L’influence du séjour de Marcel Proust à Fontainebleau sur son œuvre

Le Musée de la Diaspora à Tel-Aviv considère Marcel Proust comme étant un des personnages juifs les plus éminents. Marcel Proust milita dans les rangs des Dreyfusards même s’il ne ressentait aucun sentiment juif. Tout comme pour ses ancêtres Weil, l’assimilation fit un travail redoutable.
Par le jeu des mariages, Marcel Proust fut un des cousins d’Henri Bergson. Emmanuel Berl, cousin d’Henri Franck, relata ses impressions passées sur les réceptions et les bals de sa jeunesse lorsque la famille Weil et lui-même vivaient dans cette bourgeoisie riche, très assimilée, de vieille souche française, à demi-déjudaïsée et souvent encore traditionnelle.
Nathé Weil, grand-père de Marcel, se fit incinérer et ensevelir dans le carré juif du cimetière du Père Lachaise. Ce cimetière où le visiteur peut encore découvrir la tombe de Baruch Weil et de ses descendants. Le petit Marcel Proust déposait par tradition un petit caillou blanc quand il venait s’y recueillir avec son oncle Louis.
Marcel Proust et Fontainebleau
« Aujourd’hui par ce jour d’automne, je voudrais toute une forêt : ces arbres jaunis que je désire, que je sens, je voudrais me promener sous eux, et que les choses viennent assouvir la faim de mon esprit. Mais je voudrais voir; c’est Fontainebleau ». (Tiré de Jean Santeuil de Marcel Proust).
Marcel Proust séjourna à Fontainebleau même si cette ville ne semblait pas lui plaire. M. Pierre Doignon, historien bellifontain, écrivit un article sous le titre de « Un séjour de Marcel Proust à Fontainebleau ou la villégiature sous la pluie » :
« La récente publication des lettres inédites de Marcel Proust à sa mère réunies par Philippe Koll fournit des renseignements détaillés sur un épisode jusqu’ici méconnu de la vie littéraire à Fontainebleau. Le séjour que le romancier effectuera en notre ville en 1896, et qui eut une certaine influence sur sa carrière. »
Marcel Proust arriva à Fontainebleau le 19 octobre 1896 et s’installa à l’Hôtel de France et d’Angleterre. Il avait vingt-trois ans. Le motif de ce séjour, si l’on en croit ses lettres, semble être sa santé déficiente. L’air de Fontainebleau lui ayant été recommandé par la Faculté. On dit aussi qu’il serait venu rédiger dans la tranquillité son roman Jean Santeuil.
Proust écrivait souvent à sa mère. A sa lettre du 20 octobre, elle répondit : « Mme Brouardel dit que Fontainebleau est très humide. De Flers aurait voulu pouvoir décider sa grand-mère de venir à Fontainebleau. »
Le 21, il adressa une nouvelle lettre à sa mère : « La ville n’a aucun caractère. La simple lisière des bois que j’ai vue est toute verte, Léon Daudet voudrait que nous allions à Marlotte. »
Marcel Proust entretint des rapports d’une grande complexité avec sa mère, Jeanne Weil. La maladie de son fils l’inquiétant, elle s’acharna à calmer ses états d’anxiété par un excès de protection. Elle commit l’erreur d’attribuer cette anxiété à une sentimentalité excessive et à une tendresse trop vive. Marcel Proust écrivit de Fontainebleau : « Après un après-midi atroce passé dans la chambre de l’hôtel à Fontainebleau ». Il re-transposa cette angoisse à « Beig Meil » dans Jean Santeuil.
Le séjour de Marcel Proust à Fontainebleau fut complètement gâché par un déluge de pluie et des crises d’asthme. Marcel Proust inséra dans ses romans malgré tout quelques souvenirs vécus à Fontainebleau :
– Dans A la Recherche du Temps Perdu : l’écrivain fait allusion au Golf de Fontainebleau et à son « élégance ».
– André Maurois dans sa préface de la réédition de Jean Santeuil en 1952 précisait : « Jean Santeuil est un jeune homme que Proust a beaucoup fréquenté. Pendant huit ans de 1896 à 1904, il l’a promené un peu partout : Château de Reveillon, où ils séjournent chez Madeleine Lemaire, à Fontainebleau où ils passent quelques jours en compagnie de Léon Daudet, du Grand Hôtel d’Evian au Grand Hôtel de Trouville. »
– La présence de Robert Montesquiou à Bourron-Marlotte influença fortement Marcel Proust dans ses romans.
– Les Greffulhe recevaient souvent dans leur château de Thomery et pourtant Marcel ne parle pas de ce village alors qu’il fréquentait leurs salons.
Marcel Proust confia à sa mère : « qu’il n’avait pas très envie de fréquenter les Halphen au quintal, les Oulif, les Bidermann, etc, et d’autres relations sémites du Lac Léman et qu’il leur préférait le charme des Brancoven et des Noailles, de tout le groupe d’Amphion, et qu’il lui recommandait de ne pas en dire un mot à Robert (son frère) de peur d’être taxé de snobisme ».
Les personnages des romans de Proust s’inspiraient pourtant de ses amis juifs : Swann fut sans aucun doute Charles Haas, fils d’un agent de change, « choyé dans les salons fermés, pour sa grâce, son goût et son érudition », membre du jockey club, ami du Prince de Galles et du Comte de Paris, qui portait comme Swann une brosse rousse à la Bressant. Haas veut dire « lièvre » en allemand et Swann « cygne », quelle élégante transformation de nom. Pour doter Swann d’une solide érudition, ses traits s’inspiraient de Charles Ephrussi, fondateur de la Gazette des Beaux-Arts. Ainsi retrouve-t-on dans le monde de Proust tous ceux qui fréquentaient les différents salons parisiens dont celui de Geneviève Straus, née Halévy.
Il fut un rôle où Marcel Proust ne composa pas, ce fut celui de Dreyfusard, il écrivit à ce propos : « Les juifs français dans la crise de l’Affaire furent précipités du haut en bas de l’échelle sociale ».
C’était vrai, « l’Affaire » changea toute l’optique mondaine de l’auteur de A la Recherche du Temps Perdu. Sans cet événement, son œuvre n’aurait pas eu la même coupe sociale, ni la même lumière et encore moins la même finalité. Il est incroyable de constater que Marcel Proust, qui fut si prolixe en matière épistolaire à l’égard de sa mère, ne laissa aucune lettre sur cette période aiguë. Robert et Marcel Proust furent d’ardents militants dreyfusards de la première heure alors que leur père, le Docteur Adrien Proust, croyait en la culpabilité du Capitaine Dreyfus et se rangea auprès de ses amis du gouvernement.
Les rapports de Marcel Proust avec le judaïsme ne furent pas simples du tout. Est-ce la résultante de ses amours maudits ? Dans un passage du quatrième volet A la Recherche du Temps Perdu, intitulé « Sodome et Gomorrhe », Marcel Proust compara les homosexuels aux Juifs. De quel mal souffrait-t-il le plus ? Peut-être de celui de n’avoir pas pu se confier à sa mère sur ce point. Si Marcel Proust fut durant de longues années un intime de Reynaldo Hahn, il ne s’empêcha pas d’avoir des conquêtes platoniques féminines, d’ailleurs la comédienne Louisa de Mornand disait, à propos de ses amours avec Marcel Proust : « Ce fut entre nous une amitié amoureuse, où il n’y avait rien d’un flirt banal, ni une liaison exclusive, mais de la part de Proust, une vive passion nuancée d’affection et de désir, et de la mienne, un attachement qui n’était plus que de la camaraderie et qui touchait vraiment mon cœur ».
Aurait-il pu prolonger sa vie dans le rôle de Swann ?