Mohammed VI et l’Algérie, 20 ans de fermeté et d’ouverture
Lorsqu’à la mort du Roi Hassan II, été 1999, le monde entier a pu suivre en mondovision ses obsèques à Rabat, nombreux étaient ceux qui avaient remarqué la présence du président Abdelaziz Bouteflika, en excellente santé et en larmes aux côtés du Prince héritier qui s’apprêtait à monter sur le Trône de ses ancêtres, portant avec émotion et gravité le cercueil du défunt Roi Hassan II.
Pour tous ceux qui suivaient de près la très tendue relation entre Rabat et Alger, cette image et l’avenir qu’elle pouvait prédire, augurait sinon, d’une réconciliation totale entre les deux pays, du moins d’un apaisement manifeste dans leurs multiples controverses. L’optimisme était d’autant plus de rigueur que Abdelaziz Bouteflika, natif de la ville marocaine de Oujda, capitale du Maroc oriental, venait juste d’être élu Président de la république algérienne en Avril 1999.
Tous les ingrédients, du moins sur le plan politique, étaient donc réunis pour que les deux pays, le Maroc et l’Algérie, l’un avec un nouveau Roi, l’autre avec un nouveau président puissent espérer un nouveau départ et une nouvelle dynamique dans leur voisinage plombé par les divergences. Les opinions commençaient à espérer de grands gestes symboliques susceptibles d’alimenter la fraternité entre les deux peuples comme l’ouverture des frontières, la relance de l’Union du Maghreb Arabe…
Mais sitôt revenu dans son pays, Abdelaziz Bouteflika, au sommet de sa puissance, a non seulement validé l’ensemble de la stratégie agressive à l’égard du Maroc mais il a transformé le dossier des séparatistes du Polisario en priorité vitale et unique de l’ensemble de son appareil diplomatique. Durant toutes les années Bouteflika, les diplomates algériens n’excellaient que dans un seul exercice, celui de chanter les louanges des séparatistes du Polisario et d’investir d’énormes ressources financières et logistiques dans tous les territoires pour leur créer une « légitimité » que l’histoire et la géographie leur refusent.
Cette réalité est tellement flagrante que le seul domaine international dans lequel l’Algérie faisait entendre sa voix était celui de son soutien au Polisario. Peu importe que la région du Sahel soit menacée par les organisations terroristes, que celle du Golfe par une guerre fratricide, que le conflit israélo-palestinien s’enlise dans le désespoir, que la Méditerranée soit menacée de déstabilisation à cause des crises migratoires, que la Libye voisine soit en pleine décomposition…Sur toutes ces crises, la diplomatie algérienne est aphone. Mais dès qu’il s’agit d’alimenter et de couver le séparatisme, elle reprend de la vigueur dans une sorte d’obsession pathologique.
D’ailleurs, dans tous les rounds de négociations de ce dossier vieux de plus de quarante ans, l’Algérie était omniprésente avec son arsenal diplomatique et ses ressources financières. De tous les pays limitrophes de cette crise, l’Algérie était la seule à avoir dévoué son destin, mobilisé ses énergies à donner une réalité à un séparatisme fantasmé, à tenter de lui trouver des parrains internationaux et à lui acheter des sympathies et des aides.
Alors qu’importe les messages écrits en épaisse langue de bois, dégoulinant de bonnes intentions qu’il envoyait au Maroc à l’occasion des multiples fêtes nationales ou religieuses.
Dès les premiers discours de Mohammed VI sur le sujet, la ligne a été clairement définie : pas question de céder un pouce de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Si le Maroc est prêt à négocier une autonomie élargie en l’intégrant aux composantes d’un ensemble national marocain, il est aussi prêt à toute éventualité, y compris celle d’une confrontation militaire contre tous ceux qui veulent falsifier l’histoire pour réécrire une autre géographie.
Sur le plan des choix diplomatiques, Mohammed VI a fait celui, stratégique, de reconquérir l’Afrique, là où pendant une longue durée de politique de chaise vide, les Algériens avaient réussi à imposer une reconnaissance du Polisario par l’Union africaine. D’ailleurs, depuis le retour du Maroc au sein de L’UA, la donne est complètement bouleversée et les rapports de forces totalement réécris. Le Maroc, porté par l’auréole de son implication solidaire, économique, son aura religieux et son dynamisme politique, avait fait le choix d’une stratégie de conviction au corps à corps.
L’idée principale, tracée par le Roi Mohammed VI, est d’être là, au cœur de la machine africaine pour dénoncer les propagandistes, désactiver les projets hostiles, anesthésier les antagonismes. Le tout accompagné d’une démarche d’explication, de pédagogie et de persuasion. Ce retour gagnant du Maroc sur la scène africaine avait donné des urticaires à ses adversaires qui se sont livrés à des manœuvres dilatoires et à des actes de désespoir pour minimiser l’impact de ce retour.
D’autres champs de batailles diplomatiques ont été labourés par le Maroc pour transformer cet essai africain. D’abord les Nations-unies où il a réussi à convaincre de la pertinence politique de l’offre de sortie de crise qu’il propose sur l’autonomie élargie. Ensuite au sein de l’Union européenne où l’enjeu principal était fermé ce territoire et ses institutions aux manœuvres agressives de lobbying des Algériens en faveur du Polisario. Parallèlement à ces stratégies de conquête, la diplomatie de Mohammed VI s’est aussi assurée de la bienveillance, quand ce n’est pas un soutien franc, des grandes puissances comme l’Amérique, la Russie ou la chine.
Durant ces vingt années de règne, Mohammed a développé à l’égard des Algériens la politique de la main tendue et de la réconciliation. S’il lui arrivait de fustiger ouvertement l’obsessionnelle politique d’agressivité menée par leur régime à l’encontre du Maroc et de son unité territoriale, il parle régulièrement du manque à gagner pour les populations du Maghreb de cette discorde marocco-algérienne sur le Sahara marocain.
Dans l’évocation régulière de l’énorme coût du Non-Maghreb, il y a une invitation aux Algériens à réfléchir sur les choix stratégiques de leur institution militaire qui paralyse et épaissit l’impasse. Mohammed VI sait que la question du Polisario ne bénéficie d’aucune popularité au sein du peuple algérien. Elle est juste une affaire des services de sécurité qui l’instrumentalisent dans leur éternelle compétition avec le leadership marocain.
La position de Mohammed VI à l’égard de l’Algérie a été résumée dans un discours prononcé à l’occasion du soixantième anniversaire de la conférence de Tanger et du quarante troisième anniversaire de la marche verte : « Mus par l’affection et l’estime que nous portons à l’Algérie, à sa direction et à son peuple, nous ne ménagerons aucun effort, au Maroc, pour asseoir nos relations bilatérales sur de solides bases de confiance, de solidarité et de bon voisinage, inspirés en cela par la parole de Notre Aïeul, paix et salut sur lui : ‘’Jibril m’a tellement recommandé d’être bienveillant envers mes voisins que j’ai failli croire qu’il allait en faire mes propres héritiers’’ ».
Preuve de cette bienveillance, le Maroc est intelligemment resté à distance du débat sismique qui a secoué l’Algérie sur le cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika et du Hirak passionné et éruptif qui cherche à engendrer un nouveau pouvoir plus démocratique et plus égalitaire.
Mais quel qu’en soit l’issue, les Marocains formulent le secret espoir que cela puisse ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux peuples, algériens et marocains, dont les récentes expressions de joies communes à l’occasion de la coupe d’Afrique des Nations qui ont sacré l’Algérie championne d’Afrique, ont été une époustouflante démonstration de fraternité et de communauté de destins et de passion.