Liberté surveillée

Le ministre des Communications Shlomo Karhi, en séance plénière de la Knesset, à Jérusalem, le 30 octobre 2024. (Crédit : Dani Shem-Tov/Knesset)
Le ministre des Communications Shlomo Karhi, en séance plénière de la Knesset, à Jérusalem, le 30 octobre 2024. (Crédit : Dani Shem-Tov/Knesset)

La liberté d’expression, voilà l’ennemi ! Ce slogan semble animer la coalition gouvernementale au seuil de l’hiver. Il y eut d’abord l’interdiction faite aux administrations de donner des publicités au journal Haaretz. La raison ? En apparence, une déclaration du PDG du quotidien assimilant les membres des organisations terroristes en Cisjordanie à des « combattants de la liberté ».

Nombre de journalistes du célèbre journal ont condamné ce propos, mais l’occasion était trop belle. En fait, le ministre des communications, Shlomo Khari, envisageait une telle mesure bien avant, en invoquant la « propagande défaitiste et mensongère » véhiculée, selon lui, par le journal. Le très actif ministre ne s’en tient pas là. Il est favorable à une proposition de loi conduisant à privatiser dans les deux ans la chaîne de télévision et de radio publique Kan.

Ici aussi, le prétexte est tout trouvé : cette chaîne coûte cher au budget de l’État. De surcroît, le gouvernement voudrait développer la concurrence dans les médias. Noble préoccupation mais qui en fait masque la volonté de faire taire une rédaction jugée « trop à gauche ».

Comme si cela ne suffisait pas, un autre projet de loi vise à retirer à une institution indépendante la mesure de l’audimat. L’objectif de Shlomo Khari et des siens est transparent : affaiblir au profit de la très bibiste chaîne 14 tous les autres médias audiovisuels.

Cette offensive contre la liberté de la presse n’est pas isolée. Depuis quelques semaines, la coalition multiplie les initiatives pour relancer la réforme judiciaire, renforcer l’immunité des parlementaires qui pourraient ainsi échapper à des enquêtes, et on en oublie.

Last but not least, les membres de la coalition s’en donnent à cœur joie pour exercer des pressions insensées contre la conseillère juridique du gouvernement coupable de vouloir faire respecter les lois. L’objectif est clair et Shlomo Khari, toujours lui, l’a exprimé sans vergogne lors d’une réunion avec des parlementaires : « Nous sommes élus par le public, nous pouvons changer le régime si nous le voulons ».

On l’avait compris. Cette offensive, ce blitzkrieg législatif, a pour but de réduire à la portion congrue tous les contre-pouvoirs et d’abord ceux de la presse et de la justice. Ceci, alors que le public, épuisé après 14 mois de guerre, est moins enclin à descendre dans la rue qu’auparavant.

Une autre explication, complémentaire, est souvent avancée : avec ces projets, le gouvernement détournerait l’attention des enquêtes relatives aux curieuses pratiques du cabinet du Premier ministre.

Pendant ce temps, des soldats tombent chaque jour, et 101 otages morts ou vivants sont détenus dans les geôles du Hamas. Mais c’est sans doute moins important que de faire taire ceux qui n’entendent pas vivre en liberté surveillée.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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