Migrants : Moscou, la route de la mort
La Pologne devient la porte d’entrée clandestine dans l’Union européenne (UE)
Malgré la situation sécuritaire provoquée par la guerre en Ukraine, les passeurs sont à la manœuvre.
Dans un environnement caractérisé par tous les dangers, en dépit d’un contrôle renforcé à la frontière avec la Biélorussie, le passage vers l’UE continue à attirer les candidats.
Les moyens mis en œuvre par l’UE restent très insuffisants. Frontex chargé, en principe, de ces contrôles, semblent avoir baissé les bras. Les nombreux passages et naufrages dramatiques en Méditerranée semblent le confirmer. On rappelle la crise de 2021 avec la Biélorussie qui avait provoqué l’arrivée de centaines de migrants via Minsk par voie aérienne.
Mais voilà, ça c’était avant – avant l’invasion russe. Depuis, la Russie soumise aux sanctions a laissé faire. Sans doute, s’agit-il aussi de faire monter les enchères dans l’éventualité d’un futur marchandage ou d’un échange de bons procédés. Chacun appréciera. De fait, la tension déjà vive entre Biélorussie et Pologne est montée d’un cran. L’allié de Moscou a massé des troupes le long des 200 kms de mur électronique de 5,50 m de haut, frontière qui sépare les deux pays.
Suite à la mutinerie avortée du groupe de mercenaires Wagner, un certain nombre de ses membres sont stationnés dans les forêts proches, ajoutant de l’insécurité et de la peur dans un environnement hostile. D’après les sources polonaises, il y aurait entre 100 à 200 tentatives par jour. Mais on ne précise pas combien de tentatives réussissent. Ce qui est très actuel, car la police allemande enregistre régulièrement des arrivées de migrants qui ont réussi le passage via le mur polonais qui dispose néanmoins de portes (destinées au passage des animaux affirme-t-on.)
Qui tente l’aventure ?
Des candidats désespérés de leur vie en provenance du Moyen Orient, d’Afghanistan, d’Afrique, qui sont prêts à tenter le long périple et même à y perdre la vie, pendant que tous les Européens qui partent en vacances, inquiets de l’inflation sont contraints d’en réduire la durée.
Mode d’emploi, la préparation
Les publicités des agences de voyages qui vendent des visas pour la Russie sont partout, notamment sur Facebook, ciblant les futurs candidats du Moyen-Orient. Certains montrent simplement la photo d’un visa pour la Russie et mentionnent un numéro de téléphone de contact. D’autres sont plus abstraites, comportent une photo et une promesse de « traitement médical en Russie ».
D’autres annonces proposent des informations très précises sur les services qu’ils peuvent fournir. Une agence va jusqu’à publier des photos de ses clients arrivés à l’aéroport de Moscou, Une agence n’hésite pas à afficher des exemples de visas et de lettres d’invitation qu’elle a pu obtenir. Les agences offrent des forfaits similaires : pour 2 500 et 3 000 dollars. Elles indiquent être en mesure d’obtenir des visas russes dans un délai d’un mois après avoir fourni les données du passeport : si le migrant est jeune, elles disposeraient d’un visa étudiant. Pour un adulte, ce sera un visa de tourisme.
Tous ces visas impliquent une lettre d’invitation ou de parrainage de la Russie ou d’une université pour un visa étudiant, voire d’un particulier se chargeant de l’hébergement. Les migrants achètent ensuite eux-mêmes leur billet d’avion (via Dubaï pour les passagers moyen-orientaux). L’agence de voyages promet qu’ils seront accueillis à l’aéroport moscovite par le correspondant russe auteur de la lettre d’invitation en lien avec le motif de délivrance du visa.
Comme le montrent les publications sur les réseaux sociaux, il peut arriver que le même correspondant russe agisse en tant que destinataire, pour plusieurs migrants munis de visas obtenus par la même agence.
Avant le départ, le migrant dépose le paiement soit auprès d’une personne de confiance, soit auprès d’un bureau de change spécifique. L’agence l’encaisse une fois la confirmation reçue que le migrant est arrivé en Russie.
Les correspondants à l’arrivée, promettent d’aider le migrant à se rendre en Allemagne, en le mettant en contact avec des passeurs qui s’occuperont de la partie Moscou-Allemagne du voyage. On évoque des montants de l’ordre de 6 000 dollars pour l’ensemble du voyage du Moyen-Orient vers l’Allemagne. Les itinéraires utilisés pour entrer dans l’UE passent tous via la Biélorussie. L’option de passage via l’enclave russe de Kaliningrad est peu retenue car le migrant ne pourra pas y travailler et la surveillance sécuritaire y est très forte. Les autorités polonaises, craignant l’ouverture prochaine par la Russie de cette route, y ont construit un mur de barbelés à la frontière.
L’organisation clandestine
Typiquement, une chaîne de passeurs et ses membres transfère des migrants vers l’UE, via la Russie et la Biélorussie et encaisse jusqu’à 10 000 dollars par candidat. Des passeurs basés au Moyen-Orient dirigent un réseau de locaux – principalement des Russes et des Ukrainiens, mais aussi des citoyens basés dans d’autres pays les anciennes républiques post-soviétiques et d’Europe de l’Est – dont chacun sera chargé d’une partie de la route, car implantés sur place, ils en connaissent les difficultés et bénéficient de complicités locales rémunérées. Les réseaux copient ceux de la drogue.
La route de la mort, ce qui attend les candidats
Avant :
Fin de l’année dernière, pour mettre un terme au flux migratoire encouragé par Alexandre Loukachenko aux frontières orientales de l’UE, Bruxelles a fait pression sur les pays tiers et les compagnies aériennes internationales pour limiter le nombre de vols pour amener des migrants à Minsk. L’intervention a fonctionné : après un pic de 17 000 en octobre 2021, le nombre de tentatives d’entrée en Pologne via cette frontière est tombé à environ 1 000 pendant les mois d’hiver de l’année dernière.
Après :
Depuis cet été, les ONG polonaises qui fournissent une aide humanitaire aux migrants ont constaté une nette augmentation du nombre de migrants traversant la frontière biélorusse-polonaise avec des visas russes.
Les passeurs dressent au candidat un tableau assez idyllique, de l’exercice à venir, gommant toutes les difficultés réelles de l’aventure – « dans quelques jours vous serez en Allemagne »
La réalité est moins rose. Certains ont mis plusieurs mois pour réussir. D’autres ont été battus à mort. D’autres encore ont été abandonnés dans la forêt par leur passeur. Après avoir atterri à Moscou où il ne devrait passer que 2 ou 3 jours – si tout va bien – le candidat contacte le passeur qui doit le conduire vers la Pologne, avant que le passeur en charge ne lui envoie une voiture pour le conduire en Biélorussie. Il faut environ 12 heures pour effectuer le trajet qui peut aussi comporter plusieurs changements de véhicule pendant les quelques 700 kms jusqu’à Minsk.
Ensuite, notre candidat sera confronté à un parcours du combattant qui attend tous les migrants depuis l’été 2021 : se rendre à la frontière, essayer de traverser, se faire repousser, retourner en Biélorussie, essayer et encore.
Après avoir passé plusieurs jours dans la forêt et atteint enfin le mur électronique ou un bras de rivière, être arrêté par les gardes biélorusses, battu, dévalisé, les candidats risquent aussi d’y laisser leur vie, les gardes ne sont pas à ça près. C’est la route de la mort. Après plusieurs échecs et retours à Minsk, le candidat tente à nouveau sa chance avec son passeur désigné.
La Russie encourage le flux de migrants
Après le coup d’arrêt imposé a la Biélorussie, la route de la mort a été réactivée par la Russie et son allié de Minsk. Elle reste opérationnelle. Les candidats essayent aussi de passer dans les pays baltes, parfois en Finlande, il y aurait entre 100 et 200 tentatives d’entrée en Pologne quotidiennement à la fin du printemps et au début de l’été 2023. Cependant on a peu d’informations sur les tentatives réussies, si ce n’est par le nombre d’arrestations de migrants arrivés en Allemagne.
Les organisations de passeurs, pour amener des migrants en Europe via la Russie et la Biélorussie, encaissent jusqu’à 10 000 dollars par personne.
Devant l’inefficacité de Frontex pour le compte de l’UE, la Pologne a envoyé 2 000 gardes frontières de plus. L’Allemagne a demande aux pays voisins de la frontière d’augmenter le nombre de points de passages contrôlés, ce que ces pays ont refusé jusque-là. La Lituanie et les pays baltes inquiets du regain de passages ont renforcé leur contrôle aux frontières. Pour autant, le désespoir des candidats est tel que le risque d’y laisser leur vie ne les arrête pas.
D’évidence, la question migratoire sera le sujet numéro un dés le début 2024 en vue des élections européennes de juin 2024 et l’actualité aidant, ce sera la Hongrie qui présidera le Conseil européen. On connaît les positions de Viktor Orban. L’instabilité actuelle en Europe, amplifiée par la guerre en Ukraine qui semble devenir « la longue guerre » sera un facteur anxiogène de plus pour tous les citoyens européens qui commencent à douter d’une bonne fin du conflit, la confiance faisant place à la défiance.