Marcel Dadi pour mémoire
Mort tragiquement dans un accident d’avion en 1996 à l’âge de 45 ans, le guitariste virtuose Marcel Dadi a été pour moi une révélation tardive.
Je joue de la guitare depuis plus de 25 ans, écoute de la musique rock, folk, jazz, classique à haute dose depuis l’adolescence, mais je n’avais jamais entendu parler de lui, jusqu’à ce qu’un ami luthier me révèle il y a quelques temps l’existence de ce musicien prodigieux.
Pourquoi Marcel Dadi, juif français né à Sousse en Tunisie (en « Tune easy » comme il disait !) en 1951 est-il à ce point méconnu ? Sur le net, pas grand chose sur lui, juste un article de Youval Barzilaï sur le site Jforum, une page Wikipédia, un site et deux ou trois textes ici et là.
Aucune biographie publiée en français ou en anglais à signaler, sauf erreur de ma part. Y a-t-il une explication à cette faible notoriété post-mortem ? Bien que connu et reconnu aux Etats-Unis et même lauréat du Country Music Hall of Fame (la récompense suprême pour un joueur de country), Marcel Dadi a toujours été snobé par le show business hexagonal dès ses débuts.
Il est vrai que le style « Picking » et le blues des années 50 réinventés joyeusement par ce troubadour français s’accordaient mal avec les brumes psychédéliques des années 70.
D’ailleurs la suite de sa carrière ne sera qu’un long malentendu avec les modes musicales successives.
« Un de mes rêves c’est de faire l’émission de Patrick Sabatier et de Jean-Pierre Foucault et Drucker, et je n’ai jamais réussi avec la guitare, alors je me suis dit qu’en chantant mal tu y arriveras » a-t-il déclaré un jour. De quoi plomber définitivement sa carrière en France, et je comprends mieux pourquoi je n’avais jamais entendu parler de lui.
Heureusement, des vidéos amateures de ses concerts sont visibles désormais sur YouTube et donnent la mesure du personnage.
L’artiste virtuose crève l’écran par son humour, son plaisir de la scène, sa facilité à promener ses doigts le long du manche, comme s’il avait appris à jouer de la guitare avant d’apprendre à parler. Un mot d’esprit en dit long sur Marcel Dadi.
L’anecdote est rapportée par un proche, Pat Vrolant : Albert Lee (un guitariste britannique virtuose du blues), Eric Clapton et Marcel Dadi se rencontrent. Ils parlent évidemment guitare.
Albert Lee : « Je suis le meilleur guitariste de Grande-Bretagne. »
Eric Clapton : « T’es sûr ? Dieu m’a confié que j’étais le plus grand sur terre. »
Marcel Dadi : « Moi, j’ai dit ça ? ».
Un concert, parmi d’autres sur le net, révèle tout son talent de showman et de guitariste exceptionnel.
Il y a eu lieu à Fougères en Bretagne, le 27 avril 1991. C’est la période de son « come-back » après une période « sabbatique » de 5 ans en Israël (« Au bord de la mer Rouge » disait-il !) d’où il reviendra en 1988 pour repartir en tournée. Le concert dure plus de 2 heures, il est visible en deux parties sur les sites suivants :
Pour la première, et pour la seconde :
Trois moments m’ont particulièrement ému :
Le début du concert… Le guitariste chauffe la salle en blaguant avant d’entamer toujours le même morceau depuis 20 ans pour commencer : « Saturday night shuffle » de Merle Travis, qui signifie en français « Le Shuffle du Saturday night », précise-t-il.
Vers la dix-neuvième minute de la première partie, Marcel Dadi se lance dans une invraisemblable polyphonie mixant les deux hymnes américains archi-connus de la guerre de Sécession : le « I wish I was In Dixie land » qui était le thème pour le sud et le « Yankee doodle » pour le nord.
Cela donne le « Yankee doodle Dixie » aux antipodes du « Star spangled banner. »
Sept minutes après le début de la seconde partie, Marcel Dadi présente Larry Coryell, son invité, un autre guitariste exceptionnel né et mort aux Etats Unis il y a un an, le 19 février 2017.
Après un blues savoureux en duo, Coryell interprète en solo l’ouverture de Rhapsody in blue de George Gershwin et le Boléro de Maurice Ravel dans deux versions pour guitare à la dérive flamenco étourdissante.
« Le voili, le voilou », Marcel Dadi tel quel avec ses amis au printemps 1991 pour 2h30 d’un concert exceptionnel. Jeu de mots à gogo, virtuosité désinvolte, chaleur communicative, rire avec son public, voilà le programme. Sa musique ne dit en réalité qu’un seul mot : Shalom.
Après l’explosion du vol TWA 800 le 17 juillet 1996 au large de Long Island, où périrent 230 personnes dont Marcel Dadi, son corps est repêché. Le musicien est enterré au cimetière juif du mont des Oliviers à Jérusalem.