L’Iran et Daniel Barenboïm

Le chef d'orchestre israélo-argentin Daniel Barenboim au Staatsoper de Berlin, le 29 septembre 2017. (Crédit : Bernd von Jutrczenka/dpa via AP)
Le chef d'orchestre israélo-argentin Daniel Barenboim au Staatsoper de Berlin, le 29 septembre 2017. (Crédit : Bernd von Jutrczenka/dpa via AP)

Richard Wagner, compositeur allemand du XIXe siècle, a marqué la musique de son époque et contribué à son tournant vers la modernité.

Mais Wagner fut aussi un écrivain, un poète et un essayiste antisémite. Dans son pamphlet Les Juifs dans la Musique, il prônait la « déjudaïsation » de l’Allemagne, affirmant que les Juifs corrompaient la culture européenne. C’est donc tout naturellement qu’Hitler en fit l’un des symboles du Troisième Reich.

En 2001 le chef d’orchestre Daniel Barenboïm se prépare à donner un concert à Tel-Aviv. Dans son programme, il prévoit un morceau de Wagner. Mais bien que Wagner figure au répertoire un peu partout dans le monde, une convention tacite veut qu’en Israël l’on s’abstienne de le jouer en raison de la prégnance de la Shoah dans la mémoire collective.

Confronté à de vives critiques, Barenboïm s’incline et retire le morceau de son programme. Mais le jour dit, en fin de concert, au bout de quelques rappels, il prévient le public qu’il jouera Wagner en bis, invitant implicitement ceux que cela pourrait troubler à sortir. S’ensuivent de violents accrochages verbaux entre ceux qui se sentent piégés et les libre-expressionistes à tous crins. Finalement l’orchestre entonne l’Ouverture de Tristan et Isolde[1] devant une salle aux trois-quarts vide.

Quinze ans plus tard, la chancelière d’Allemagne Angela Merkel s’apprête à faire une visite officielle en Iran. Elle invite Barenboïm et l’orchestre d’État de Berlin à se joindre à la délégation. Barenboïm accepte sans hésiter. Pourtant il s’agit de diriger un concert à Téhéran – capitale mondiale de l’antisémitisme contemporain, sous bannière allemande – ce qui n’est pas anodin non plus, devant des notables des Gardiens de la Révolution Islamique, dont l’objectif déclaré est de commettre une nouvelle Shoah.

Malheureusement pour Barenboïm, les autorités iraniennes rejettent sa participation aux festivités et lui refusent l’entrée au territoire parce que Juif. Mesure incompréhensible et injuste, parce que non seulement Barenboïm n’a pas choisi d’être Juif, mais cet immense artiste est depuis 2012 citoyen d’honneur de Palestine.

En 1938, lorsque le Premier ministre britannique Neville Chamberlain cède aux exigences d’Hitler à Munich sous couvert d’éviter la guerre, Winston Churchill lui lance « vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ».

« Vehamévin yavin », dit-on en hébreu (והמבין יבין). Littéralement : « et celui qui comprend, comprendra ». Expression talmudique qui consiste à envoyer un message délibérément imprécis, que le lecteur doit chercher à éclaircir pour en saisir le sens profond.

[1] Opéra de Wagner créé en 1865 au théâtre royal de la Cour de Bavière à Munich.

à propos de l'auteur
Daniel Horowitz est né en Suisse, où ses parents s’étaient réfugiés pour fuir l’occupation de la Belgique. Revenu à Anvers il grandit au sein de la communauté juive. A l’âge de quinze ans il entre dans l’industrie diamantaire et y fait carrière. Passé la soixantaine il émigre en Israël où il se consacre désormais à l’écriture. Il a récemment publié aux éditions l'Harmattan un ouvrage intitulé "Leibowitz ou l'absence de Dieu".
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