Michel Vergé-Fransceschi, La Corse, une autonomie en question, Passés / Composés. PUF, 2024
A intervalles réguliers, la Corse qui mérite bien son nom d’île de beauté, se rappelle à notre bon souvenir. Je me souviens de l’époque de la ministre Alice Saunié-Séité où Valéry Giscard d’Estaing parlait de l’âme corse qu’il convenait de ménager dans ses relations avec le continent. Depuis, on a beaucoup progressé, mais cela reste insuffisant. Que faire ?
Dans ce livret, l’auteur, juriste corse connu et très respecté, donne une réponse au discours du président de la République, qui ne manque pas d’originalité : la Corse est une île métropolitaine et non pas un territoire de l’outre-Mer. L’auteur a beau jeu de noter que Nouméa est à presque 24 heures d’avion de la métropole alors que la Corse est à 40 minutes de Marseille… Ce n’est pas du tout le même statut. Et pourtant,, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer plus d’autonomie, voire une indépendance pure et simple.
Il est incontestable qu’il y a dans cette île, si belle et si attachante, une atmosphère différente de tous les autres départements ou régions de France. Mais est-ce suffisant pour réclamer une rupture des liens qui remontent à plus de deux siècles d’histoire… Certes, on n’en est plus aux attentats contre les forces de l’ordre, aux plastiquages de casernes de la gendarmerie ou de villas construites sur le littoral, au mépris des lois en vigueur, le plus souvent. Mais il n’en demeure pas moins interdit de se substituer à l’État et à se faire justice soi-même. Toutefois, ; en règle générale, l’ introduction à ce livre est trop longue trop familiale, tout en demeurant intéressante.. Que l’auteur ne s’en formalise pas, mais une entrée en matière doit être nécessairement brève, voire censive.
A partir de la page 25, l’auteur entre dans le vif du sujet : interpelle le président de la République en le questionnant sur la spécificité de l’île, sur l’insularité en général, mais pas seulement : au fond, dit-il, la Corse est confrontée à tous les dysfonctionnements de notre temps, depuis les crimes les plus graves jusqu’au manquements les plus courants et les plus bénins..
J’ai bien aimé le chapitre intitulé » La Corse, archétype de l’insularité ». Dans notre imaginaire, y compris l’imaginaire corse, l’ile est conçue comme un refuge qui doit rester inviolable. Certaines valeurs y sont préservées et nul n’a le droit de profaner cette espèce de sanctuaire. Ce que ne comprennent pas les Français du continent qui , par voie de conséquence, ne comprennent pas les Corses. J’ai vu en Corse, sur place, non loin d’Ajaccio des restaurateurs refuser de servir des clients du continent, de simples touristes, au motif que ceux-ci les avaient mal… regardés ou qu’ils leur avaient mal parlé! J’y ai assisté en plein mois d’août. Ce sont des scènes qui ne se produisent nulle part ailleurs qu’en Corse. Cela aussi est une réaction d’insulaire. Je peux citer ce passage ici :
Tout cet imaginaire fait partie d’un idéal à enseigner aux jeunes, mais c’est malheureusement un leurre. C’est beau, c’est émouvant, c’est flatteur, mais c’est oublier les veuves chassées de la demeure du couple par les fils du premier lit du père…
De telles pratiques sont contraires à l’ordre éthique et pourtant elles ont cours chaque jour en France métropolitaine. J’ai parlé avec des Corses, gens raisonnables et respectueux des lois de la République qui n’admettent pas qu’on saisisse des biens en cas de défaillance des débiteurs… Pourtant, cela se passe tous les jours que Dieu fait, sur le continent. Au fond, l’insularité est une culture qui a ses règles, ses interdits, ses hantises, etc… C’est aussi une fidélité à des traditions. La société corse est avant toute chose une société traditionnelle où l’autorité des anciennes générations est constitutive de la vie quotidienne. Certes la France, dans son ensemble, a une large façade maritime mais elle n’est pas une île pour autant. D’où la nature spécifique de sa législation.
Peut-on exiger une législation différente sur l’ile ? C’est peu concevable, et c’est pourtant ce que les insulaires réclament depuis fort longtemps. Je doute que l’on puisse arriver à un compromis acceptable pour les deux parties.
Faut il modifier le statut de l’ile ? Je n’ose me prononcer sur ce point, n’étant pas un spécialiste cette question si controversée… Les passions sont si fortes que l’on est assuré de n’avoir aucune majorité pour réformer le statut de l’ile. Finalement, je peux être pour l’interdépendance : le continent a besoin de la Corse et inversement. Dans le respect et la dignité des deux parties.
Je voudrais signaler ou rappeler un fait qui fait honneur à la Corse et aux Corses, en général et qui, moi, me tient à cœur : durant l’Occupation, aucun juif, pas un seul ne fut dénoncé ni livré aux Nazis.
C’est un « détail » historique qui compte pour nous. Et qui fait honneur aux habitants de cette belle région.