Maudits Houthis

Des rebelles armés houthis soutenus par l'Iran organisent un rassemblement contre les frappes américaines et britanniques sur des sites militaires dirigés par les Houthis près de Sanaa, au Yémen, le 14 janvier 2024. (Crédit : AP Photo)
Des rebelles armés houthis soutenus par l'Iran organisent un rassemblement contre les frappes américaines et britanniques sur des sites militaires dirigés par les Houthis près de Sanaa, au Yémen, le 14 janvier 2024. (Crédit : AP Photo)

Alors que j’écris cet article, Israël retient son souffle avec l’espoir de voir enfin libérés les premiers otages du Hamas. Cette première étape, fragile, ne présume en rien de la suite, mais la « première phase » est bien un cessez-le-feu de 6 semaines. Au Sud Liban les armes se sont tues depuis début novembre, après les coups très durs infligés au Hezbollah.

Mais ce samedi, deux alertes ont été entendues dans tout le centre du pays, avec des nouvelles interceptions (heureusement réussies) de missiles envoyés par les Houthis yéménites ; et cela après une série d’attaques dont le rythme a même augmenté au cours des dernières semaines.

Même si nos grands médias considèrent que c’est une affaire négligeable, une armée fanatique aura continué presque jusqu’au bout « sa » guerre contre l’État hébreu : la formation terroriste vient juste de dire qu’elle suspendait ses attaques tant que la trêve durerait à Gaza.

Mettons en perspective cette menace en rappelant quelques éléments : sur son blog, Richard Prasquier a consacré deux articles remarquables au Yémen, aux Houthis et à cet autre théâtre du conflit[1]. Il rappelle leur devise, affichée sur des pancartes et scandée lors de manifestations géantes téléguidées par leur régime :

Dieu est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs, victoire à l’islam.

Un antisémitisme brutal, qui a au moins le mérite de la sincérité. On peut compter, hélas, sur nos chaînes de télévision pour ne presque pas évoquer cela, à l’exception d’un documentaire sur Arte[2].

Sur le passé récent et tragique des multiples guerres civiles dans ce pays, le plus pauvre de la péninsule arabique ; sur les Houthis, à l’origine nom d’une petite tribu et d’un chef religieux charismatique, leur vrai nom étant « Ansar Allah » (les partisans de Dieu) ; sur leur conquête du tiers Ouest du pays et leur résistance victorieuse aux interventions armées de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ; tout est dit dans les références déjà notées. Faisons tout de suite un constat : si cette force militaire – ayant fait main basse sur un État comme le Hezbollah sur le Liban – est effectivement un proxy de la République Islamique d’Iran qui l’a armée depuis le début, sa haine vis à vis d’Israël semble échapper à toute logique.

Il n’y a aucun contentieux, ni territorial ni historique avec le Yémen. Et, par comparaison, les milices chiites irakiennes, qui ont elles aussi envoyé à distance missiles et drones sur le territoire israélien, avaient déjà décidé d’arrêter les frais.

Alors, que cherchent les Houthis, qui expédient des missiles à 2 000 km de distance la veille d’une trêve ? Officiellement, leur intervention dans la guerre post-7 octobre était « le soutien aux Palestiniens de Gaza soumis à une invasion ». Et ils ont tenté de nuire à Israël sur deux terrains différents.

Le premier et le plus spectaculaire a été d’établir un blocus maritime, par des attaques en Mer Rouge et jusqu’au golfe d’Aden, à coups de missiles et de drones ; et pour interdire tous les navires servant soi-disant les « intérêts israéliens ». Un compte sur le réseau X a établi régulièrement le bilan de leurs attaques. Au 6 novembre[3], le bilan était le suivant après des dizaines d’attaques : 2 cargos coulés, 43 endommagés, 16 ayant subi des avaries non connues, et 29 visés mais sans dégâts ; 2 bâtiments arraisonnés ; 4 matelots tués et 8 blessés.

Les actes de piraterie référencés sur Internet montrent que l’écrasante majorité des navires attaqués n’étaient en rien liés à Israël.

Certes, le bilan aurait pu être bien plus lourd sans les mesures défensives prises par les Occidentaux au bout de quelques mois :

  • présence de quelques navires de l’Union Européenne, qui ont surtout intercepté quelques drones mais jamais attaqué les bases terroristes ;
  • présence de plusieurs destroyers antimissiles et d’un porte-avions de l’US Navy, qui ont détruit un grand nombre d’aéronefs en vol.

Il y a eu aussi des raids stratégiques à longue distance, associant des bombardiers américains et des appareils de la Royal Air Force à partir de sa base de Chypre ; il s’agissait cette fois de dépasser une posture « défensive », dans le cadre d’une vraie guerre d’attrition contre des installations stratégiques des Houthis (stocks de missiles, dépôts de carburant, etc…).

Israël de son côté n’est pas intervenu directement sur mer, mais a mené plusieurs raids à longue distance de son aviation à partir du mois de juillet. Ont ainsi été visés le port d’Al-Hodeïda, voie de livraison des armes en provenance d’Iran ; des dépôts pétroliers ; et au mois de janvier la capitale Sanaa, son aéroport et des centrales électriques. La référence [3] déjà mentionnée fait aussi le bilan des frappes et interceptions américano-britanniques, qui est impressionnant : les drones détruits se comptent par centaines, les missiles par dizaines.

Le deuxième terrain d’agression des Houthis contre Israël a été l’envoi continu de drones et de missiles balistiques : à la date du 9 janvier respectivement plus de 320 et 40[4]. Si l’écrasante majorité de ces aéronefs a été interceptée de diverses manières, un drone a déjoué la défense antiaérienne en juillet, tuant un civil à Tel Aviv ; et un missile a détruit partiellement une école à Ramat Gan.

Des personnes regardant un bâtiment touché par un drone lors de l’attaque meurtrière du 18 juin, à Tel Aviv, le 19 juillet 2024. (Crédit : Jamal Awad/Flash90)

La menace est donc réelle, bien que limitée pour le moment. Si on veut établir un bilan du blocus maritime subi par le pays, le bilan est contrasté : le port d’Eilat, seul débouché sur la Mer Rouge, a perdu 80% de son activité ; mais l’impact sur les activités commerciales d’Israël a été négligeable selon une étude publiée par le journal économique Globes[5].

Quelles sont les raisons qui ont motivé et motivent toujours ce nouvel ennemi ? Les photographies de fiers soldats en tenue traditionnelle, dansant sur des drapeaux américains et israéliens qu’ils piétinent avec leurs sandales, pantalons bouffants, turbans et poignard sous leur ceinturon font a priori sourire.

Leur pays est ruiné par des décennies de guerre, on imaginerait leur population épuisée après un bilan effroyable de plusieurs centaines de milliers de morts, civils en grande majorité, emportés par la famine et les épidémies. Mais ce serait mal connaître la résilience des peuples fanatisés, et le précédent de l’Allemagne nazie en ruines qui résista jusqu’au bout. Au-delà de cette explication psychologique, examinons quelques autres motivations.

Premier motif à leur confiance, l’attitude plus que trouble de la communauté internationale et de l’ONU en particulier. Alors que des dizaines d’actes de piraterie ont été commis avec le bilan rappelé plus haut, un Conseil de Sécurité digne de ce nom aurait mandaté une force internationale pour briser leur blocus ; mais il n’y a rien eu, avec les mêmes menaces de véto de la Chine et de la Russie qui ont empêché aussi toute condamnation des atrocités du 7 octobre commises par le Hamas.

Triste illustration de cela, le directeur général de l’OMS – le même qui a reconnu la pandémie du Covid avec deux mois de retard en 2020 – se trouvait dans l’aérogare de Sanaa au moment du bombardement israélien : il a vivement condamné « une attaque contre des installations civiles », alors que ni lui ni le Secrétaire Général de l’ONU n’ont jamais condamné les envois de missiles – par ailleurs si imprécis – contre Israël ; et alors que les rebelles au pouvoir à Sanaa ne représentent aucun gouvernement légitime.

Deuxième motif, l’auto-intoxication par des communiqués de « victoire » éblouissants, lus devant les caméras par un porte-parole en tenue militaire et devenu familier sur les réseaux sociaux. On lira en particulier sur le compte X OSINTdefender[6], comment il a annoncé qu’avaient été coulés le même jour le porte-avions Abraham Lincoln et deux destroyers lance-missiles ; et cela, sans présenter bien sûr le moindre début de preuves.

J’ai le triste privilège de l’âge, et je me souviens ainsi des annonces des radios arabes le 5 juin 1967 au soir, donnant un total d’avions abattus trois fois supérieur aux appareils israéliens en service à l’époque… Les Houthis réalisent une sorte de synthèse entre deux tristes héritages historiques : un nationalisme arabe verbeux n’ayant même pas conscience du ridicule ; et un mysticisme chiite, dont le zaydisme des Houthis est un cousin respectueux.

Troisième motif, le passé récent avec ce qu’on peut appeler, de leur point de vue, la « victoire » actée par le cessez-le-feu de 2022 entre les deux Yémen. Non seulement ils ont conservé les territoires conquis, mais en plus l’Arabie et les Émirats, militairement engagés, ont reculé et abandonné la partie.

Manifestant leur bonne volonté, les États-Unis avaient même retiré les Houthis de leur liste des organisations terroristes – bel exemple d’absence totale de lucidité. Cet accord permettait le versement des salaires de leurs fonctionnaires par le gouvernement légal d’Aden. Espéraient-ils plus encore ?

Zvi Bar’el, spécialiste des affaires arabes du Haaretz, a fait l’hypothèse de motivations internes derrière les 15 mois d’agressions non-stop des rebelles de Sanaa, les « victoires » contre Israël et l’Occident devant rallier le reste des Yéménites pour conquérir le reste du pays.

Alors, que faire face à un tel ennemi, situé à 2 000 km et contre lequel aucune intervention terrestre n’est possible, comme au Liban ou à Gaza ? Danny Citrinowicz est un expert israélien dans les domaines sécuritaire et du renseignement. Le 21 décembre, il écrivait sur son compte X que des frappes sur leurs infrastructures ne suffiraient pas et il présentait son analyse :

  1. La stratégie doit être modifiée et basée sur une campagne continue, en coordination avec l’administration américaine et les alliés régionaux. Elle doit se concentrer sur le leadership des Houthis et sur leur capacité à produire et à lancer des missiles et des drones. Il faut, à long terme, renverser leur régime.
  2. On ne peut pas établir un « équilibre de dissuasion » avec eux car ils n’ont rien à perdre. Paradoxalement, les attaques contre eux confortent leur statut d’acteur régional.
  3. Nos raids aériens ont été des succès opérationnels mais des échecs stratégiques.
  4. Beaucoup pensent qu’il faudrait attaquer « la source » qui est l’Iran, car alors ce pays ferait pression sur les Houthis qui cesseraient de nous attaquer. Mais la capacité des les influencer est en fait très limitée ; et on prendrait en plus le risque d’une guerre ouverte avec les Iraniens. Il n’est pas sûr non plus que les pays de la région et les États-Unis soutiennent notre attaque.

En résumé, la solution n’est pas simple à trouver. Avec un autre élément déterminant : le brillant succès de Tsahal au Sud Liban a été précédé d’une campagne minutieuse de bombardements des dépôts de missiles et de munitions du Hezbollah. Cela n’aurait pas été possible sans une pénétration de leur état-major, et une très longue période d’espionnage. Or, le lointain Yémen a été beaucoup moins « traité » par le Mossad.

[1] https://world.hey.com/richard.prasquier/le-yemen-hier-et-aujourd-hui-782ef13e

https://www.crif.org/fr/content/le-billet-de-richard-prasquier-houthis-et-iran-yemen-israel-et-les-juifs-un-essai-de-synthese

[2] https://www.arte.tv/fr/videos/118760-000-A/yemen-la-fureur-des-houthis/

[3] https://x.com/Schizointel/status/1854062732116369846

[4] https://www.timesofisrael.com/army-says-trio-of-suspected-houthi-drones-downed-ending-short-lived-lull/

[5] https://en.globes.co.il/en/article-houthis-causing-negligible-damage-to-israel-trade-study-1001496660

[6] https://x.com/sentdefender/status/1856393391346725002

à propos de l'auteur
Bénévole au sein de la communauté juive de Paris pendant plusieurs décennies, il a exercé le métier d'ingénieur pendant toute sa carrière professionnelle. Il a notamment coordonné l'exposition "le Temps des Rafles" à l'Hôtel de Ville de Paris en 1992, sous la direction de Serge Klarsfeld. Producteur de 1997 à 2020, sur la radio Judaïques FM, de l'émission "Rencontre". Chroniqueur sur le site "La Revue Civique". Président délégué de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF (2009-2019). Vice président (2012-2024) de la "Fraternité d'Abraham" association laïque pour le rapprochement entre Judaïsme, Christianisme et Islam.
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