Manifester contre sa cause? Oui, c’est possible.

Interview de Yasmine Abdelfadel à QUB radio avec une porte-parole d’un campement de l’UQAM mise en ligne le 13 mai 2024 (capture d'écran Youtube)
Interview de Yasmine Abdelfadel à QUB radio avec une porte-parole d’un campement de l’UQAM mise en ligne le 13 mai 2024 (capture d'écran Youtube)

À l’heure où l’opinion publique se solidarise avec tout mouvement de paix au Moyen-Orient, force est de constater que certains groupuscules nuisent à la cause palestinienne.

Peu importe la cause défendue et l’étendue de sa justesse, gagner la guerre du symbolique est proprement plus important que le gain militaire.

L’analyse du symbolique débouche souvent sur l’analyse du cliché et des stéréotypes. L’image demeure le meilleur véhicule des codes, et de tout message, puisqu’elle s’enracine dans l’inconscient et impacte parallèlement la conscience populaire. Elle parvient à cristalliser la construction des opinions.

À l’ère de la désinformation et des réseaux sociaux, toute image excite les sentiments de l’opinion publique, créant soit de l’irritation, soit de la sympathie. En temps de guerre, il est naturel que toute œuvre ou nouvelle suscite l’intérêt de tout un chacun. Dans ce contexte, l’image demeure l’outil de prédilection pour architecturer l’opinion publique. Le concept d’instrumentalisation de l’image est un concept très large, dans lequel le bien et le mal se chevauchent. L’utilisation du visuel, à des fins de propagande négative, est donc monnaie courante et tout militant honnête doit en être conscient.

Le sujet de la Palestine est polarisant et fomente toujours la controverse. L’utilisation inappropriée du keffieh, par certains manifestants dans les manifestations, nuit à la symbolique de la cause au Québec. Les Palestiniens ont utilisé le keffieh irakien comme moyen de sauvegarder leur anonymat depuis la résistance armée face aux autorités britanniques. Il est ensuite devenu un symbole d’expression de solidarité envers la cause palestinienne et de toute lutte d’émancipation des peuples.

Au Québec, nonobstant l’imbroglio judiciaire concernant le droit de manifester à visage couvert, se couvrir le visage est un acte constitutionnellement normatif, contrairement à plusieurs pays occidentaux. Or, toute action légale n’est pas forcément acceptable ou favorable à une cause.

L’image véhiculée d’un manifestant cagoulé fait sourciller. Si l’on additionne à cela la représentation médiatique négative véhiculée autour du keffieh, porté généralement lors des insurrections en Palestine; les manifestants participent, malgré eux, à ancrer une représentation antipathique de leur cause. Surtout lorsqu’une frange militante exaltée scande des apophtegmes belliqueux.

La prise de conscience de la force symbolique mènera l’opinion publique vers plus de compassion et de compréhension de la cause. Le message éthique, ici, prendra la place principale de toute couverture médiatique sans en dévier le sens à des fins de propagande antagoniste.

Ensuite, l’utilisation de certains slogans dans les pancartes demeure problématique lorsqu’elle est empreinte d’altérisation.

L’altérisation est un processus par lequel on dépeint un adversaire par des caractéristiques négatives qui le rend différent voire de lui soutirer tout caractère humain. On tombe alors dans une construction sociologique négative et disqualificatrice. Prenons l’exemple du slogan « Hallal Zone, No pigs »[1] qui a attiré l’attention médiatique dans les médias et, du fait même, a nuit inéluctablement à la cause juste des Palestiniens et de leurs soutiens au Québec. L’écriture est simple, un vocabulaire percutant et une connotation forte à destination de toute personne ne faisant pas partie ou ne soutenant pas ce mouvement.

La culture de la violence est un phénomène connu, mais elle devient un problème difficile à comprendre lorsque son utilisation est justifiée pour porter des revendications, dans l’espace public, à un public non acquis à la cause défendue. La violence verbale ne résout aucunement le moindre désaccord, mais peut faire la une des journaux, court-circuitant ainsi toute la bonne volonté des actions entreprises.

Les manifestations de soutien à une cause outre-mer, sont une occasion de faire la promotion positive de celle-ci et provoquer l’étincelle d’une réflexion endogène.

[1] NDLR : les « porcs » sont très régulièrement utilisés pour faire référence aux « Juifs » par les extrémistes islamistes, inspiré d’un verset du Coran (Sourate 5 verset 60) : « … ceux dont Il a fait des singes, des porcs… « . Quelques exemples de cette injure :
CRIF : un prédicateur koweïtien : «allah a transformé les Juifs, rebut de l’humanité, en singes et en porcs»
MEMRI : Hamas MP and Cleric Yunis Al-Astal: The Abominations of the Jews Merited Their Transformation into Apes and Pigs
MEMRI : The Jews Opposed Muhammad, Therefore Allah Cursed Them And Turned Them Into Apes And Pigs
MEMRI : Antisemitic Friday Sermon on PA TV : Allah Turned Jews into Apes and Pigs
MEMRI : Kuwaiti Islamic Scholar Othman Al-Khamees: Today’s Jews May Be Seen As Brothers Of Apes And Pigs
MEMRI : Article In Qatari Daily On The Islamic Tale Of Allah’s Punishment Of The Jews By Changing Them Into Apes And Pigs

Pour information, cette note de la rédaction n’est pas validée par l’auteur de cet article.

à propos de l'auteur
Blogueur, M.sc politique appliquée, propagande et communication politique, ÉPA PhDing, Diplomatie religieuse et culturelle
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