Featured Post

Mirage et réalité du Califat prophétique

Mise en lumière sur le califat prophétique de l'Etat islamique dans toute la région.

Voici un an, en juin 2014, l’Etat islamique est apparu au Moyen-Orient et sur la scène internationale. En fait, il avait été fondé 14 ans plus tôt comme l’élément « irakien » du mouvement Al-Qaïda, lequel faisait suite à l’embryon des « Frères Musulmans ». Voici donc une douzaine de mois, le monde restait stupéfait par les actions terroristes, les meurtres perpétrés par le biais des médias dans une zone qui correspond au reliquat de l’Empire Ottoman placé sous le contrôle britannique après la première guerre mondiale. Cette nouvelle entité « islamique » s’emparait rapidement de larges zones du Nord-Ouest et de l’Est de l’Irak avec des percées significatives vers la Syrie.

La progression de cette nouvelle entité se réclame de la foi musulmane dans sa « pureté » originelle, tant au plan de ses « moeurs » que de ses références soit-disant en référence avec des traditions rigoureuses et strictes héritées de l’Islam des premiers temps de l’Hégire. Le groupe a exigé puis brutalement affirmé la constitution d’un « Etat islamique ».  Le Califat, supprimé par Kemal Atatürk en 1924 (ainsi que de nombreuses traditions musulmanes locales), était officiellement rétabli par le nouveau Calife auto-proclamé Abou Bakr el-Baghdadi qui n’a pourtant aucun lien direct ou indirect avec les générations familiales des califes historiques.

Le monde politique international, les journalistes, les experts de tous horizons et de tous niveaux s’acharnent jusqu’à ce jour à reconnaître cette organisation mouvante, apparemment invertébrée, au territoire incertain comme une entité réelle. Ils refusent viscéralement de voir en ce serpent morbide et conquérant autre chose qu’une sorte de show médiatique sophistiqué, fanatique et pilleur.

Le groupe islamique couvre un territoire difficile à mesurer avec précision. On peut avancer une superficie actuelle d’environ 315 000 km2 (juillet 2015), constitués de quelques villes mais essentiellement de zones désertiques qui, de Mossoul à l’Est de la Syrie, affleurent la Turquie et s’approchent du Golan, de la Jordanie.

Dès lors, on hésite à reconnaître l’existence d’un « Etat islamique ». La situation est relativement familière en Israël où il existe de vastes gammes d’accords et de désaccords à reconnaître puis nier l’existence de l’Etat hébreu selon les humeurs du temps, les impératifs économiques ou stratégiques, voire faire l’autruche au niveau diplomatique.

Certains parleraient, en ce moment, d’une tendance identique envers la constitution embryonnaire d’une Palestine indépendante. C’est dire que nous sommes habitués à faire face à cette mobilité géographique qui est aussi une caractéristique historique tissée de drames. Ils ont affecté le Proche et le Moyen-Orient, le Croissant Fertile, le Levant, la Syrie ou les Arabies depuis la péninsule sinaïtique jusqu’aux côtes d’Oman et les actuels Etats du Golfe.

« L’Irak (« al-Iraq » en arabe) provient du persan Eraq signifiant « basse terre ». A l’époque pré-islamique, la région porte aussi le nom de Khvarvaran, une province de la Perse. Le pays, situé au nord de la péninsule arabique, de climat subdésertique et qui a pour capitale Bagdad, est également appelé « le pays des deux fleuves (bilad al-rafidayn), en référence au Tigre et à l’Euphrate qui le parcourent. » [1] .

Il s’agit donc de la Mésopotamie dont le nom grec rappelle l’antiquité de ce carrefour civilisationnel dont les constituants ethniques ont été brassés depuis plus de 5 000 ans. Confluences des tribus, des races, passage des Indo-Européens et des Sémites, invasions depuis le Sud arabique ou le plateau persan, conquête d’Alexandre le Grand, berceau de l’écriture, de la mémoire légendaire et religieuse. Nous vivons, en tout point du monde, sur l’inspiration spirituelle, la révélation ou le doute hésitant entre le bien et le mal. La théophanie monothéiste s’est incarnée dans ces régions d’Ur en Chaldée ou à Haran.

Cette Mésopotamie a pris différents visages au cours des siècles : les académies juives de Nehardea, Poumbedita et Soura ont permis, en hébreu et surtout dans un araméen particulier, de mémoriser le Talmud de Babylone au sein de communautés qui ne sont revenues en Israël qu’en 1950.

Le christianisme assyrien s’est largement développé, en frontale contre l’Empire romain d’Orient et d’Occident, ouvrant la culture de langue araméenne et ses influences judaïques depuis Edesse en Syrie occidentale jusqu’aux plaines de Ninive et bien plus loin vers la Perse, le Cachemire, l’Inde.

Il pénétra au Tibet vers l’Asie centrale, la Mandchourie et la Mongolie, aux portes du Japon. L’Eglise d’Orient s’implanta rapidement en Perse, de manière solide et durable, au prix de grandes difficultés face aux diverses sectes, aux Zoroastriens ou Mazdéens, aux Mandéens et Sabéens dont les groupes ont survécu de manière minoritaire et « ghettoïsante ».

L’Eglise assyrienne ou assyro-chaldéenne – lorsqu’elle est unie à Rome – a payé un tribut effroyable en martyrs de la foi, s’est scindé du Patriarcat d’Antioche – situé à la limite des empires perse et romain – par l’établissement du catholissat de Séleucie-Ctésiphon. La rupture entre l’Orient sémitique et l’Occident romano-byzantin commença à Ephèse en 431 et la séparation fut consommée au concile de Babaï en 497. L’Eglise d’expression araméenne organisa des communautés en Asie et même à Ceylan jusqu’à la fin du 13ème siècle.

Les Mongols détruisirent Bagdad, mettant fin, dans le même temps, à la dynastie des Abbassides, les califes islamiques qui avaient gouverné le monde arabo-musulman de 750 à 1258.

Terre de convergences multiples puisque l’Islam s’arracha des confluences arabiques aux contours de l’Afrique, du Yemen, du Sinaï, de la Terre d’Israël et au-delà du Jourdain pour conquérir la Perse et les plaines de Ninive jusqu’à la Cyrénaïque libyenne grâce à Omar Ibn al-Khattab, en passant par Jérusalem en l’an 15 de l’Esprit (Hégire, soit en 637). Pourquoi diantre, personne n’accepte que, depuis cette date et le Décret de l’Achtiname qui réconnaîssait le droit des Chrétiens de Terre Sainte (et des Juifs) au nom d’Allah, aucun responsable chrétien actuel n’est capable de négocier sur la base d’un accord qui est toujours valide? Il ne sert à rien de déblatérer sur les accords entre le Pape François et l’Autorité Palestinienne si l’on continue à faire fi d’une réalité locale qui dérange.

Telle est bien la problématique – sinon le drame – du quotidien evénementiel, en particulier pour les Occidentaux et affiliés.

Du coup, comment serait-il pensable d’utiliser le terme d' »Etat islamique »: cette « appellation » constitue en soi une reconnaissance de facto d’une entité minoritaire et despotique, tyrannique qui a la prétention de se substituer à l’islam originel et authentique.

Il est possible d’y distinguer plusieurs niveaux de malaise de la part des puissances étrangère à cette région proche-orientale qui joue un rôle géo-stratégique majeur. Une mémoire défaillante sur l’impérialisme colonial, post-colonial des états de la Coalition, ceux de l’Occident et ceux qui leur font face comme les pays indépendants postérieurs à la chute de l’Union Soviétique. Il y a les enjeux économiques doublés de captations idéologiques et religieuses. Les Evangélistes américains sont arrivés sans même comprendre que leur propre foi et née dans ce creuset des civilisations aux bouillonnements spirituels.

Il est impossible d’ignorer le malaise profond qui a saisi un très grand nombre de Musulmans, qu’ils habitent au Proche-Orient même ou dans leurs multiples diasporas qui couvrent aujourd’hui le monde entier. Ils subissent aussi une guerre délocalisée aux dimensions de la planète, insaisissable par l’internet.

Il est donc question, depuis un an – encore qu’il faille remonter à plus d’une décennie, sinon plus loin dans le temps – d’une reconnaissance mitigée et hésitante d’un Daesh ou Etat islamique aux frontières flottantes comme un mirage flouté dans un désert dont les limites restent invisibles.

En fait, il est question de probité politique : il n’est pas raisonnable de parler de situation de guerre sans désigner explicitement, de manière claire, qui est l’ennemi, en quoi il est l’adversaire désigné. Il est facile de se cantonner à des acronymes syllabiques comme EI (Etat Islamique), Daesh/דאע »ש en hébreu qui signifie « Etat islamique d’Irak et de Syrie » ou encore ISIL-ISIS (distinction du Levant comme Orient) en anglais ou ИГИЛ en russe.

Nous avons le devoir de reconnaître la réalité d’un Etat islamique dont les activités ne relèvent pas du seul domaine du fantasque. Nous ne sommes plus en 1919 et nul ne peut parler d’un mandat britannique sur les « provinces de Bagdad, Mossoul et Bassora » ou d’une « Palestine mandataire » en voie de devenir une « entité sioniste ». Entre BDS, opacité religieuse et politique envers l’Etat d’Israël, l’irraison entêtée ne peut conduire une quelconque Coalition à affronter ses propres contradictoires issues de la chute de l’Empire ottoman qui se meurt encore et toujours.

Il faut distinguer des réalités qui se conjuguent sans dialoguer : en 1958, le coup d’Etat des « officiers libres » instaura la République d’Irak. Dès 1960, le Parti islamique irakien était fondé à Bagdad. En 1970, la rébellion kurde conduite par Moustapha Barzani conduisait au statut d’autonomie du Kurdistan irakien. Les chrétiens d’Orient (syriaques, assyriens ou assyro-chaldéens) ont largement émigré, dès la fin des années 1970, de manière qui fut alors discrète et sans s’intégrer vraiment dans les communautés latines. La situation fut meilleure en URSS bien que ceci soit rarement connu.

Certains responsables chrétiens commencent à exprimer, de manière ouverte, le devoir de résistance qui fut le ressort constant, au cours des siècles, d’un christianisme sémitique lâchement abandonné par l’étranger et qui a trop souvent succombé aux séductions de la corruption financière ou politique comme sous Gengis Khan ou même à la désunion suicidaire lors des génocides de 1915. Les responsables assyro-chaldéens appellent à la résistance théologique de l’Eglise tout comme les chefs syro-orthodoxes ou catholiques invitent au devoir impératif de la survie sur place. Il y va aussi d’une conscience aigüe dont l’extérieur s’est montré le plus souvent défaillant sinon dépourvu.

En Israël-même, les observateurs n’hésitent plus à comparer la reconnaissance de l’Etat islamique comme le moyen de surmonter la « bête immonde » qui fait miroir à la montée et aux conquêtes de l’Allemagne nazie.

Comme au temps du national-socialisme allemand, puis pan-germanique et européen, avec des alliés fascistes italiens, turcs ou japonais, la terreur de l’Etat islamique met du temps à être mise à nue, repérée véritablement, dénoncée de manière ouverte et précise. Or, les allégeances à cet Etat et Califat islamique se multiplient, couvrent des zones de plus en plus nombreuses. Ces « affiliés » sèment la mort par coups souvent médiatisés tout en instaurant des réseaux gouvernementaux, des économies de marché qui leur permettent de poursuivre la guerre, selon des schémas qui constituent un décalque actuel de l’hitlérisme.

L’Etat islamique se distingue par sa capacité à maintenir en place et à établir les structures administratives, civiques, les écoles, de développer l’assistance médicale, de frapper sa propre monnaie qui est reconnue par des partenaires économiques locaux ou présents dans tous les pays, y compris les états occidentaux.

 La Charia musulmane, déjà largement répandue dans toutes les régions de tradition islamique, continue un processus d’expansion, sinon de prosélytisme que les Eglises ont longtemps cru pouvoir monopoliser à leur avantage. Nous l’avons senti « en direct » de Bethléem en 2002, lorsque la basilique de la Nativité a été prise par des terroristes, puis en 2004 au Saint Sépulcre à Jérusalem : il devenait évident que personne n’interviendrait car les « Puissances » ont maintenant peur de leurs ombres dans toute le Proche-Orient. Si l’on avait suivi la logique historique de la guerre de Crimée (1856), une coalition style « Otan » aurait dû intervenir. Les Eglises et les Puissance internationales restèrent dans une torpeur silencieuse.

La situation est la même en ce moment : on ergote sur un Etat islamique qui, « tranquillement », devient un « Califat de tradition prophétique » et balaie toutes les références géographiques héritées de l’époque coloniales.

Ce nouveau « Califat » souligne le caractère illégitime, à ses yeux (comme aux yeux de beaucoup de musulmans à travers le monde) des titres que se sont attribués les différents responsables comme les rois d’Arabie Saoudite, du Maroc. Le cas du roi de Jordanie est particulier puisque ce sont les Israéliens qui, suite à la prise de Jérusalem en 1967, lui ont conféré le titre de « Gardien des Lieux Saints [musulmans] de Jérusalem ». Ils sont contestés par d’autres hiérarchies musulmanes mais reconnus par l’Autorité Palestinienne (31/03/2013). 

 L’Etat Islamique dispose aussi d’un large réseau d’information. Il serait erroné de ne tenir compte que des pressions médiatiques par vidéos sanglantes, des demandes de rançons, des marchés des esclaves… Il existe une presse qui repose sur un savoir-faire international et polyglotte. Le journal « Dabiq » rappelle que, voici 500 ans, le 8 août prochain, la bataille eschatologique de Dabiq (en Syrie, région dépendant de Alep) gagnée par les troupes Ommayades devaient se poursuivre sur Constantinople et détruire les « Romains [Roum] = les chrétiens en général ».

Il est trop facile de critiquer ou de jouer les « grands mamamouchis à bon marché » face à ce que certains considèrent comme une bande de fanatiques incultes. C’est dangereux dans le mesure où l’on fait fi de la manière dont les traditions musulmanes (sunnites, chiites et autres faites de multiples obédiences) affrontent en interne le drame de ce « califat émergent ».

Israël ne peut l’ignorer en raison du nombre croissant des volontaires islamiques de citoyenneté israélienne qui apparaissent au grand jour. Il faut aussi tenir compte des treize membres arabes récemment élus à la 20ème Knesset et ne pas les isoler ou les discréditer. Ils sont les représentants élus de la nation israélienne et ceci est un fait, sûrement plus positif qu’on le croit. Il suffit de parcourir le pays, en particulier la Galilée, pour constater la construction rapide de mosquées en nombre significatif. Voire de ne pas se planter le cou dans le sable face aux problèmes très réels et rarement évoqués des jeunes filles musulmanes invitées à se convertir à l’islam, toujours dans le nord du pays.

Faudra-t-il que le « Califat prophétique » agite le spectre de l’arme atomique pour que les spéculations rêveuses aux formes de danseuses du ventre et de mille et une nuits dilatoires cèdent enfin le pas à une vraie conscience résistante, morale, humaine et courageuse.

[1] Myriam Benraad, Irak: de Babylone à l’Etat Islmique, Le Cavalier Bleu, 2015 p. 9). L’auteure est spécialiste en géo-stratégie internationale, l’une des meilleures expertes de l’Irak et de l’évolution au Proche-Orient.

à propos de l'auteur
Abba (père) Alexander est en charge des fidèles chrétiens orthodoxes de langues hébraïque, slaves au patriarcat de Jérusalem, talmudiste et étudie l'évolution de la société israélienne. Il consacre sa vie au dialogue entre Judaisme et Christianisme.
Comments