Manassé Ben Israël | De Creatione Problemata XXX
Menasseh Ben Israël a publié lui-même « Trente Problèmes Concernant la Création (De Creatione Problemata XXX) » à ses frais, dans le but de raviver la doctrine classique de la création et d’aborder des questions philosophiques et théologiques complexes sur l’origine du monde et la foi. Cette première édition marque la première traduction de la version latine de 1635.
L’avant-propos examine la négligence historique du livre « De Creatione Problemata XXX (1635) » Trente Problèmes Concernant la Création (2023), mettant en lumière les facteurs contribuant à son obscurité pendant près de 500 ans. Malgré les efforts significatifs déployés par le traducteur de Gersonides et érudit, le Professeur Seymour Feldman, sur plusieurs décennies, le livre est resté non traduit. Cela est peut-être dû à des facteurs distincts : l’alignement difficile du livre avec les ordres politiques changeants, son contenu théologique et philosophique en contradiction avec le matérialisme dominant, son style littéraire séfarade classique complexe décalé par rapport aux conventions modernes, et son identité mal interprétée pour susciter un lectorat dévoué.
Pourquoi ce livre est-il resté négligé pendant près d’un demi-millénaire ?
La traduction du De Creatione Problemata XXX (1635), « Trente problèmes au sujet de la Création » a pris plus d’un demi-siècle depuis que Seymour Feldman a étudié la version originale sans trouver aucun autre érudit hébreu capable de l’aider à la traduire du latin.
En 2020, après avoir introduit ma traduction du Certamen Philosophicum (1706) d’Orobio [1], le professeur Feldman m’a conseillé de consulter le professeur Norbert Samuelson de l’Université de l’État de l’Arizona pour trouver une éventuelle version espagnole afin d’aider à la traduction. Il n’y en avait aucune.
Mais, d’autres circonstances ont contribué à la négligence académique ou à la censure entourant cet exemplaire de la littérature séfarade classique : Tout d’abord, les facultés de Lettres classiques et d’Études orientales sont restées séparées pendant 300 ans et « Les trente problèmes » répondaient aux critères des livres qui pouvaient remettre en question le nouvel ordre laïque qui a suivi la séparation de l’État et de l’Église, avec sa dédicace au Prince de la Maison Royale d’Orange-Nassau. [2]
Ainsi, une reconnaissance hétéronome de « l’âme », des « perfections divines », des « anges », etc., issue de l’exégèse biblique et des réflexions en latin, a empêché sa diffusion plus large à cause du matérialisme au sein de l’académie moderne, car « la force de l’imagination ne peut saisir ensemble « l’idée et la matière » et cela est prouvé par la démonstration limpide qui explique que Dieu est désincarné [3] ou par l’existence de la perfection divine dans la singularité du nombre zéro. [4] Ceci étant établi, il est inconcevable pour la faculté imaginative que « le génie » ou « les anges » soient immatériels. [5]
De plus, « le style scolastique sec, son abondance de citations d’un amalgame de sources » [6] représente l’art perdu de la rhétorique classique. Les Derashot de la tradition séfarade classique ont précédé le langage descriptif et impersonnel actuel qui emploie des structures figées et mécaniques empruntées à la physique, des structures de phrases simplifiées à l’extrême, ainsi que des verbes banals pour lier des groupes nominaux complexes.
Ceci interdit aux lecteurs tout élément stylistique, intentionnellement planifié ou réfléchi, tels que le syllogisme, l’enthymème, la métaphore, la métonymie, la synecdoque, la métalepse, etc.
En outre, il y eut aussi un décalage identitaire. Bien que les chercheurs modernes l’aient catalogué à des fins d’archivage comme « un livre juif pour un public chrétien », je n’ai trouvé encore personne parmi le clergé ordonné de la Curie de France ou des États-Unis qui soit familiarisé avec la philosophie latine médiévale incluant l’hébreu de la scolastique de Maïmonide ; leur utilisation du latin vernaculaire leur permet seulement de comprendre la langue classique de leur liturgie.
Je n’ai pas non plus trouvé de lecteurs et de chercheurs juifs qui rejetteraient « comme pour un public chrétien » les innombrables citations des idées du Talmud, du Midrash, de la Mishna ou des anciens sages, y compris Rambam, Radak, Ralbag, Abarbanel, Ibn Ezra, etc. Enfin, les historiens modernes ashkénazes, dont le bagage culturel des pays slaves les a éloignés de l’influence rationaliste latine, l’ont qualifié de « pédant, prétentieux et trivial » [7] ou d’un « livret plutôt irrelevant. » [8]
Et ainsi, ils l’ont négligé.
Comme Manassé l’a mentionné dans sa préface au lecteur : « Ces jaloux, par leur malveillance et leur manque de raisonnement, n’ont atteint aucun autre but que celui, contre leur gré, de me rendre encore meilleur. » [9] – Comment ?
Par la démonstration du clivage intellectuel entre la modernité laïque et la pensée classique de Manassé.
Si ce livre était sans intérêt ou trop biblique pour les athées ; trop juif pour les chrétiens, trop chrétien pour les juifs ; trop scolastique pour les universitaires ou encore trop académique pour être scolastique ; trop médiéval pour être moderne, ou trop moderne pour être orthodoxe, trop philosophique pour être religieux, ou bien trop religieux pour être de la philosophie ; c’est parce qu’il transcende ces frontières, et maintenant, après près d’un demi-millénaire, il défie aussi la barrière du temps avec le caractère universel de la tradition séfarade classique.
Notes:
Isaac Orobio de Castro, Certamen Philosophicum, Propugnatae Veritatis Divinae ac Naturalis, Introduction de Seymour Feldman pp. 17-41. Caso filosófico en defensa de la verdad divina y natural (Cas Philosophique en Défense de la Vérité Divine et Naturelle), traduit par Walter Hilliger (2020), New York, Shehakol Inc.
1. – Isaac Orobio de Castro, Certamen Philosophicum, Propugnatae Veritatis Divinae ac Naturalis, Introduction de Seymour Feldman pp. 17-41.
2. – Manassé ben Israël, Trente Problèmes, Appendice, Lettre de Dédicace, p. 227.
3. – Manassé ben Israël, Trente Problèmes, Problème V, p. 70
4. – Manassé ben Israël, Trente Problèmes, Problème XXVII, note 3, p. 189.
5. – Manassé ben Israël, Trente Problèmes, Problème V, pp. 70-71.
6. – Nadler, Steven, Menasseh ben Israel : Rabbi of Amsterdam, p. 72, 2018).
7. – Roth Cecil, A Life of Menasseh Ben Israel (1945), p. 91.
8. – Nadler (2018), Menasseh ben Israel, note 37, p. 243.
9. – Manassé ben Israël, Trente Problèmes, Appendice, Préface au Lecteur, p. 233.
Entretien sur la première traduction du latin de Manassé ben Israël, Trente Problèmes au sujet de la Création