l’image épouvantail d’Israël dans le monde, tout injuste que ce soit ; et tous ces responsables militaires, politiques du désastre du 7 octobre, qui se pavanent toujours, impunis, aux commandes du pays.
Tout ceci, Cher tonton, alors que plus d’une centaine de milliers de manifestants demandent que tout soit remis à plat. Que les parents des otages crient sans cesse leur espoir/désespoir. Demande de changement des dirigeants et de la politique, changement de priorité entre libération des orages et poursuite de la guerre, support accru pour les familles en errance. Encore plus quand un accord, même bancal, est mis sur la table par l’ami fondamental, qui ferait sauver les otages restant en vie.
Et face à nous, que trouvons-nous ? Un exemple à l’extrême de cette crise de la démocratie. Rien n’y manque. Un chef qui impose sa vision personnelle, non seulement à ses affidés mais à tout le pays. Une vision détachée de l’intérêt national, toute orientée par le souci de sa propre pérennité, de sa protection. Un chef pris dans un jeu de la barbichette avec des duettistes incompétents de la sphère de l’extrémisme religieux. Disposant grâce à lui d’un pouvoir discrétionnaire, abusif, au service de leur clientèle totalement improductive. Le tout couronné par un assemblage de ministres au mieux transparents dans leur fonction, au pire destructeurs des principes démocratiques.
Si bien que dans ce moment décisif, de vie et de mort pour beaucoup, que les atermoiements, les faux-semblants, le jeu de pouvoir d’un seul homme détermine l’avenir de tous, pousse la caricature démocratique trop loin. Il est plus que temps que l’esprit et la vie interne de la « Start-up Nation » révolutionne aussi le monde politique israélien, cher tonton.
Jonathan, rassuré par le retour d’une appellation plus complice, ne voulut pas prendre le risque de moquer cette version longue du Tik-Tok classique. Après tout, la démocratie avait bien besoin de la fougue de la jeunesse pour se préserver des assauts de la théocratie.