Marche des Fiertés : visuel sous haute tension

Affiche de l'édition 2025 de la marche des fiertés en France. (Source : https://www.marchedesfiertes.org/)
Affiche de l'édition 2025 de la marche des fiertés en France. (Source : https://www.marchedesfiertes.org/)

La Marche des Fiertés a toujours été plus qu’un cortège festif : un acte politique, un cri de visibilité, un hommage aux luttes passées et un appel à la solidarité dans les combats présents. Mais que reste-t-il de cet esprit lorsque l’affiche censée incarner l’événement devient, elle-même, un vecteur de divisions ?

L’affiche officielle de l’édition 2025 représente une scène troublante : un corps inerte, blanc et sans expression, étendu au sol, entouré de figures stylisées dans des teintes vives évoquant les couleurs du drapeau arc-en-ciel. Le contraste frappe. Ce corps semble exclu de la diversité, voire désigné comme l’ennemi des identités qui l’entourent.

L’image accumule les symboles politiques : un ou deux drapeaux palestiniens (le second, sur le sac, fait débat), un triangle rouge (emblème des déportés communistes, aujourd’hui repris par Jean-Luc Mélenchon), un pin’s des Gilets jaunes, un brassard bleu orné de deux mains blanches, et une femme voilée au poing levé…

Il ne s’agit pas de contester la solidarité à l’égard des peuples opprimés, mais de rappeler que l’universalité des luttes LGBTQI+ exige de ne pas faire écran aux autres combats par des engagements extérieurs, a fortiori lorsqu’ils deviennent exclusifs ou disqualifiants.

De plus, aucun de ces éléments n’a été présenté ni débattu collectivement. L’Inter-LGBT, organisatrice de la Marche, n’a soumis qu’un brouillon en noir et blanc, dépourvu de détails. Le vote a été réclamé dans l’heure, court-circuitant les procédures habituelles. Il s’est soldé par un résultat très partagé : 8 voix pour, 8 voix contre et 2 abstentions – un score révélateur du malaise que suscitait déjà l’image au sein même de l’organisation.

Selon plusieurs sources, cette précipitation visait à permettre une publication choc en Une de L’Humanité. Résultat : plusieurs associations partenaires ont exprimé leur colère, et plusieurs soutiens institutionnels, dont la région Île-de-France, la RATP et PayPal, ont annoncé leur retrait.

De nombreuses associations LGBTQI – parmi lesquelles Beit Haverim, GayLib, Fiertés Citoyennes, FLAG, les oubliéEs de la mémoire, le SNEG, l’ADFH et la Fédération Sportive LGBT+ – ont exprimé leur vive inquiétude face à ce qu’elles perçoivent comme une instrumentalisation partisane de la Marche par des courants d’extrême gauche.

Une crainte renforcée par le soutien explicite de Jean-Luc Mélenchon, qui a relayé l’affiche sur X avec ce commentaire :

Il s’agit du droit de maîtriser sa propre existence. Rien de plus, rien de moins.

L’un des membres clés de l’organisation est par ailleurs connu pour sa proximité avec La France insoumise.

Le corps au sol arbore une croix celtique – un symbole ancien, parfois utilisé par des groupes d’extrême droite. On pourrait y voir une dénonciation du fascisme. Mais dans le climat militant actuel, peut-on représenter un adversaire idéologique mort sans provoquer une lecture violente ? Sur X, certains valident explicitement cette image comme un appel à frapper les « nouveaux nazis ».

Au-delà de la symbolique de l’affiche, une inquiétude plus profonde traverse certaines associations : celle d’une porosité croissante entre antisionisme militant et représentations antisémites, au sein même des luttes LGBTQI+.

Cette crainte ne repose pas sur une simple paranoïa identitaire, mais sur des précédents documentés :

  • slogans ambigus,
  • pancartes comparant Israël au nazisme,
  • appels au boycott relayés dans des cortèges queer, parfois sans lien explicite avec la cause LGBTQI+.

Dans ce contexte, la présence de drapeaux palestiniens sur l’affiche – sans mise en perspective ni contrepoint – n’est pas perçue comme un geste de solidarité, mais comme le signe d’un glissement idéologique, où certaines appartenances – notamment juives ou sionistes – deviennent implicitement indésirables.

Face à la polémique, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a déclaré sur X :

La région, qui contribue à la sécurisation de la Marche, refuse d’être associée à cette affiche qui incite à la violence avec son cadavre renversé.

L’Inter-LGBT , à ce jour, semble déterminée à maintenir l’image.

Autre point d’achoppement : l’affiche, bien que censée représenter une Marche LGBTQI+, ne montre ni couple, ni baiser, ni drapeau trans, lesbien, bi ou intersexe. Aucun clin d’œil aux figures ou symboles des luttes queer.

Le seul personnage identifiable comme homosexuel porte un tee-shirt noir estampillé Act Up. Pour le reste, les corps LGBTQI+ sont largement absents, remplacés par une imagerie politique abstraite. Ce visuel n’appelle plus tant à la fierté qu’à l’adhésion à une cause extérieure – reléguant les autres combats au second plan.

Ce choix graphique, imposé sans écoute ni dialogue, symbolise une fracture de méthode autant que de fond : là où la Marche appelait à l’unité, une ligne idéologique partisane et excluante a été imposée sans débat, à rebours de l’universalisme qui fonde les luttes LGBTQI+.

Le résultat est une image clivante, qui divise au lieu de rassembler, et qui pourrait, le jour de la Marche, contribuer à faire monter les tensions.

En cas d’incident, il ne suffira plus de le déplorer. Chacun devra répondre, non de ses intentions, mais de ses choix. Maintenir une affiche aussi clivante, malgré les alertes, revient à en assumer les conséquences. Car entériner, par calcul ou par lâcheté, la radicalisation de l’espace public queer – au mépris des principes d’universalité et de sécurité – c’est prendre part à un engrenage.

Si un drame devait survenir, il ne s’agirait plus d’un accident, mais du résultat d’un aveuglement volontaire. Au sujet duquel nous ne cessons d’alerter. Ici encore.

Il n’est pas trop tard pour agir. Mais il faut d’abord admettre ceci : cette affiche, loin d’unir, fracture. Et qu’il ne peut y avoir de fierté sans sécurité. Ni de lutte commune sans respect mutuel.

Le Beit Haverim maintiendra sa participation à la Marche avec son char, comme chaque année. La sécurité y sera renforcée, précisément parce que nous refusons que les principes de la République soient relégués derrière des mots d’ordre idéologiques. Notre présence vise à offrir une autre image de la fierté : inclusive, plurielle, non partisane.

Nous appelons toutes celles et ceux – LGBT+ ou hétéros, juifs ou non, croyants ou athées – qui croient encore à l’universalisme républicain, à la laïcité, et au respect de chacun dans sa singularité, à se joindre à notre cortège.

Car la Fierté ne devrait jamais être un outil de division. Elle doit rester ce qu’elle a toujours été : un moment de rassemblement, de lutte et de dignité partagée.

à propos de l'auteur
Alain Beit est président du Beit Haverim , groupe juif LGBT, depuis a 4 ans. Issue d'une famille traditionnelle, il defend les droits des LGBT juifs dans la communauté française. Il a participé à la rédaction du livre "Judaïsme et Homosexualité : 40 ans d'histoire avec le Beit Haverim"
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