Londres : un bus pour fuir la haine antisémite ?
Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans la récente mesure annoncée par Sadiq Khan, le maire de Londres. La création d’une ligne de bus dédiée aux Juifs dans le nord de la ville, une initiative destinée à « les aider à se sentir en sécurité lorsqu’ils voyagent », relève d’une logique aussi inquiétante que contre-productive. En pleine flambée des actes antisémites au Royaume-Uni, une réponse aussi caricaturale et simpliste ne fait que masquer un problème bien plus complexe : la montée vertigineuse de la haine antisémite.
Avec une augmentation de 278,9 % des crimes antisémites depuis le début de l’année, selon les données de la police londonienne, il est indéniable que la communauté juive de Londres vit une période d’extrême insécurité. Pourtant, en proposant une mesure comme cette ligne de bus réservée aux Juifs, Sadiq Khan fait plus qu’admettre son incapacité à endiguer l’antisémitisme : il renforce involontairement une forme de « ghettoïsation » moderne.
Le bus de la ligne 310, qui reliera Stamford Hill à Hackney et Golders Green à Barnet, des quartiers historiquement peuplés par des communautés juives orthodoxes, est présenté comme une réponse à des années de pression communautaire. Oui, cela faisait 16 ans que ces quartiers réclamaient des mesures pour améliorer la sécurité de leurs habitants. Mais réduire cette aspiration à une ligne de bus communautaire ne fait que détourner le problème réel, qui est la nécessité d’une lutte globale et efficace contre la haine.
Plutôt que de protéger la communauté juive, cette mesure risque de la stigmatiser encore plus. Créer une ligne de bus dédiée revient à créer une enclave visible, soulignant la différence et la vulnérabilité de ces citoyens. Un tel projet n’est-il pas une réponse résignée face à l’échec des politiques de sécurité publique ? Plutôt que de garantir que tous les Londoniens puissent circuler en paix, indépendamment de leur origine, de leur religion ou de leur communauté, on leur propose de voyager à part.
Cette idée nourrit le danger de l’isolement social, du repli communautaire forcé. En refusant d’affronter le problème à la racine, cette solution artificielle pourrait même aggraver les tensions. Ce bus « sécurisé » ne fait que rappeler chaque jour aux Londoniens juifs qu’ils sont des cibles. Cette séparation, bien qu’elle se veuille protectrice, n’attaque en rien les fondements de l’antisémitisme : les préjugés, l’intolérance, et surtout l’impunité de ceux qui propagent ces discours haineux.
La montée de l’antisémitisme ne peut être combattue avec de simples artifices logistiques. Il ne s’agit pas de créer des espaces isolés pour les Juifs, mais bien d’affronter la haine là où elle se trouve, dans les discours publics, sur les réseaux sociaux, dans les médias, et dans les espaces sociaux où l’impunité reste trop souvent de mise. L’antisémitisme ne se combat pas par des lignes de bus mais par des actions judiciaires rigoureuses, une condamnation claire et immédiate des actes haineux, et une éducation au respect des diversités.
Sadiq Khan, en prenant cette décision, semble choisir la voie de la résignation. Mais abandonner ainsi la lutte sur le terrain de l’égalité et de la justice est un aveu d’échec inacceptable. La protection des citoyens, Juifs ou non, ne passe pas par leur isolation dans des espaces protégés, mais par la garantie d’un espace public sûr pour tous. Ce n’est pas aux communautés marginalisées de s’adapter à la haine, c’est à la société dans son ensemble de la combattre.